santé

Les limiers de l’immunité

Au début de l’été, deux équipes montréalaises ont fait des avancées importantes pour la compréhension du système immunitaire. Leurs découvertes pourraient aider à guérir les maladies auto-immunes et le cancer. Voici deux portraits de scientifiques d’ici.

Un dossier de Mathieu Perreault

Science

Le surveillant du système immunitaire

Dans les maladies auto-immunes, comme le lupus ou l’arthrite, le système immunitaire attaque par erreur les cellules saines du corps humain. À l’inverse, dans la plupart des cancers, le système immunitaire reste silencieux devant la prolifération de cellules cancéreuses. Un chercheur de l’Université McGill vient de découvrir une molécule-clé dans ces deux phénomènes.

« On connaissait le gène impliqué dans la suppression du système immunitaire », explique Ciriaco Piccirillo, immunologue au centre de recherche du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) et auteur principal de l’étude parue en juin dans la revue Science Immunology. « Nous avons découvert que la protéine qu’il produit devait être associée à une autre protéine pour une bonne programmation des lymphocytes T régulateurs. »

Les lymphocytes T sont les molécules du système immunitaire qui ciblent les cellules étrangères (ils sont appelés T parce qu’ils se forment dans le thymus, organe situé dans le haut de la poitrine). Certains lymphocytes T, appelés régulateurs, modulent l’activité des véritables soldats, les lymphocytes T cytotoxiques. La nouvelle protéine qu’a découverte le professeur Piccirillo, nommée Tip60, collabore avec celle qui était déjà connue, produite par le gène FOXP3, pour programmer les lymphocytes T régulateurs (Tregs). Les Tregs ont une fonction cruciale pour inhiber l’activation du système immunitaire. Leur mauvais fonctionnement explique en partie les maladies auto-immunes et la prolifération des cancers.

« Les Tregs jouent un rôle dans une panoplie de maladies inflammatoires auto-immunes, comme le diabète infantile, l’arthrite, le lupus ou la sclérose en plaques, précise le professeur Piccirillo. Le système immunitaire n’est pas surveillé et il y a des réactions inflammatoires un peu partout. De l’autre côté du spectre, il y a le cancer, où la régulation est très dominante. Le système immunitaire a de la misère à se lever. »

Les chercheurs de McGill ont déjà un médicament à tester pour contrer les défauts du « tango » entre les protéines FOXP3 et Tip60. « C’est une banque de petites molécules qui viennent modifier l’association de ces deux protéines, explique M. Piccirillo. Nous sommes très excités à l’idée d’employer l’une ou l’autre de ces molécules pour le cancer. Nous testons maintenant au CUSM, dans un microenvironnement tumoral, comment on peut jouer sur l’interaction entre les deux protéines pour moduler le niveau de régulation qu’on veut. On teste à la fois sur des cellules humaines en éprouvette et sur des modèles animaux. Une étude préclinique de phase 1 est envisagée l’an prochain. »

Son équipe planche aussi sur une thérapie cellulaire qui réinjecterait aux patients des versions corrigées des protéines Tip60 défectueuses. La découverte pourrait aussi être appliquée aux premières phases de l’infection au VIH, quand le virus favorise la suppression du système immunitaire pour proliférer et ensuite tuer la plupart des lymphocytes T.

Les chercheurs montréalais, qui ont travaillé avec des collègues américains et japonais, notamment à l’Université de Pennsylvanie, qui disposait de la banque de molécules pouvant traiter les défauts de Tip60, ont fait cette découverte grâce à un petit patient né il y a un peu moins de 10 ans avec une maladie auto-immune très rare liée au chromosome X, appelée IPEX. Cette maladie est liée à une mutation rare du gène FOXP3.

« Nous avons travaillé à partir d’une demi-cuillère à thé de son sang, dit le professeur Piccirillo. Nous ne pouvions pas en prélever davantage, il avait 5 semaines. Depuis quelques années, nous sommes devenus le centre mondial de cette maladie très rare. » Le petit patient est mort à 7 semaines, et ses parents ne veulent pas donner d’entrevue au sujet de la découverte récente de l’équipe de McGill.

La compréhension du fonctionnement des Tregs est à peine plus récente. « Le premier groupe qui a décrit le fonctionnement du gène FOXP3 chez la souris, en 2003, était japonais, dit le Dr Piccirillo. Quelques mois plus tard, nous avons fait la même chose pour l’humain. »

Science

La persévérance des lymphocytes T

Quand un lymphocyte T s’attache à sa cible, elle est généralement condamnée. Sauf si le soldat du système immunitaire ne s’y attarde pas assez longtemps. Un chercheur de Maisonneuve-Rosemont a découvert deux molécules qui règlent la durée de l’attaque du lymphocyte T.

« Nous avons découvert le mécanisme qui contrôle combien de temps un lymphocyte T adhère à une cellule tumorale », explique Chris Rudd, immunologue au centre de recherche de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont et auteur principal de l’étude publiée en juillet dans la revue Nature Communications. « Il s’agit d’une enzyme qui détermine quand le lymphocyte T passe à une autre cible. »

La découverte est particulièrement importante parce que l’enzyme en question, appelée FAK1, peut être traitée par un médicament dont l’utilisation chez les humains a déjà été approuvé par les autorités sanitaires. Cela pourrait grandement accélérer l’approbation de ce médicament pour les traitements oncologiques. Le médicament a été mis au point parce que FAK1 contrôle aussi le mouvement d’autres cellules, mais n’est pas beaucoup utilisé.

Cette approche pourrait accélérer encore davantage la croissance de l’immunothérapie anticancer. « Les traitements actuels ont déjà sauvé des milliers de vies, dit le professeur Rudd. Je suis surpris qu’on n’en parle pas davantage. L’immunothérapie oncologique a été une révolution pour le traitement du cancer. Pour des mélanomes dont les traitements avaient des taux de succès de 25 à 30 %, voire incurables avec des métastases, on est passé à une réponse de 70 à 80 %. Mais les cellules cancéreuses ont un taux de mutation incroyablement rapide. Avec le temps, les traitements chroniques sont mis en échec. En utilisant notre médicament en conjonction, on pourrait beaucoup améliorer la situation. »

L’immunologue de Maisonneuve-Rosemont, qui enseigne aussi à l’Université de Montréal, va tester le médicament sur des souris au cours des deux à cinq prochaines années. Si cette étape est couronnée de succès, les tests passeront aux primates, puis aux humains. « Si c’est aussi efficace qu’on le prévoit, on pourrait avoir une approbation clinique en cinq à sept ans. Il y a beaucoup d’essais cliniques en immunologie oncologique à Montréal. »

Son équipe, qui a travaillé avec des chercheurs des universités de Cambridge, en Angleterre, et de Francfort, en Allemagne, a aussi trouvé une autre molécule impliquée dans le laps de temps qu’un lymphocyte T passe sur sa cible, une protéine appelée LAT donnant le signal de s’en détacher. Il n’y a pas pour le moment de médicament visant cette protéine, mais M. Rudd pense qu’en manipulant LAT, il devrait être possible d’utiliser cette voie pour augmenter la quantité de temps qu’un lymphocyte T passe sur une cellule tumorale.

Le professeur Rudd a été embauché l’an dernier par le centre de recherche de Maisonneuve-Rosemont. Auparavant, il avait passé une dizaine d’années à Cambridge, après avoir entrepris sa carrière à l’Université Harvard.

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