Finances personnelles

Le prochain gouvernement réduira-t-il votre facture de télécoms ?

Vous trouvez que vous payez trop cher pour votre forfait de téléphone portable ou votre accès internet à la maison ? Les partis politiques promettent tous de s’attaquer à cette question. Est-ce que ce sont des paroles en l’air ou peuvent-ils vraiment réduire votre facture ?

UN DOSSIER DE VINCENT BROUSSEAU-POULIOT

Partager les réseaux sans fil pour réduire la facture des clients ?

Tous les politiciens promettent de réduire votre facture de télécoms.

Le gouvernement Trudeau voulait augmenter la concurrence en télécoms pour réduire les prix. Comme le gouvernement Harper avant lui.

Les résultats sont plutôt mitigés, selon plusieurs observateurs.

« Ça s’avère plus compliqué que ce qu’ils avaient pensé », dit John Lawford, directeur du Centre pour la défense de l’intérêt public (PIAC), un groupe de défense des consommateurs.

Les prix des forfaits au Québec – la province où ils sont les plus bas – ont diminué depuis trois ans : une baisse de 24 % pour un forfait type de téléphonie sans fil, et une baisse de 7 % pour un forfait type d’accès internet, selon un rapport commandé par le gouvernement fédéral pour l’année 2018.

Fort bien. Sauf que les prix ont diminué davantage dans les autres pays du G7 (sauf au Japon). Sur un forfait mobile typique (appels et textos illimités, 2 Go de données), le Canada est le deuxième pays du G7 où les prix sont les plus chers, après le Japon.

« Peu importe la façon dont vous regardez ça, les Canadiens sont dans la fourchette de prix élevée. »

— Michael Geist, professeur en droit des télécoms à l’Université d’Ottawa

Les Canadiens consomment aussi des forfaits plus costauds. Résultat : le consommateur moyen voit sa facture augmenter. Au Québec, la hausse annuelle est en moyenne de 7 % pour le sans-fil entre 2013 et 2017, selon Statistique Canada.

Téléphonie

86,39 $ par mois

Dépenses moyennes des ménages québécois pour leur forfait de téléphonie portable en 2017

7 %

Hausse moyenne annuelle de la facture de téléphonie portable des ménages québécois entre 2013 et 2017

Internet

55,88 $ par mois

Dépenses moyennes des ménages québécois pour leur accès internet en 2017

5 %

Hausse moyenne annuelle de la facture d’accès internet des ménages québécois entre 2013 et 2017

Source : Statistique Canada

Or, la marge de profit du « Big 3 » des télécoms (Bell, Telus, Rogers) sur votre facture de téléphone portable est de 42 % à 45 %, ce qui ne tient pas compte, toutefois, de leurs investissements dans leurs réseaux. Par exemple, Bell a investi 656 millions en 2018. Si on ajoute ces dépenses, sa marge de profit dans le sans-fil passerait de 42 % à 35 % en 2018.

Le nerf de la guerre : le partage des réseaux

Les quatre principaux partis politiques fédéraux (Parti libéral du Canada, Parti conservateur du Canada, NPD, Bloc québécois) estiment tous que les Canadiens paient trop cher pour leurs forfaits de téléphonie sans fil. Mais peuvent-ils changer quoi que ce soit à votre facture ?

« Il n’y a pas de solution miracle », prévient Pierre Larouche, professeur en droit de la concurrence à l’Université de Montréal.

La solution la plus simple et la plus efficace est de forcer les géants des télécoms à ouvrir leurs réseaux sans fil aux nouveaux concurrents, selon deux experts en droit consultés par La Presse

Questionnés par La Presse, le NPD et le Bloc québécois appuient cette mesure. Le Parti libéral et le Parti conservateur n’ont pas voulu se prononcer. Ils annonceront leurs promesses en matière de télécoms plus tard durant la campagne. 

En Europe, les opérateurs de réseaux sans fil sont obligés d’ouvrir leurs réseaux à tous leurs concurrents, contre rétribution. Le nombre de concurrents augmente, les prix baissent, mais les réseaux sans fil sont moins rapides, car les entreprises propriétaires des réseaux ralentissent leurs investissements. 

Un « désastre » annoncé, selon l’industrie

En janvier prochain, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) étudiera la question lors d’une audience publique. La décision du CRTC pourrait ensuite être révisée (ou non) par le prochain gouvernement fédéral.

Depuis 2015, le CRTC force les géants des télécoms à partager leurs réseaux internet avec leurs concurrents, dont des acteurs indépendants comme Ebox et TekSavvy. Cet été, l’organisme réglementaire a réduit jusqu’à 77 % les tarifs des géants des télécoms pour donner accès à leurs réseaux. Bell, Rogers, Cogeco et Vidéotron contestent la décision du CRTC devant les tribunaux fédéraux. 

Si la décision du CRTC est maintenue, elle pourrait avoir un impact à la baisse sur les prix à long terme. Déjà, des acteurs indépendants, comme Ebox (Québec et Ontario), TekSavvy (Ontario) et Oricom (Québec), ont annoncé des réductions de prix de leurs forfaits internet.

Forcer les géants des télécoms à ouvrir leurs réseaux sans fil serait « un désastre pour notre industrie », prévient l’Association canadienne des télécommunications sans fil (ACTS), qui représente les grandes entreprises de téléphonie sans fil.

« Ça n’augmenterait pas la concurrence, ça permettrait aux petites entreprises de profiter des investissements des grandes entreprises, dit Robert Ghiz, président et chef de la direction de l’ACTS. Les pays qui l’ont permis ont vu leur niveau d’investissements diminuer. »

L’ACTS estime que les forfaits sans fil offerts au Canada sont concurrentiels face à ce qui est offert aux États-Unis et en Europe, en tenant compte du prix, de la qualité du réseau et du territoire couvert.

L’exemple du Québec

S’ils veulent hausser la concurrence en télécoms, M. Ghiz, ancien premier ministre de l’Île-du-Prince-Édouard, suggère aux chefs fédéraux de miser sur une stratégie qui permettra à de nouveaux acteurs de se bâtir un réseau sans fil.

M. Ghiz cite l’exemple du Québec, où Vidéotron est devenu le quatrième acteur dans le sans-fil en 2010. Vidéotron a aujourd’hui 1,2 million de clients sans fil. L’entreprise ne dévoile pas sa marge de profit sur le sans-fil.

Les Québécois sont effectivement ceux qui profitent des meilleurs prix au pays. En moyenne, ils paient 23 % moins cher que la moyenne des Canadiens.

En ouvrant l’accès aux réseaux sans fil, la concurrence augmenterait aussi au Québec, fait valoir le PIAC. Cogeco pourrait notamment être tenté de se lancer dans le sans-fil, et Freedom Mobile pourrait s’y implanter davantage. 

Il y aurait certainement plus de concurrence. Mais les prix ne descendraient pas nécessairement plus vite, prévient le professeur Pierre Larouche. 

« Quand vous avez quatre opérateurs au lieu de trois, les prix baissent, dit-il. C’est le quatrième acteur [Vidéotron au Québec] qui fait souvent la différence. Aux Pays-Bas, il y avait cinq concurrents, et ce n’était pas très différent d’un marché à quatre concurrents. »

Un enjeu de politiques publiques

Pourquoi les politiciens s’intéressent-ils tant à votre facture de télécoms ? En plus d’être un enjeu tangible pour les consommateurs, c’est aussi devenu un enjeu de politiques publiques, selon le PIAC. Pour le quintile des Canadiens aux revenus les plus modestes, leur facture de télécoms (téléphone filaire, téléphone portable, accès internet et télédistribution) représente 8,6 % de leurs revenus. « Les prix sont un problème pour les gens les moins fortunés et ça commence à devenir un problème pour la classe moyenne », dit John Lawford, directeur du PIAC.

Des marques à rabais qui sont la propriété des géants

Au Canada, il y a plusieurs marques différentes de forfaits sans-fil. Sauf que les grandes entreprises de télécoms possèdent la plupart des « marques à rabais » : Bell possède Virgin Mobile, Telus possède Koodo et Public Mobile, Rogers possède Fido et chatr, tandis que Vidéotron vient de lancer Fizz.

Trois autres solutions

Il n’y a pas de « solution miracle » pour réduire les prix en télécoms, prévient Pierre Larouche, professeur en droit de la concurrence à l’Université de Montréal. Outre forcer le partage des réseaux sans fil, voici un survol de trois autres options pour le prochain gouvernement fédéral.

Réglementer les prix

C’est l’idée du NPD, qui veut imposer des prix plafond pour le sans-fil et l’accès internet qui sont basés sur la moyenne mondiale. Autant les experts en droit de la concurrence que le Centre pour la défense de l’intérêt public (PIAC) pensent toutefois que ce n’est pas une bonne idée. « À la longue, ça ne marche pas, dit le professeur Pierre Larouche. Le régulateur finit par être “capturé”. Les utilisateurs ne sont pas capables de se défendre, et l’entreprise a un gros avantage dans les procédures à la longue. » Le CRTC a réglementé les prix des forfaits téléphoniques résidentiels jusqu’en 2006 (il les réglemente encore dans certaines régions où il n’y a pas de concurrence).

Maintenir un prix fixe pour les données

Le PIAC suggère que le CRTC fixe un prix pour les données sans fil. Tous les clients paieraient donc le même prix par gigaoctet de données. « Présentement, soit vous payez pour trop de données que vous n’utilisez pas, soit vous n’en avez pas assez pour votre forfait et vous payez très cher les données supplémentaires. Sur cet aspect, il y a eu trop d’abus », dit John Lawford, directeur du PIAC.

Autoriser les investissements étrangers

Le sujet est délicat sur le plan politique. Actuellement, toute entreprise qui possède plus de 10 % des parts de marché en télécoms doit être canadienne (80 % de l’actionnariat). En pratique, ça empêche Bell, Telus et Rogers d’être achetés par un conglomérat étranger. Une entreprise étrangère peut toutefois investir au Canada si elle détient moins de 10 % des parts de marché. Le géant américain Verizon y a songé en 2013 – sauf qu’il aurait dû investir au moins 3 milliards de dollars pour se lancer dans la téléphonie sans fil au Canada, selon l’agence Moody’s. Résultat : Verizon n’est jamais venue au Canada. En 2013, des intérêts égyptiens ont déposé une offre pour acheter MTS Allstream, une entreprise de télécoms du Manitoba, mais le gouvernement Harper a bloqué la transaction pour des raisons de sécurité nationale.

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