Opinion  Think tanks conservateurs

L’armée de l’ombre de Donald Trump

Le président désigné a dévoilé ses couleurs en repêchant plusieurs membres de groupes de réflexion conservateurs pour former son équipe

Dis-moi dans quels think tanks tu recrutes, je te dirai qui tu es. Alors que Donald Trump assemble peu à peu sa future administration, il lorgne, comme la plupart de ses prédécesseurs, du côté des « groupes de réflexion » pour recruter ses experts et futurs fonctionnaires. Plusieurs dizaines de membres de son équipe de transition en sont issus.

Bien que peu publicisées, ces nominations mettent en évidence l’orientation de la présidence Trump : les think tanks conservateurs et économiquement libertariens sont omniprésents dans les équipes recrutées pour conseiller la prochaine administration. Rien de bien surprenant, pourrait-on rétorquer. Les nominations au cabinet exécutif, qui inclut des généraux, des financiers et des magnats du pétrole, annonçaient déjà clairement la couleur.

Ce recours important aux think tanks de droite pour peupler la bureaucratie fédérale n’en constitue pas moins un signal intéressant. La grande machine administrative américaine, connue pour ses lourdeurs procédurières et ses inerties, est souvent décrite comme un frein naturel aux initiatives présidentielles.

Avec le recrutement d’une petite armée d’experts conservateurs, M. Trump suggère une intention de faire tomber cette ligne fortifiée.

En effet, contrairement aux universitaires, les spécialistes des think tanks proposent une expertise basée sur les besoins des décideurs. Lorsqu’ils intègrent une administration, ils arrivent avec des projets de politiques publiques mûris depuis longtemps, déjà prêts à l’emploi. Or, on peut déjà entrevoir, d’un secteur à un autre, quels think tanks, et donc quelles idées, contribueront à façonner les actions de la Maison-Blanche à partir de l’année prochaine.

Climatosceptiques et libertariens

Le domaine environnemental nous en fournit de premiers aperçus. Dans l’équipe préparant la reprise du département de l’Énergie, par exemple, figurent des membres de l’Institute for Energy Research, un think tank climatosceptique proche de l’industrie pétrolière. Au sein de l’équipe destinée à l’Agence de protection de l’environnement, on trouve plusieurs experts de groupes libertariens anti-régulations climatiques, comme le Competitive Enterprise Institute ou la Heritage Foundation.

Cette dernière, l’un des think tanks les plus conservateurs et influents de Washington, a de fait essaimé dans presque toutes les branches de l’équipe de transition : déjà, une quinzaine de ses membres ont rejoint les groupes travaillant sur les enjeux de budget, de la défense ou de la santé. La future secrétaire aux Transports, Elaine Chao, en provient elle aussi.

Le phénomène s’étend aussi aux équipes travaillant sur la sécurité nationale, où sont représentés plusieurs think tanks très « faucons » : l’American Enterprise Institute, la Foundation for Defense of Democracies, ou encore le Council on Global Security, dont les publications témoignent d’une ligne assez virulente à l’encontre de l’Islam.

Leur présence dans l’équipe de transition laisse entrevoir un retour en grâce de l’idéologie néoconservatrice.

La liste, à vrai dire, s’étend à presque toutes les branches du gouvernement. Parmi l’équipe qui prendra les rênes du département du Travail figurent des experts du Manhattan Institute et du Mackinac Center, deux think tanks promouvant d’importantes dérégulations économiques. Au département de l’Intérieur, on trouve des membres issus du Cato Institute et de la Texas Public Policy Foundation, deux autres défenseurs majeurs du libre marché et du « moins d’État ».

Contre les bureaucrates

Si l’on a pu dire de Donald Trump qu’il n’avait pas d’allégeance idéologique bien définie, et peu de projets politiques planifiés, la liste des think tanks dans lesquels il a pigé pour former son équipe témoigne qu’il s’entoure de gens qui possèdent chacun des deux. D’ici l’entrée en fonction du président désigné, les membres de ces groupes de réflexion devraient vraisemblablement tous être nommés à des postes de hauts fonctionnaires.

Apparemment secondaires dans la grande machine gouvernementale, ils n’en seront pas moins la courroie de transmission des idées de Donald Trump auprès de la bureaucratie récalcitrante de Washington. Alors que beaucoup de commentateurs veulent croire que le milliardaire new-yorkais s’embourbera dans le marais politique qu’il a promis de drainer, ces experts de l’ombre ont désormais pour mission de leur donner tort.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.