Médias numériques

Comment réglementer Netflix ?

Est-ce possible de réglementer Netflix ? Comment faire ? Quelles conditions pourrait imposer le CRTC aux médias numériques ? Débat en huit points.

Diffuseur ou distributeur ?

La Loi sur la radiodiffusion permet au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) de réglementer les diffuseurs et les distributeurs télé. En matière de contenu canadien, les diffuseurs doivent dépenser environ 30 % de leurs revenus en émissions canadiennes. De leur côté, les distributeurs télé doivent consacrer 5 % de leurs revenus à la production de contenu canadien, notamment par le truchement du Fonds des médias du Canada. Netflix serait-il un diffuseur ou un distributeur ? « C’est vrai qu’il y a un doute sur la qualification exacte de cette entreprise, mais je suis plus enclin à penser que le CRTC pourrait la considérer comme une entreprise de distribution [et non comme un diffuseur]. Le CRTC a une très grande marge d’appréciation pour qualifier l’entreprise », dit Pierre Trudel, professeur de droit des communications à l’Université de Montréal.

39, 237 ou 100 millions par an ?

S’il était assujetti au régime réglementaire de la télé, combien Netflix financerait-il en production canadienne ? Netflix ne dévoile pas officiellement son nombre d’abonnés au Canada, mais Bell estime que Netflix a environ six millions d’abonnés, ce qui donnerait des revenus annuels d’environ 791 millions. Comme diffuseur télé, la facture de Netflix en contenu canadien serait donc d’environ 237 millions par an. Comme distributeur, ce serait plutôt 39 millions par an. « Il y a des gros enjeux [conséquences] à la qualification [comme diffuseur ou distributeur télé] », dit Pierre Trudel. Netflix a signé l’automne dernier une entente avec le gouvernement fédéral pour investir 500 millions sur cinq ans au Canada (moyenne de 100 millions par an).

Nouveau régime

Autre option : le CRTC pourrait imposer un nouveau système de réglementation propre aux médias numériques, sans copier les conditions imposées au petit écran.

Pas d’entreprises étrangères

Un problème pratique pour le CRTC : en raison d’une directive du gouverneur en conseil datant de 1968, l’organisme ne peut attribuer de licence à une entreprise étrangère. La directive devrait alors être modifiée pour les médias numériques. Le professeur Pierre Trudel suggère une autre solution : une ordonnance d’exemption conditionnelle. En pratique, Netflix n’aurait pas de licence mais devrait respecter certaines conditions qui équivaudraient à des conditions de licence. Le CRTC réglemente ainsi les radios des festivals.

Réforme des lois

Le gouvernement Trudeau veut réviser la Loi sur la radiodiffusion, qui régit la radio et la télé, ainsi que la Loi sur les télécommunications, qui régit les fournisseurs d’accès internet – ceux-ci ne contribuent pas au financement du contenu canadien. « La Loi sur la radiodiffusion pourrait être changée », dit le professeur Pierre Trudel, qui maintient toutefois que la loi actuelle permet au CRTC de réglementer Netflix. Une révision d’autant plus importante que la Cour suprême du Canada a statué en 2012 qu’un même service ne pouvait être assujetti aux obligations des deux lois en même temps.

La France et l’Allemagne

Deux pays du G7 ont déjà imposé une contribution à Netflix et aux autres médias numériques pour financer leur production télé et cinéma nationale. Depuis l’automne dernier, la France impose une contribution de 2 % du chiffre d’affaires en France. L’Allemagne veut introduire une mesure similaire depuis 2014, mais Netflix la conteste actuellement devant la Cour de justice de l’Union européenne.

Le scénario catastrophe

Netflix pourrait-il se soustraire aux règles du CRTC ? Le professeur Pierre Trudel en doute. « Ça dépend de la volonté politique de l’appliquer, dit-il. Si le gouvernement dit à l’avance qu’il pourrait ne pas l’appliquer, le message n’est pas fort. Si on applique la loi et que Netflix décide de ne pas la respecter, les contenus pourraient être bloqués, comme n’importe quel autre contenu illégal. Ça pourrait vouloir dire l’exclusion de Netflix du Canada. Mais la plupart du temps, les entreprises étrangères se soumettent aux lois des territoires où elles font affaire. »

L’avenir de la production

Sur le plan strictement réglementaire, Netflix a un bon argument à faire valoir, à savoir que la télé a été réglementée en raison du nombre limité de licences et de leur caractère public, estime le professeur Pierre Trudel. Sauf qu’au fil des décennies, l’industrie de la télé est devenue, avec les contribuables qui financent des crédits d’impôt, l’une des principales sources de financement des émissions de télé. Or, si les Canadiens migrent vers les médias numériques au détriment de la télé, ce financement de la production canadienne diminuera. « Comment on adapte le système de radiodiffusion pour financer la production, c’est la vraie question », résume le professeur Trudel.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.