ARRAISONNEMENT DU MAVI MARMARA

Israël ne fera pas face à la justice

Malgré de possibles crimes de guerre, Israël ne sera pas jugé devant la Cour pénale internationale (CPI) pour l’arraisonnement du Mavi Marmara et pour la mort de neuf de ses passagers.

Hier, la procureure du tribunal international, Fatou Bensouda, a annoncé qu’elle n’ouvrira pas d’enquête sur l’évènement qui a eu lieu le 31 mai 2010, et ce, même si elle juge qu’il est « raisonnable de penser que des crimes de guerre » ont été commis sur le navire qui prenait part à la « Flottille de la liberté ». Cette flottille, composée de huit navires, tentait d’atteindre les côtes de Gaza, sous blocus israélien, au moment de son arraisonnement.

Selon la procureure, qui a rendu publique hier une décision de 61 pages, les accusations qui pourraient découler d’une enquête plus poussée ne « seraient pas suffisamment graves » pour que la Cour décide d’ouvrir un procès.

Huit citoyens turcs et un homme détenant la double nationalité turco-américaine ont été tués au cours de l’arraisonnement du navire par un commando israélien. L’incident a causé un grand froid diplomatique entre la Turquie et l’État hébreu.

En 2013, les Comores ont saisi le bureau de la procureure de l’affaire. Le Mavi Marmara était enregistré dans le petit pays africain.

APPEL ATTENDU

On s’attend déjà à ce que la décision soit portée en appel. Hier, l’avocat turc qui représente les Comores dans l’affaire a promis de revenir à la charge. « C’est une bataille morale que nous tentons de mener de l’avant. C’est une bataille légale, une bataille au nom de l’humanité », a dit l’avocat Ramazan Ariturk, en promettant de saisir les instances supérieures de la CPI.

Les représentants de la « Flottille de la liberté » ont réservé pour leur part un accueil mitigé à la décision de la procureure. « Je pense que la décision est encourageante et décevante à la fois », a dit hier à La Presse Ehab Lotayef. « La procureure confirme que les actes commis par Israël équivalent à des crimes de guerre, mais pour les gens qui ont été victimes de ces actes, c’est difficile de comprendre pourquoi la mort de 10 personnes n’est pas assez », dit M. Lotayef, en notant que la dixième victime est un blessé qui a succombé à ses blessures. 

« Une armée a pris d’assaut un navire civil. Dix ou cent morts, ça ne devrait pas faire de différence. »

— Ehab Lotayef, représentant de la « Flottille de la liberté » 

Dans sa décision, la procureure note que la Cour pénale a été mise sur pied pour traiter des « crimes de guerre commis à grande échelle ou dans la poursuite d’un plan ou d’une politique » et que l’incident du Mavi Marmara ne répondait pas à tous les critères de la Cour.

UNE ENQUÊTE SANS FONDEMENT, SOUTIENT ISRAËL

Israël a pour sa part accueilli la nouvelle avec froideur. Dans un communiqué de presse, le ministère des Affaires étrangères a dit prendre bonne note de la décision de la procureure de fermer l’enquête sur l’incident. « Israël croit qu’il n’y avait pas de base légale pour ouvrir une enquête et regrette que les ressources de la Cour aient été allouées à une plainte non fondée et motivée par la politique », écrit le porte-parole israélien. Ce dernier ajoute cependant que l’État hébreu a des « réserves par rapport au raisonnement légal de la procureure et à certains énoncés non prudents de son rapport ».

Experte du droit pénal international et professeure à l’Université Laval, Fannie Lafontaine n’est pas surprise de la décision de la procureure, notamment dans son évaluation de la gravité des gestes reprochés à Israël, mais elle croit que cette décision n’aidera pas la Cour pénale à redorer son image. « La Cour a un problème de crédibilité parce qu’elle ne s’intéresse qu’à l’Afrique. Il est temps qu’elle enquête sur des crimes ailleurs », dit Mme Lafontaine.

Celle-ci estime que la donne changera si l’Autorité palestinienne – que la Cour reconnaît en tant qu’État non membre des Nations unies – signe le Statut de Rome pour se joindre aux pays assujettis à la CPI. « La décision de la procureure est seulement sur l’incident de la flottille et non pas sur la question de la Palestine », note l’experte.

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