Once upon a time… Kim Kardashian

Quel chemin parcouru ! Dans les affaires, son nom est aujourd’hui une puissance économique.

Elle est partie de presque rien : un art certain de la provocation et un majestueux postérieur. Des atouts que « Kim K » a su exploiter pour se mettre sur orbite. Regard de biche, lèvres gonflées et crinière de jais, elle a imposé de nouveaux standards de beauté. Son look a déteint sur des armées d’« influenceuses », abreuvées de selfies par la bimbo aux 146 millions d’abonnés Instagram. En surexposant son intimité, la diva de la télé-réalité s’est taillé un empire.

Sur Sunset Boulevard, on ne voit qu’elle. Sa silhouette pulpeuse, son visage si célèbre recouvrent la façade d’un immeuble de dix étages au cœur de sa ville natale, un berceau qu’elle n’a jamais quitté. 

Los Angeles est le point zéro de la courbe de Kim, l’épicentre du séisme Kardashian. L’État, ici, c’est elle. Son royaume et son pouvoir s’étendent dans tous les États-Unis et au-delà. 

En dix ans, cette enfant de la bourgeoisie californienne a conquis l’Occident ; en Amérique et en Europe, elle apparaît partout, en couverture des magazines, à la radio et à la télévision, invitée des émissions les plus populaires. Le projet de Kim est d’abord mercantile, fondé sur son nom et son image, destiné à faire vendre une multitude de produits à une jeunesse pour qui elle est la femme la plus célèbre du monde. 

Elle a lancé une application pour Smartphone, des parfums, une marque de chaussures, un jeu vidéo. Kim Kardashian : Hollywood a été téléchargé plus de 42 millions de fois et a rapporté 90 millions d’euros en moins d’un an. Sa première collection de maquillage s’est vendue en trois heures, et la ligne de sous-vêtements gainants qu’elle vient d’annoncer devrait connaître le même succès. Elle a gagné, selon le magazine Forbes, 72 millions de dollars ces douze derniers mois. « Pas mal pour une fille sans talent », s’amuse Kim lors d’une interview.

Point de départ

Tout commence en 2007, quand sort en DVD et sur internet un film pornographique d’une trentaine de minutes, une « sex tape » qui montre Kim nue, filmée par son petit ami de l’époque. La commercialisation de ces images « faites maison » survient avec l’accord de ses protagonistes et la bénédiction de la mère de Kim, Kris Jenner. 

La même année, la chaîne E ! diffuse la première saison de l’émission L’incroyable famille Kardashian, une télé-réalité qui met en scène Kim, ses quatre sœurs et son frère dans leur vie quotidienne d’enfants gâtés de Beverly Hills. La collision stratégique de ces deux événements provoque un big bang médiatique inédit, Kim devient une star internationale, conspuée par certains, adulée par d’autres, indiscutablement influente. 

Son corps, sans cesse photographié, fascine ; ses formes rondes, exacerbées par des recours revendiqués à la chirurgie esthétique, enflent à mesure qu’elle gagne en popularité. L’exhibition de sa poitrine, et surtout de son postérieur, fait vaciller le culte de la taille 34. Kim invente une nouvelle esthétique, hyper sexualisée, un héritage de Marilyn et de Betty Boop amplifié par des injections d’acide hyaluronique.

Femme d'affaires 

Mais la femme-objet devient vite sujet. Kim est chef d’entreprise dès les premières années de son succès, coproductrice de son émission de télévision à l’Audimat inégalé, décisionnaire lors des tournages, autorité de référence pour l’ensemble du divertissement américain, tout comme sa mère et ses sœurs. Les Kardashian créent un matriarcat, un modèle inédit de femmes patronnes qui font de la futilité un empire. 

Peut-on se battre pour le pouvoir des femmes en vendant du rouge à lèvres ? Kim le prouve, renvoie à la morale les critiques sur la sexualisation de son image. Et déclare :

« Je me sens profondément féministe. J’ai le sentiment de faire bien plus en ce sens que certaines personnes qui disent l’être. »

Aujourd’hui, nul n’est assez puissant pour dicter quoi que ce soit à celle qui se fit un prénom en se déshabillant devant une caméra.

L'affaire O.J. Simpson

Son nom, aux États-Unis, est connu depuis le 17 juin 1994, quand son père, l’avocat Robert Kardashian, prend la parole devant des centaines de journalistes pour annoncer la fuite de son ami O.J. Simpson, champion de football américain poursuivi pour un double meurtre. Kim n’a que 14 ans, O.J. est son parrain, et Nicole Brown, l’une des deux victimes poignardées à mort, la meilleure amie de sa mère. 

Voilà l’adolescente plongée dans « le procès du siècle », où elle accompagne parfois son père qui défend l’accusé. Elle entre dans la salle d’audience à son bras, devant les caméras du monde entier. Son amour des flashs naît peut-être en cet été sordide où l’Amérique a les yeux rivés sur sa famille. 

Mais son ambition vient de bien plus loin, portée par ses arrière-grands-parents nés en Arménie et arrivés en Californie en 1913, décidés à faire fortune. Leur « success story » n’a pas les appas ensorcelants de leur descendance. Elle repose sur deux business, moins affriolants que les cosmétiques vendus par Kim un siècle plus tard : les ordures et la viande rouge. Des décharges « Kardashian » ouvrent un peu partout, ainsi qu’un abattoir, dans la banlieue de L.A. Les Kardashian s’enrichissent et élèvent leurs enfants parmi la bonne société de la côte Ouest. 

Ces immigrés n’ont qu’une volonté, l’assimilation. L’Amérique est leur avenir. Leur héritière veut, elle, dominer le monde. En avril 2015, Kim se rend en Arménie à l’occasion des commémorations du génocide. Il lui faut presque une heure pour traverser la foule venue l’attendre à l’aéroport d’Erevan. Beaucoup de cris et de banderoles, des bousculades, une hystérie collective encouragée par l’aisance de Kim, habituée et heureuse, satisfaite de son effet. Comme une reine face à son peuple, comme un monarque de retour d’exil… 

Quelques heures plus tard, elle écrit sur Twitter : « Cela me peine que, cent ans après, certains ne reconnaissent pas que 1,5 million de personnes ont été assassinées. » Ils sont 620 000 à « aimer » ce message, publié entre deux selfies, et plus de 2 millions à regarder les épisodes de son émission tournés en Arménie. Jamais l’ancienne république soviétique n’a bénéficié d’une telle audience aux États-Unis.

Politique

L’héroïne des ados a sorti la tête de son dressing et l’on découvre qu’elle a une conscience politique. Elle apporte son soutien à Hillary Clinton, finance le Parti démocrate, milite pour un contrôle plus strict des armes à feu et pour les droits de la communauté LGBT. C’est une première en télé-réalité. De l’inédit qui force les tabloïds à titrer sur la réforme carcérale promue par Kim plutôt que sur ses faux seins. 

Elle impose à la société américaine son mariage mixte avec le rappeur afro-américain Kanye West, son beau-père transgenre, ses enfants métis, dont deux sont nés de mères porteuses, et provoque le débat. 

Son amitié avec Ivanka, la fille de Donald Trump, lui permet d’accéder au bureau Ovale pour défendre la cause d’Alice Marie Johnson, une détenue de 63 ans emprisonnée depuis deux décennies et condamnée à la perpétuité pour avoir participé à un trafic de drogue. Son histoire a ému Kim, qui aimerait que cette grand-mère du Tennessee soit graciée. 

Le 30 mai 2018, elle arrive à la Maison-Blanche vêtue d’un tailleur noir et de talons aiguilles. Elle ne porte qu’un seul bijou, une montre à 400 000 dollars, un modèle ancien de chez Cartier qui appartenait à Jackie Kennedy, délicat pied de nez au président républicain qu’elle sollicite ce jour-là, sans cacher que son vote va au Parti démocrate. « Ça m’a donné de la force », a-t-elle dit ensuite. Sept jours plus tard, Alice Marie Johnson est libérée. Une victoire vivement commentée par les éditorialistes politiques de Washington, qui donne des ailes à l’ancienne pin-up.

Trois ans après avoir été victime d’un braquage à Paris, Kim annonce vouloir devenir avocate. Elle suit actuellement un apprentissage auprès de deux pénalistes de San Francisco, avec pour objectif de passer le barreau en 2022. En Californie, il n’est pas nécessaire d’avoir obtenu un diplôme universitaire de droit pour s’inscrire à cet examen. Néanmoins, au bout d’une année à étudier dans le cabinet de ses mentors au moins dix-huit heures par semaine, Kim devra se soumettre à un premier test écrit, qui l’autorisera ou non à poursuivre ce cursus. « Pour l’instant, j’étudie trois matières. Pour moi, le délictuel est le plus compliqué ; le contractuel, le plus ennuyeux. Quant au criminel, je pourrais le faire les yeux fermés ! » a-t-elle expliqué dans Vogue.

À bientôt 40 ans, Kim pense à l’avenir. Rien ne semble pouvoir l’arrêter. Pas même son mari, Kanye West, récemment diagnostiqué bipolaire, victime de crises délirantes en public et soutien de Trump. 

Sur les réseaux sociaux, elle cumule un nombre extraordinaire d’abonnés, 235 millions – et autant de voix qu’elle peut influencer. Ses fidèles sont de jeunes électeurs, une génération politiquement instable, en quête de figures fortes pour les représenter. Kim jouera son rôle auprès d’eux, chez elle notamment, où l’élection du gouverneur de Californie devrait avoir lieu en novembre 2022. 

Kim sera sans doute, alors, en mesure de plaider dans un tribunal. Dotée d’une nouvelle profession, respectable et engagée, d’une fortune colossale et d’un épais carnet d’adresses, certains l’imaginent même candidate, version féminine d’Arnold Schwarzenegger, mais plus à gauche. Le rêve américain.

La nuit de Kim Kardashian, par Pauline Delassus, à paraître cet automne aux éditions Grasset.

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