procréation post-mortem

Devenir parent après sa mort

Donnerez-vous la vie après votre mort ? Avec les milliers d’embryons qui s’accumulent dans les congélateurs des cliniques de fertilité, la possibilité pour une veuve ou un veuf d’avoir un enfant avec son partenaire qui s’est éteint est bien réelle.

Trois ans après sa mort dans un incendie, le conjoint de Sarah est devenu père pour la deuxième fois grâce à la procréation post-mortem.

« Je le sais qu’il serait super heureux », a confié la veuve à La Presse, la semaine dernière. « Il en voulait deux. »

Ni miracle ni science-fiction, cette façon de déjouer le destin à l’aide d’un embryon congelé du vivant du défunt soulève des questions sérieuses, selon plusieurs éthiciennes.

Au Québec, une fois le formulaire des cliniques de fertilité signé par les parents, « il n’y a pas de limites biologiques et il n’y a pas de limites juridiques » à cette pratique, a expliqué l’une d’elles.

Ici, rien n’empêche une veuve de porter l’enfant de son conjoint très longtemps après la mort de celui-ci. Même chose pour un veuf qui voudrait faire appel à une mère porteuse.

Le cas de Sarah n’est pas unique dans la province. Au moins trois enfants sont nés de cette façon au cours des dernières années. Et le phénomène n’ira pas en diminuant : des milliers d’embryons – en plus de sperme et d’ovules – sont entreposés dans les cliniques de fécondation in vitro au Québec.

Nés orphelins

« La semaine passée et hier, mon gars pleurait, il me disait qu’il voulait son papa. Je lui ai dit que j’allais essayer de lui en trouver un », a relaté Sarah en entrevue à La Presse. « Il m’a dit qu’il voulait son vrai papa. Je lui ai expliqué que ce n’était pas possible, qu’il était décédé. »

Sarah, qui refuse que son nom de famille soit rendu public, savait bien qu’elle accoucherait d’un orphelin lorsqu’elle s’est rendue à la clinique OVO, en 2015, pour devenir enceinte de son conjoint mort en 2013. Le couple avait fait congeler des embryons quelques années plus tôt, après des tentatives infructueuses de concevoir naturellement.

« Faire des enfants avec des pères différents, je trouve ça moche. »

— Sarah

La première implantation avait échoué, mais Sarah est ensuite tombée enceinte naturellement. Son aînée se trouvait dans son ventre depuis deux mois lors de la tragédie qui a emporté son mari. Il laissait derrière lui un embryon congelé. Trois ans plus tard, Sarah donnait un petit frère à sa fille.

« J’aurais attendu plus longtemps », a-t-elle expliqué, « mais la fin de la gratuité arrivait ».

Alors que sa fille conçue naturellement a eu droit à une rente d’orphelin du gouvernement du Québec, son fils a essuyé un refus – la loi prévoit un délai maximal de 300 jours entre la mort et la naissance. « Je trouve ça tellement injuste. Je suis tannée, fatiguée », a expliqué Sarah.

Ce n’est pas le seul problème juridique auquel font face les enfants nés de la procréation post-mortem : en 2017, une famille s’est déchirée jusqu’à la Cour d’appel du Québec pour savoir si un enfant né 16 mois après la mort de son père avait droit à sa part de l’héritage de celui-ci.

Chaque fois, la justice soulignait les questionnements « éthiques et sociaux » soulevés par cette pratique.

De nombreux enjeux éthiques 

Les juges ne sont pas les seuls à s’interroger. Il y a « plusieurs » enjeux éthiques derrière cette pratique, a indiqué Vardit Ravitsky, professeure à l’Université de Montréal. « Ce n’est pas que je pense qu’il faut limiter le choix [dans ce cas de la femme], mais […] parfois, il y a de la pression sur la femme de procéder à la procréation post-mortem, parfois par les parents de l’homme décédé. »

« Est-ce qu’il faudrait exiger un certain délai pour s’assurer que la femme en deuil ne prenne pas une décision émotive ? Et puis, il y a toutes les questions liées au bien-être de l’enfant. »

— Vardit Ravitsky, professeure à l’Université de Montréal

« On ne peut pas juste se dire que c’est épouvantable, la création délibérée d’un orphelin », a souligné Michelle Giroux, professeure à l’Université d’Ottawa, soulignant que beaucoup d’enfants naissaient avec un seul parent sans que la société y voie un drame. « On est à une ère où le désir d’enfant est assez facilement réalisable, la science a permis la réalisation plus facile d’un désir d’enfant. »

Stéphanie Côté, chercheuse qui a rédigé sa thèse de doctorat sur la procréation post-mortem, estime que la volonté des parents devrait rester le critère essentiel pour autoriser un médecin à procéder.

En périphérie, il faut toutefois « assurer un environnement qui favorise l’équité pour les enfants nés et à naître », a-t-elle souligné. « Actuellement, il y a une forme de discrimination en fonction des circonstances de la naissance de l’enfant », a-t-elle dit, donnant en exemple la rente d’orphelin refusée au fils de Sarah.

Elle souligne que l’Ontario s’est doté d’un encadrement qui prévoit même la possibilité qu’un veuf veuille avoir un enfant de sa conjointe décédée en utilisant une mère porteuse. « Nous, on est à des années-lumière de ça », a-t-elle dit.

Serez-vous parents posthumes ?

Des milliers de Québécois ont donné sans le savoir la permission à leur partenaire d’avoir leurs enfants après leur mort, suggère une recherche menée à l’Université de Montréal.

Stéphanie Côté et Vardit Ravitsky se sont penchées en 2014 sur 500 formulaires de consentement qu’une clinique de fertilité a fait signer à des couples qui s’engageaient dans un processus de fécondation in vitro.

62 % des femmes

74 % des hommes

Pourcentage d’hommes et de femmes qui avaient coché la case autorisant leur partenaire à utiliser les embryons congelés après leur mort dans les 500 formulaires de consentement étudiés

Mme Côté a ensuite contacté plusieurs de ces individus. « Ce qui ressortait, c’est que plusieurs personnes n’avaient pas compris ce à quoi elles avaient consenti », a-t-elle dit en entrevue. « C’est pas un consentement vraiment éclairé. » De plus, les formulaires ne prévoyaient pas d’espace pour limiter le consentement à une période de quelques mois ou années après la mort.

Pour la chercheuse, c’est la principale question éthique que soulève l’enjeu de la procréation post-mortem : le défunt avait-il vraiment accepté, de son vivant, de donner la vie à d’autres enfants ? « Même les professionnels de la santé sont peu informés sur ça », a expliqué Mme Côté.

Le point de vue des cliniques

« On n’a jamais fait ça, mais on peut faire ça si ç’a été écrit clairement. On a une ligne à ce sujet dans notre formulaire de consentement. […] On a [alors] besoin d’une évaluation psychologique, sociale et éthique. » 

— William Buckett, Centre de reproduction du CUSM

« Nous avons effectué des inséminations post-mortem uniquement avec le consentement d’utilisation signé qui accorde ce droit au partenaire vivant. Dans ces cas, nous demandons que le/la patient(e) qui voudrait avoir le traitement rencontre un psychologue afin de discuter du projet et nous nous assurons que le/la patient(e) n’est pas encore en deuil avant de procéder au traitement. »  — Chloé Plénet, clinique OVO

« On a effectivement fait un cas d’[insémination intrautérine] post-mortem chez Procrea dans le passé. […] On demande que la conjointe attende un an minimum [après la mort]. » 

— Karen Buzaglo, clinique Procréa

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