Opinion  Jacques Parizeau 1930-2015

L’indépendantiste original

Jacques Parizeau n’a pas soutenu que l’appartenance au Canada n’ait été que négative, seulement qu’elle avait cessé d’être nécessaire

Jacques Parizeau a dit avoir regretté de ne pas avoir accepté l’offre qui lui avait été faite, à la fin de ses études au London School of Economics, d’entreprendre une carrière académique dans cette institution. Il est très probable qu’il aurait pu apporter une contribution exceptionnelle à la science économique.

Pareillement, on ne peut que rêver à la contribution qu’il aurait pu faire à la cause d’un Canada uni s’il avait choisi d’y investir ses exceptionnels talents. C’est l’autre option qu’il a choisie, celle d’un Québec indépendant, et il faut respecter ce choix.

Mais il faut aussi s’efforcer d’en comprendre les raisons, car, au moins sous deux aspects, elles sont très originales par rapport aux thèses habituelles du mouvement indépendantiste québécois.

Jacques Parizeau, en effet, n’a jamais soutenu que l’appartenance au Canada n’ait été que négative pour les Québécois. Il s’est plutôt déclaré de l’avis qu’elle avait cessé d’être nécessaire. Pas davantage n’a-t-il exprimé l’idée que la fédération canadienne était trop centralisée. Il a plutôt affirmé le contraire : c’est parce qu’elle était trop décentralisée que le Québec devait en sortir, selon lui.

En tant qu’artisan de la Révolution tranquille, M. Parizeau a reconnu le rôle moteur qu’a joué le gouvernement fédéral.

« Avant la Révolution tranquille, déclare-t-il dans une entrevue accordée à Robert-Guy Scully le 22 janvier 1999, tous ceux qui ont développé parmi les jeunes Québécois une expertise économique, il n’y en a pas tant que ça, travaillent à Ottawa. C’est à Ottawa que les choses se passent. C’est Ottawa qui a créé le système de sécurité sociale au Canada, la politique de reconstruction qu’on a faite après la Deuxième Guerre mondiale. Le gouvernement sérieux, c’est Ottawa. Québec est une espèce d’officine politique, un peu patronage. (…) À partir des "Désormais" de Sauvé, (…) beaucoup de ceux qui (…) travaillent à Ottawa pour des commissions d’enquête ou comme consultants dans tel ou tel ministère se rabattent vers Québec et d’abord sont un peu horrifiés de voir ce qu’ils trouvent. »

DEUX « GOUVERNEMENTS SÉRIEUX »

M. Jacques Parizeau est sans doute celui qui a le mieux exprimé cette conception jacobine de la société politique qui exige que le siège de l’autorité ne réside qu’en un seul lieu. En 1967, lors de sa fameuse conférence à Banff, où il s’était déclaré indépendantiste, il affirmait déjà que le Canada était tombé dans « l’anarchie » parce que « nous avons poussé déjà trop loin » la décentralisation : « nul pays ne devrait être autorisé à fragmenter son pouvoir de décision comme nous l’avons fait (…) ». 

Le 28 février 1999, à Québec, il répétait la même conviction : « Il est absolument impératif que le gouvernement fédéral, pour être capable de garder les pouvoirs d’un véritable gouvernement et de déterminer des politiques à suivre, centralise ce qui est une fédération extraordinairement décentralisée ».

Le Canada va se centraliser, le Québec doit en sortir : telle est la prophétie de M. Parizeau, immuable depuis les années soixante. Je suis persuadé qu’elle est fausse et que M. Parizeau a tiré la mauvaise conclusion d’une Révolution tranquille à laquelle il a tant contribué.

Nous pouvons et nous devons avoir deux « gouvernements sérieux », pour reprendre l’expression de M. Parizeau. Deux gouvernements qui ont leurs propres perspectives, qui sont sujets à différentes influences et qui, par une saine émulation, apprennent l’un de l’autre ainsi que des autres gouvernements de notre fédération.

Mais voilà un débat qu’il aurait été bon de poursuivre avec Jacques Parizeau.

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