Québecor serre la vis à ses chroniqueurs

Choisissez votre camp. C’est nous ou c’est eux. Plusieurs chroniqueurs vedettes de LCN, de TVA et du Journal de Montréal, qui collaborent depuis des années à des stations de radio de Cogeco ou de RNC Média, ont récemment dû renoncer à de lucratifs contrats pour se consacrer entièrement à leur employeur, Québecor.

Pourquoi ? Parce que Québecor reluque le marché de la radio et désire regrouper ses stars à la même antenne pour décupler sa force de frappe. Québecor inaugurera même une webradio à l’automne, selon mes informations, mais le but ultime de l’entreprise de Pierre Karl Péladeau demeure d’obtenir une « vraie » fréquence sur la bande FM, autant dans le marché de Montréal que dans celui de Québec.

Voilà pourquoi Québecor a imposé cette mesure protectionniste limitant le champ d’action de ses têtes d’affiche. La clause d’exclusivité convergente vise notamment Mario Dumont, Richard Martineau, Jonathan Trudeau, Antoine Robitaille et Luc Lavoie.

À Montréal, Mario Dumont a été confronté à ce choix, qui n’en est pas vraiment un, soyons honnête. Ça ressemble plus à un ordre : Québecor ou Cogeco ?

Mario Dumont entame ses journées au 98,5 FM de Cogeco depuis plusieurs saisons dans l’émission Puisqu’il faut se lever de Paul Arcand, pour ensuite traverser à LCN, une station de la galaxie Québecor.

Cette garde partagée n’a pas dérangé ses patrons à LCN jusqu’à ce que l’idée de la webradio de Québecor naisse. Évidemment que Mario Dumont, qui signe des chroniques d’opinion dans Le Journal de Montréal, occupera une place importante dans la grille de cette future webradio.

Dumont a donc dû abandonner son poste dans la commission Dumont-Curzi. Son remplaçant n’a pas encore été annoncé et le nom de Denis Coderre, qui a été testé en ondes au début du mois de mai, alimente plusieurs scénarios.

J’ai posé la question directement à Mario Dumont. Son départ du 98,5 FM est-il lié au fait que Québecor exige de ses vedettes de ne plus sortir du périmètre tracé par l’Empire ? Sa réponse : « La cause est un peu plus compliquée que ça et elle sera mieux comprise en septembre. »

Québecor aurait proposé à Mario Dumont de nouveaux défis, qui compliqueraient l’organisation de son horaire. En coulisses, la rumeur gronde que Mario Dumont piloterait une émission à une heure de grande écoute à LCN.

Le cas de Mario Dumont aurait servi d’exemple pour tous les chroniqueurs montréalais de Québecor Média. 

Si la consigne d’exclusivité s’applique à Mario Dumont, qui trône au sommet de la pyramide, elle s’applique à tous les autres employés, sans exception. Du journaliste au chroniqueur. Le signal envoyé par Québecor ne pouvait pas être plus clair.

D’ailleurs, les reporters du Journal de Montréal qui sortent des scoops ou qui publient de costaudes enquêtes n’obtiennent plus la permission d’en parler à Paul Houde au 98,5 FM ou sur le plateau de Tout le monde en parle. Tout doit rester dans l’écosystème de Québecor, de plus en plus refermé sur lui-même.

À Québec, Richard Martineau et Jonathan Trudeau ont annoncé à la direction de CHOI Radio X qu’ils ne copiloteront plus leur émission Martineau-Trudeau en septembre. Eux aussi suivent la ligne du parti. Les deux écrivent dans Le Journal de Montréal, en plus d’apparaître à LCN. Les deux ont décliné nos demandes d’entrevue hier.

Le chef du bureau d’enquête à l’Assemblée nationale pour les quotidiens de Québecor, Antoine Robitaille, a également dû trancher entre Cogeco et Québecor. Québecor l’a emporté et Robitaille, un brillant communicateur, disparaîtra de l’émission Drainville PM du 98,5 FM à la rentrée.

Antoine Robitaille n’a pas souhaité commenter la situation hier. Il décortique quotidiennement la politique dans l’émission de Bernard Drainville, aux côtés d’Alec Castonguay, de L’actualité.

Bernard Drainville, qui joue sur les deux tableaux (Cogeco et Québecor), se trouve dans une position fort délicate. C’est confirmé qu’il conservera son micro au 98,5 FM pour la saison 2018-2019. Ce qui signifie qu’il perdra, selon toute vraisemblance, sa place à La joute sur les ondes de LCN. Joint hier, Bernard Drainville a refusé de discuter de son avenir.

L’histoire de Luc Lavoie, autre débatteur de La joute à LCN, est différente. Il aurait signé son contrat avec le 98,5 FM avant que la clause d’exclusivité de Québecor ne soit officiellement mise en vigueur. Comme il a refusé de résilier son entente écrite avec Cogeco, Québecor lui a montré la porte.

Et si Québecor se débarrasse de Luc Lavoie, un des plus fidèles défenseurs de l’entreprise, même dans ses pires moments de lock-out, personne n’est à l’abri d’un congédiement.

Le directeur général du 98,5 FM, Philippe Lapointe, qui a longtemps dirigé TVA, a eu cette réaction hier : « Nous, on n’empêche pas nos gens de faire de la télévision. Tout ça, c’est de la gestion interne de Québecor, que je ne commenterai pas. »

Lise Ravary, qui collabore au Journal de Montréal et aux émissions radiophoniques d’Isabelle Maréchal et de Paul Houde, affirme ne pas avoir été soumise à la même règle contraignante que ses collègues Dumont, Martineau, Robitaille et Lavoie.

Mais entre vous et moi, qui gagne dans ces guéguerres de pouvoir ? Certainement pas le lecteur ou l’auditeur. La libre circulation des chroniqueurs permet la libre circulation des idées, sans compter le rayonnement supplémentaire que cela procure aux différents médias impliqués, non ?

La convergence a ses raisons que la raison ne connaît point.