LITTÉRATURE QUÉBÉCOISE MAXIME RAYMOND BOCK

Justesse et rigueur

Des lames de pierre

Maxime Raymond Bock

Cheval d’août, 112 pages

En librairie mardi

Maxime Raymond Bock publie son troisième livre, Des lames de pierre, un roman court sur « l’affreux et magnifique » désir de trouver sa place dans l’écriture et dans le monde.

Les mots. L’importance des mots, du langage. Son tout premier livre le proclamait. Son troisième, Des lames de pierre, le confirme. Même si « les mots font souvent à leur manière », Maxime Raymond Bock s’avère un dompteur aguerri.

Son écriture profondément originale cherche toujours le mot juste. L’auteur les sculpte dans la phrase pour décrire la plus infime émotion humaine dans sa spectaculaire complexité. En tenant compte de la forme, du rythme, de la sonorité.

« Ce livre a un ancrage dans mon expérience. J’ai pratiqué la poésie pendant une dizaine d’années. Au fil du temps, mon écriture devenait de plus en plus formelle, mais détachée d’un rapport au monde qui donne sa qualité à la poésie. La littérature doit nous faire lever les yeux du livre et interroger le monde dans lequel on vit. J’ai appris beaucoup de choses en pratiquant une mauvaise poésie qui m’a permis d’écrire des fictions avec autant de vigueur que possible. »

Le livre interroge une amitié entre un jeune papa qui veut écrire et un vieux poète raté qui n’a presque pas publié. Ils se rencontrent sur la desserte de la littérature. Le premier souhaitant se servir des souvenirs du second comme modèle. Mais la volonté humaine fait aussi à sa manière.

« C’est un rapport de prof-élève, mais inversé. L’élève ne veut pas devenir comme son maître. Ils sont dans un rapport ambigu, étant de mauvaise foi par moments. Le narrateur a l’impression de profiter de cet homme étrange. Et Robert voit dans ce jeune homme la possibilité d’une postérité. »

Il lui racontera sa vie, enfin, des parties, vraies ou exagérées, dont un hallucinant et halluciné voyage en Amérique du Sud.

« Ça s’est fait assez intuitivement. Ce voyage, c’est le début de la déchéance de Robert. L’expérience traumatique de l’assassinat de son ami va le pousser dans la détresse. Le tourbillon des souvenirs représente sa déroute. C’est aussi un dialogue avec des écrivains sud-américains que j’aime comme Julio Cortázar et Roberto Bolaño. »

Ce passage donne son titre au livre. Les lames de pierre représentent ces éléments de mémoire fragmentée, les sédiments d’une vie tourmentée.

« Comment raconter un passé qui nous échappe ou qu’on se fait raconter par, semble-t-il, quelqu’un qui prend ses aises avec la réalité peut-être volontairement, peut-être involontairement aussi ? C’est le nœud du texte. »

FORME INTERMÉDIAIRE

Les mots, donc, sont importants. La rigueur et la justesse, qu’il dit devoir au grand poète Jacques Brault, pourraient décrire la démarche de l’auteur de 33 ans. Il signe ici une novella, forme intermédiaire entre nouvelle et roman.

« J’avance dans une exploration un peu plus longue de la fiction sans penser au roman. J’avais l’envie de faire un recueil de trois novellas à la Jim Harrison. J’ai terminé le premier jet du deuxième de trois et, par sa nature différente, un récit autobiographique, j’ai décidé de publier Des lames de pierre seul. Pour moi, il n’était pas question d’un roman. »

Dans cet univers sombre et graveleux, c’est encore l’écriture qui garde en vie ce Robert Lacerte, poète de ruelle, apôtre de la contre-culture « toujours à la remorque d’un autre ».

NOUVEL ÉDITEUR, NOUVEAU PRÉNOM

Ce qui n’est pas le cas de Maxime Raymond Bock, lui qui s’appelait Raymond Bock sur la couverture de ses deux premiers livres au Quartanier, Atavismes et Rosemont de profil.

« Quand j’ai commencé à publier en revue, l’utilisation de mes noms de famille permettait de mettre une certaine distance entre la publication et ma personne. Ce sont des questions personnelles aussi. Je travaille énormément sur des sujets de filiation familiale et collective. Mais en décidant de changer de maison d’édition, j’ai senti que c’était le temps d’assumer mon identité. »

Il est qui il est aux yeux de tous désormais. Enfin, pas trop ou trop souvent. Écrire reste un travail long et sérieux. Un acte solitaire.

« Ce n’est pas un enjeu pour moi d’être rémunéré avec de l’argent ou une reconnaissance institutionnelle. L’important, c’est de dialoguer avec les écrivains que je lis et de laisser toute la place à la littérature dans ma vie. Celle que je veux lui laisser. Je suis lent et remets tout en question. J’ai un manuscrit que je pourrais publier l’an prochain, mais je n’en vois pas l’intérêt, pas plus que d’avoir une présence soutenue dans les médias. »

LA BEAUTÉ DES MOTS

De ce récit dur émergent la force et la beauté des mots, celle de la richesse du langage.

OBOMBRER :  couvrir quelque chose d’une ombre, cacher.

« une excroissance plus grande […] qui obombrait choses et êtres autour »

GRAILLON : odeur désagréable de graisse brûlée, d’aliments frits

« l’odeur de graillon de son appartement »

ENGEANCE : catégorie de personnes jugées méprisables

« des hommes costauds qu’il reconnaissait de l’engeance fuie dans le bois »

ROUFLAQUETTES : mèches qui descendent sur la joue

« elle en robe bleue, lui avec d’énormes rouflaquettes »

SYLPHIDE : femme gracieuse et légère

« costumée en marquise, en sylphide ou en ménagère »

EXTRAIT

Des lames de pierre, de Maxime Raymond Bock

« Je cherchais comment recommencer à écrire et je ne trouvais rien. Toujours les mêmes mots dont les sens s’étaient évaporés saturaient mon esprit, j’étais incapable de lire au-delà de ce que mon travail de réviseur m’imposait, des pubs ineptes, des rapports d’entreprises en franglais, des revues de tourisme et de mécanique, des manuscrits à peine meilleurs que les miens. Mes enfants accaparaient mon espace vital, m’aspirant jusqu’à la moelle, il me semblait me flétrir pour eux, qui à l’inverse s’épanouissaient. Sous mes yeux s’étaient creusées des poches que les bonnes nuits de sommeil, quand j’en avais, ne parvenaient pas à effacer. J’étais terrorisé par mes stylos. Quand je voyais poindre un moment où je pourrais tenter d’écrire, les fins de semaine où les petits allaient chez leurs grands-parents ou durant les nuits nerveuses où je n’en pouvais plus d’écouter Joanie dormir, je l’épuisais en m’égarant dans internet. Quand Robert m’est apparu, un soir de juin, dans un parc de Hochelaga où la Vanne à poèmes faisait sa tournée, je m’étais à peu près résigné à l’idée que je n’écrirais plus. »

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