Chronique

Des espaces et des idées

Aimeriez-vous aller en réunion dans des salles qui ressemblent à une yourte ou à une cabane ? C’est possible dans les bureaux de San Francisco d’Airbnb, où tous les espaces pour se réunir sont des reproductions de propriétés listées sur la plateforme de location de logements.

Aimeriez-vous pouvoir piger à cœur de jour dans des paniers de fruits ou de bonbons ? Facile chez Google. Avoir accès à un gym en plein après-midi ? Pouvoir vous balancer, traîner sur des FatBoy ? Jouer au billard, au baby-foot ? Dans le monde de la techno, tout ça est tellement courant que c’est presque banal. Chez Amazon, on amène son chien, chez Spotify, on écoute, évidemment, tous de la musique. Chez Behavior, la société de jeux vidéo, ici à Montréal, dans le Mile-Ex, le chef de la cafétéria d’entreprise est un ancien de chez Joe Beef et de Grumman78.

Il y a longtemps que les entreprises, surtout celles qui sont dans un marché compétitif de recrutement, ont compris que pour convaincre des jeunes talents de venir travailler chez elles, et d’y rester, il fallait que le milieu de travail soit accueillant, voire amusant.

Dans les univers plus conservateurs, comme celui des banques, on commence à réaliser que c’est aussi important et que la créativité, la collégialité et la productivité sont influencées par des espaces physiques de travail en rupture avec les anciens modèles comme ceux qu’on voit dans la série The Office.

Avez-vous lu l’entrevue que Louis Vachon, PDG de la Banque Nationale, a accordée hier en ces pages à mon collègue Richard Dufour ?

Il y explique que le déménagement de la banque, qui quittera son immeuble de la rue De La Gauchetière pour une tour prochainement construite à l’angle Saint-Jacques et Robert-Bourassa, est rendu nécessaire pour que les bureaux répondent aux exigences du jour. « On le fait dans le but d’améliorer nos espaces de travail afin qu’ils soient collaboratifs, modernes et technologiques, a dit le PDG. C’est vraiment pour la rétention et le recrutement des employés. »

Dans l’entrevue, on apprend que l’immeuble sera construit le plus possible avec des matériaux et services canadiens, sinon carrément québécois, et qu’on vise des certifications LEED (pour le moins possible d’empreinte environnementale) et WELL (pour garantir le bien-être des occupants). De plus, il y aura un gymnase et une cafétéria et une garderie. Est-ce qu’on y servira des aliments locaux, voire bios ? Pour les petits comme pour les grands ? Ça serait logique, vu les efforts déployés pour tout le reste.

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J’ai maintenant vraiment hâte de voir quels seront les architectes retenus. Mon conseil à la banque, pour être réellement moderne ? Embaucher des femmes architectes et des femmes ingénieures. Donner des contrats à des professionnels issus des minorités.

Parce que c’est ça, aussi, la modernité et la qualité de vie au travail. Savoir profondément que les valeurs de l’entreprise pour laquelle on œuvre sont reflétées par des principes décisionnels omniprésents, donc appliqués vraiment partout, dans le moindre choix…

Et là, je ne parle pas de la banque en particulier, mais de toute entreprise.

Oui, il est crucial, pour collaborer, pour réinventer la roue, de pouvoir se voir et se parler dans des espaces décloisonnés. Dans tous les milieux de travail, c’est rendu une évidence. Et on veut des lieux, au boulot, pour faire du sport le midi et du yoga aussi – et même pour méditer ! Et on veut que le ménage soit fait avec des produits naturels et que la nourriture offerte soit aussi bonne que celle qu’on mange à la maison.

Bref, on veut tous des espaces qui nous inspirent. Pas qui nous dépriment. Donc du design intelligent. De la technologie qui fonctionne, qui facilite. Des matériaux pratiques qui n’empoisonnent pas l’air. Du café délicieux et équitable. De la lumière naturelle.

Mais peut-on ouvrir la discussion et la créativité par des espaces physiquement ouverts si les séparations hiérarchiques n’ont pas changé ? Est-ce qu’une transformation pratico-pratique des milieux de travail peut être réellement efficace sur le bien-être s’il n’y a pas de transformation des façons de se parler, de s’encourager, de se respecter ?

Ou, au contraire, c’est la fin des espaces fermés et des aménagements à l’ancienne qui peut être le point de départ crucial pour une transformation des rapports de travail ?

Peut-être que l’un ne va pas sans l’autre. Il y a de toute évidence quelque chose de déterminant mentalement dans le fait que les bureaux des patrons sont plus grands, plus fermés, plus imposants… Si soudainement il n’y a plus de murs et de portes pour souligner la hiérarchie, on peut aisément voir le sens du leadership se transformer.

J’ai hâte de voir les nouveaux bureaux de la banque et tous les nouveaux bureaux qui vont se construire à Montréal dans les prochaines années. Hâte de voir où on en est avec la réflexion sur cette relation entre le bâti et l’esprit. Hâte de voir jusqu’où on va aller dans la reconstruction des lieux et des idées.

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