Vers les élections américaines de mi-mandat

Qui gagnera la faveur des Floridiens ?

La vague bleue qui déferlera sur le pays leur permettra de reprendre le contrôle du Congrès et freinera les velléités de Donald Trump. Voilà ce qu’espèrent les démocrates lors des élections de mi-mandat. Pour y arriver, le parti déploie depuis des mois l’artillerie lourde dans les régions où Donald Trump l’a emporté de peu en 2016. État pivot par excellence, la Floride est ainsi devenue l’un des principaux champs de bataille de ce scrutin.

Un reportage de Laura-Julie Perreault, envoyée spéciale en Floride

Gouverneur de l’État

Un « socialiste » au pouvoir ?

Se disant ouvertement « socialistes » ou « sociaux-démocrates », une kyrielle de nouveaux visages de la gauche du Parti démocrate tenteront de s’imposer aux élections de mi-mandat. Aucun ne suscite autant d’espoir qu’Andrew Gillum, le maire de la capitale de la Floride qui espère reprendre aux républicains le manoir du gouverneur de l’État. Portrait.

« Le gouverneur de tous »

Un groupe d’une cinquantaine d’étudiants de l’Université A & M de Floride (FAMU) marche d’un pas rapide, coude à coude, dans les rues de Tallahassee. Les journalistes font du mieux qu’ils peuvent pour suivre le rythme. « De quoi ça a l’air, la démocratie ? Ça a l’air de ça, la démocratie ! », crient-ils à tue-tête. En tête du peloton se trouve Andrew Gillum, 39 ans, diplômé de la FAMU, actuel maire de Tallahassee et candidat démocrate au poste de gouverneur de la Floride, poste qu’a occupé Andrew Jackson avant qu’il ne devienne le septième président des États-Unis. Un siège plus tard occupé par Jeb Bush, qui a joué un rôle central en 2000 lorsque son propre frère a remporté la présidence contre Al Gore avec seulement 537 voix d’avance en Floride. S’il gagne son pari le 6 novembre, Andrew Gillum sera le premier Noir à élire domicile dans le manoir du gouverneur de la Floride. « Je serai le gouverneur de tous, pas seulement celui des bien nantis. Vous devez voter comme si votre vie en dépendait, parce qu’elle en dépend », a lancé Andrew Gillum à ses jeunes partisans avant le début de la marche, ce qui lui a du coup asséné un air d’urgence.

« Pour l’âme de l’Amérique »

Le candidat n’est pas le seul à parler de manière hyperbolique de l’élection qui aura lieu mardi prochain pour le plus haut poste de l’État de Floride. Lors d’un rassemblement politique en soutien au candidat démocrate, l’ancien vice-président des États-Unis Joe Biden a parlé d’« une bataille pour l’âme de l’Amérique ». Le rival républicain de M. Gillum, Ron DeSantis, 40 ans, est un partisan indéfectible de Donald Trump et de ses politiques en matière d’immigration, de fiscalité, d’environnement. D’ailleurs, pour lui venir en aide, le président américain a fait deux apparitions cette semaine en Floride. Les démocrates ne ménagent pas leurs efforts non plus. Figure la plus populaire du parti, l’ancien président Barack Obama a pris la parole en Floride cette semaine, en chantant les louanges d’Andrew Gillum et en notant l’importance de ce scrutin qui prend des airs d’affrontement symbolique entre deux extrêmes : une Amérique progressiste et celle de la droite trumpienne.

Le candidat « socialiste »

En remportant l’investiture démocrate en août dernier, Andrew Gillum a pourtant causé la surprise en coiffant au poteau plusieurs candidats de l’élite démocrate de Floride. Le maire de 39 ans est issu de l’aile gauche du parti, aile qu’a fait connaître Bernie Sanders – qui se décrit lui-même comme un socialiste – et que consolide depuis le mouvement qu’il a mis sur pied, Our Revolution (Notre révolution). D’autres candidats de cette mouvance, dont Rashida Tlaib, au Michigan, et Alexandria Ocasio-Cortez, dans l’État de New York, figurent aussi sur les bulletins de vote des élections de mi-mandat. Les promesses d’Andrew Gillum incluent la hausse du salaire minimum à 15 $ l’heure, la hausse des taxes des entreprises afin de financer l’éducation publique, la légalisation de la marijuana ainsi qu’un contrôle beaucoup plus sévère des armes à feu. Le candidat a d’ailleurs interrompu sa campagne vendredi soir pour retourner à Tallahassee, où un tireur a fait deux morts et trois blessés dans un centre de yoga. Il y a réitéré sa volonté de restreindre l’accès aux armes en Floride. « Aucun acte de violence par arme à feu n’est acceptable », a-t-il tweeté. La mise sur pied d’un système de santé pour tous calqué sur celui du Canada figure aussi sur sa liste d’engagements. « Moi, Andrew Gillum m’a eu en disant les mots : “soins de santé pour tous” ! dit Christopher Dorcellus, un étudiant de l’Université A & M de Floride qui participe à la marche de Tallahassee auprès du candidat au poste de gouverneur. Peut-être que ce sera difficile d’amener la Floride plus à gauche au début, mais ça vaut la peine d’essayer », dit le jeune Noir de 22 ans.

Le vent dans les voiles

La marche des étudiants se termine près d’un bureau de vote de Tallahassee, ouvert tous les jours pendant deux semaines pour le vote par anticipation. Plus de 200 jeunes – la plupart âgés de moins de 25 ans – assistent aux discours politiques pro-Gillum exhortant tous à enregistrer leur voix le plus rapidement possible. « Vous êtes le début de la cavalerie. Vous êtes en train de montrer le chemin à tous. On ne peut pas rester assis et ne rien faire lors de cette élection. Les gens disent que les jeunes ne sont pas assez disciplinés pour voter, que vous ne prendrez pas le temps de voter pour dire que vous en avez assez des tueries de masse ! Vous devez montrer qu’ils ont tort. Qu’ils ne peuvent pas vous ignorer », lance Andrew Gillum à la foule. Le candidat est fort conscient que c’est auprès des électeurs de moins de 29 ans que les idées de gauche sont les plus populaires et il a décidé de faire la tournée des campus de l’État.

Un concept changeant

Selon un sondage Gallup d’août dernier, plus de 51 % des jeunes Américains de 18-29 ans – nés juste après la guerre froide – voient aujourd’hui le socialisme de manière positive. Parmi les partisans du Parti démocrate, cet intérêt est encore plus fort : 57 % des supporteurs démocrates sondés voient d’un bon œil le socialisme, alors que seulement 47 % d’entre eux ont une opinion favorable du capitalisme. Dans son étude, le sondeur note que le terme ne veut plus dire la même chose qu’au siècle dernier. « Le socialisme est un concept ouvert à plusieurs interprétations. Dans les années 40, Gallup décrivait le socialisme comme la nationalisation des entreprises – une position que ne défendent pas les candidats démocrates de la gauche. Le socialisme américain d’aujourd’hui semble plutôt prendre la forme d’un ensemble de programmes sociaux pris en charge par le gouvernement pour assurer les besoins fondamentaux de la population en matière de santé, d’éducation, de logement et d’emploi », écrit la maison Gallup à la fin de son étude.

L’effet Castro

Si ses idées sont résolument à gauche, Andrew Gillum ne se décrit pas lui-même comme un socialiste, mais plutôt comme un « démocrate libéral » avec des affinités pour les idées sociales-démocrates de la Scandinavie, note James Hall, journaliste du Tallahassee Democrat qui suit la campagne de près. « Il n’est pas plus socialiste que Franklin Delano Roosevelt, Harry Truman et Lyndon B. Johnson ne l’étaient », ajoute-t-il, en parlant des idées progressistes de certains présidents démocrates. « Ce sont les républicains et certains médias qui lui ont accolé le terme de socialiste. » Dans le sud de la Floride, qui abrite une grande diaspora cubaine de près de 1,5 million de personnes largement anticastriste, ce mot fait peur. « Pour la majorité des Américano-Cubains, traiter quelqu’un de socialiste équivaut à utiliser un juron pour insulter leur grand-mère, dit Olga Perez, Américaine d’origine cubaine de Miami. Mais pour moi, ce qui est important, ce n’est pas les étiquettes, mais bien les idées défendues », soutient la jeune femme rencontrée à Miami Beach.

Au-delà des étiquettes

De nombreux électeurs rencontrés en Floride partagent ce point de vue. Ils ne comptent pas s’arrêter aux étiquettes lors du vote de mi-mandat. Ils s’intéressent aussi à l’homme derrière la candidature. Andrew Gillum n’a peut-être que 39 ans, ce fils de chauffeuse d’autobus et de travailleur de la construction a été élu conseiller municipal à l’âge de 23 ans et a pris les rênes de la mairie à 34 ans. Il est dans l’embarras depuis que des documents, montrant qu’il a accepté des cadeaux d’un agent du FBI déguisé en lobbyiste, ont fait surface. Son rival, lui, est un diplômé de Harvard, a servi dans les forces armées pendant la guerre en Irak et est élu à la Chambre des représentants depuis 2013. Il soutient Donald Trump depuis le début, le défend avec ardeur sur les ondes de Fox News et est vertement critiqué pour ses liens avec des suprémacistes blancs qui ont financé en partie sa campagne. C’est entre ces deux hommes que la Floride fera un choix, ce qui laissera présager de la direction dans laquelle son cœur penchera lors de la prochaine élection présidentielle de 2020. Au moment de publier ces lignes, Andrew Gillum avait tout près de trois points d’avance dans les sondages.

En Floride

Présidentielle, 2016

Donald Trump : 48,6 %

Hillary Clinton : 47,4 %

Taux de satisfaction envers le président Donald Trump

Floride : 47 %

États-Unis : 42 %

Source : sondages compilés par Fivethirtyeight, sondage SSRS pour CNN

Chambre des représentants

La bataille de Miami

Vingt-six sièges de plus. Voilà ce que les démocrates espèrent remporter aux élections de mi-mandat de mardi pour reprendre le contrôle de la Chambre des représentants et faire barrage au président Trump. Malgré les controverses qui entourent ce dernier, la bataille est plus rude qu’escompté, a pu constater notre journaliste dans le sud de la Floride.

Miami — Donna Shalala est en furie. Depuis 30 minutes, l’ancienne secrétaire à la Santé sous Bill Clinton fait le piquet sur la Grande Avenue de Miami, en regardant son téléphone nerveusement. « Mais comment peuvent-ils être aussi en retard ! », s’exclame-t-elle, en parlant de son équipe de campagne.

L’ancienne présidente de l’Université de Miami n’a pas une seconde à perdre. Candidate pour le Parti démocrate dans la 27e circonscription de Floride, celle qui englobe le centre-ville de Miami et ses quartiers centraux, cette ancienne directrice de la Fondation Clinton tente de regagner pour son parti un siège de la Chambre des représentants que les républicains détiennent depuis 1988. Après 30 ans, il vient d’être laissé vacant par la républicaine Ileana Ros-Lehtinen, la première Américaine d’origine cubaine jamais élue au Congrès.

À l’origine, les démocrates pensaient l’emporter facilement dans cette circonscription. Hillary Clinton y a récolté 20 % de votes de plus que Donald Trump en 2016. La 27e circonscription fait partie d’une dizaine d’enclaves républicaines urbaines que les démocrates croient pouvoir convertir au bleu. Les autres se trouvent au New Jersey, en Californie et dans l'État de New York.

À quelques jours des élections, cependant, rien ne va comme prévu à Miami. Malgré ses longs états de service et sa notoriété, Mme Shalala, 77 ans, est presque à égalité dans les sondages avec sa rivale républicaine, Maria Elvira Salazar, une journaliste hispanophone et vedette de télévision d’origine cubaine de 20 ans sa cadette.

Pour la dernière ligne droite, Donna Shalala et ses partisans redoublent d’ardeur. Le Parti démocrate aussi. Plus de 2 millions ont été investis pour la campagne dans la circonscription, ce qui en fait la lutte la plus chère pour un siège à la Chambre des représentants de ces élections de mi-mandat. « Ça en vaut la peine, lance la candidate, qui dit avoir décidé de se présenter après en avoir eu assez des propos tenus par Donald Trump. Je me suis levée un matin en février, j’ai regardé les nouvelles et j’ai entendu les énormités que disait Donald Trump sur le système de santé. Je me suis dit que ça prenait plus de gens au Congrès pour lui tenir tête ! », lance Mme Shalala pour expliquer son désir de se présenter comme candidate, faisant fi de son âge.

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L’autocar de campagne qu’attendait Donna Shalala arrive enfin. Avec 45 minutes de retard. À bord, une dizaine de jeunes dans la vingtaine qui tiennent des affiches à son nom. Et deux banderoles bleues, écrites en espagnol, qui couvrent les flancs du véhicule. « ¡ La Shalala ! Vota #21 », peut-on y lire. De la musique en espagnol retentit dans les haut-parleurs.

L’autocar se met rapidement en branle. Mme Shalala et son chien guide, Sweetie, grimpent à bord. « Il faut aller à La Petite Havane ! », dit-elle.

La visite dans la calle Ocho, le cœur du Miami cubain, n’a duré que quelques minutes. Dans un parc où une cinquantaine d’Américains d’origine cubaine du troisième âge socialisent, jouent aux dominos, Donna Shalala a serré quelques mains et a dû se contenter de sourire avant de remonter dans son autocar de campagne. Elle ne parle pas espagnol.

Ce détail n’est pas anodin. Le district qu’elle essaie de remporter est composé à 71 % d’hispanophones, selon le plus récent recensement, dont un nombre important de Cubains-Américains qui ont fui le régime de Fidel Castro et qui sont plus enclins à voter républicain que démocrate. La candidate républicaine, issue de cette diaspora, a beaucoup plus d’aisance auprès de ces électeurs et multiplie les apparitions dans La Petite Havane. Tantôt pour servir un repas, tantôt pour une séance de salsa.

L’équipe de Mme Shalala croit cependant que cet avantage dont profite Mme Salazar n’est plus ce qu’il était en 2010, au moment du recensement. Le Miami hispanophone s’est diversifié depuis qu’un nombre important de Portoricains, de Colombiens et d’immigrés originaires d’Amérique centrale y ont élu domicile. Les opinions politiques n’y sont plus homogènes. Dans le district, on compte aussi d’importantes communautés noire et juive, deux groupes avec lesquels Donna Shalala a des affinités.

« Le district est maintenant très diversifié. Plus personne ne peut gagner en ralliant les votes d’un seul groupe », dit Dan Rubin, un des chefs de campagne de Mme Shalala, qui a pris deux mois de congé sans solde de son travail à Washington pour lui prêter main-forte.

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Il semble que Maria Elvira Salazar prend elle aussi acte du visage changeant de la circonscription. « Notre district est vraiment un mélange de toutes sortes de gens. Je viens de cette communauté et je suis un produit de ce mélange », a-t-elle dit à la chaîne locale de NBC en anglais. La journaliste devenue politicienne profite de ses apparitions à la télévision pour se dissocier poliment du président républicain sur les questions d’immigration, d’environnement et du rôle des journalistes dans le pays.

Sa rivale démocrate, elle, profite plutôt de toutes les occasions pour rappeler qu’un vote pour Mme Salazar est un vote pour Donald Trump. Elle a d’ailleurs rebaptisé Mme Salazar « la animadora de Trump », ou meneuse de claque du locataire de la Maison-Blanche. « Nous espérons que les élections seront un référendum sur ce président qui divise le pays. Donald Trump s’attaque à tout ce qui nous tient à cœur », dit Mme Shalala, qui promet de se battre jusqu’à la dernière minute.

Le républicain environnementaliste

Marée rouge, hausse du niveau de l’océan, ouragans : l’environnement et les changements climatiques sont sur toutes les lèvres dans le sud de la Floride en amont du scrutin de mardi. Représentant républicain depuis 2015 à la Chambre des représentants dans la 26e circonscription, qui s’étend du sud de Miami à Key West, Carlos Curbelo tient tête au président Trump sur cette question. Les démocrates tentent maintenant de lui ravir son siège. « M. Curbelo est un candidat malhonnête. Il dit être un rebelle, mais a voté dans le même sens que Donald Trump 85 % du temps à la Chambre des représentants », s’indigne Debbie Mucarsel-Powell, sa rivale démocrate, rencontrée à Key Largo, où elle tentait de convaincre des motocyclistes nonchalants de lui accorder leur vote. Les supporteurs de M. Curbelo croient pour leur part que ce dernier est le mieux placé pour faire entendre raison au président. « Il travaille à l’intérieur du parti. Il travaille avec 45 autres élus républicains qui se portent à la défense de la planète. Il joue un rôle crucial, nous ne pouvons pas nous passer de lui », estime Grant Couch, cofondateur du Lobby citoyen pour le climat, un groupe conservateur. Qui l’emportera ? Les deux candidats sont à égalité dans les sondages.

— Laura-Julie Perreault, La Presse

Amendement à la Constitution

« Parce que j’ai été condamnée, j’ai perdu le droit de vote »

En Floride, 1,7 million de personnes – soit l’équivalent de la population de Montréal – ont perdu leur droit de vote à vie parce qu’elles ont été condamnées pour un crime. C’est le cas de Karen Leicht, une Floridienne de 61 ans, qui se bat pour que le 6 novembre, 10 % de la population floridienne recouvre ce droit grâce à un amendement à la Constitution. Récit dans ses propres mots.

« Je m’appelle Karen Leicht, je suis née en Californie, mais je vis en Floride depuis des décennies. Je suis mère de deux enfants et je suis titulaire d’un MBA. En 2011, j’ai été condamnée à 30 mois de prison pour un crime commis avec mon mari en 2006. Nous avions une entreprise ensemble et il m’a embarquée dans ses combines louches. Pourtant, il s’en est sorti sans faire de prison en concluant une entente avec la justice  ! Moi, j’ai été condamnée pour blanchiment d’argent et complot dans le but de frauder une compagnie d’assurances. J’ai payé pour son crime à lui.

« Le temps que j’ai passé derrière les barreaux a été terrible, mais quand je suis sortie après avoir purgé ma peine, j’ai découvert que je devrais porter l’étiquette de “criminelle” [felon, en anglais] pour le reste de ma vie. Heureusement, j’ai trouvé un travail rapidement. Un avocat que j’avais rencontré avant d’aller en prison m’a embauchée à ma sortie. Ça m’a donné un sacré coup de main. Aujourd’hui, je suis adjointe juridique et c’est moi qui dirige le bureau. On traite toutes sortes de cas : que ce soit des accidents, des problèmes d’immigration ou de droits civils. Depuis que je suis ici, j’ai embauché plusieurs femmes qui venaient de sortir de prison. Ce sont des employées modèles.

« J’ai été choquée d’apprendre en sortant de prison que j’avais perdu mes droits civils à vie. Parce que j’avais été condamnée, j’ai perdu le droit de vote, le droit de me présenter aux élections et le droit de porter une arme. C’est écrit dans la Constitution de la Floride et c’est un de trois États à appliquer cette règle qui a été adoptée après la guerre de Sécession et l’abolition de l’esclavage. Elle visait surtout à limiter le droit de vote des Noirs.

« Ironiquement, aujourd’hui, 70 % de ceux qui ont le statut de criminel en Floride sont des Blancs, comme moi. Ça va complètement à l’encontre de la perception qu’il n’y a que des membres des minorités dans les prisons. C’est vrai que les minorités sont surreprésentées en prison, mais c’est surtout parce que les Blancs écopent souvent de peines moins lourdes à purger dans la collectivité.

« Aujourd’hui, on est dans une situation où 10 % des électeurs potentiels en Floride n’ont plus le droit de vote. Il est possible de faire une demande auprès du gouverneur de l’État pour recouvrer ce droit, mais ça prend des années et la plupart des demandes sont refusées. Le dernier gouverneur républicain a accordé sa clémence à 6000 personnes en quatre ans. Nous sommes 1,7 million dans cette situation  !

« Je pense que cette règle est complètement injuste. J’ai purgé ma peine en entier et j’ai payé ma dette à la société. Je travaille, je paie mes impôts et je ne suis pas représentée. C’est sur cette base que la Révolution américaine a été faite ! Aujourd’hui, je suis une citoyenne de seconde zone.

« La plupart des Floridiens pensent aussi que c’est injuste. Selon les derniers sondages, 70 % des gens sont choqués quand ils apprennent que 1,7 million d’entre nous n’ont pas le droit de vote. Alors nous sommes passés à l’action. Au cours de la dernière année, nous avons réussi à faire signer une pétition par plus de 1 million d’électeurs de Floride pour que cette mesure soit remise en cause lors du scrutin du 6 novembre. Les électeurs sont invités à dire Oui à un amendement à la Constitution appelé l’amendement 4. C’est la première fois que nous réussissons à remettre cette règle en cause.

« La bonne nouvelle, c’est que cette cause a des soutiens au sein des deux partis. La plupart des candidats démocrates nous soutiennent. Et les richissimes frères Koch, qui soutiennent beaucoup de candidats conservateurs, nous appuient aussi.

« Je n’aurais qu’à déménager dans l’État d’à côté pour recouvrer mon droit de vote, mais je refuse de le faire. Ma vie est en Floride. Au lieu de fuir, j’ai décidé de me battre. Ça n’a pas été facile. Quand j’ai accepté de prendre la parole en public pour la cause et de faire du bénévolat, beaucoup de gens ont alors découvert mes antécédents criminels que je cachais du mieux que je pouvais. Mais c’est le prix à payer pour être un agent de changement. »

L’amendement 4 en quelques mots

Seuls trois États retirent le droit de vote à vie à ceux qui sont condamnés par la justice criminelle, soit la Floride, le Kentucky et l’Iowa. S’il est entériné à 60 % par les électeurs de Floride, l’amendement 4 permettra à la grande majorité des criminels de l’État qui ont purgé leur peine en entier de recouvrer leur droit de vote. Les meurtriers et les délinquants sexuels seront cependant exclus de la mesure. En tout, la mesure toucherait 1,4 million de personnes, soit 10 % de l’électorat floridien. « Des études faites par un centre de recherche conservateur démontrent que ça aurait un impact positif sur l’économie en empêchant que des gens retournent en prison parce qu’ils sont marginalisés, soutient Réginald Garcia, un avocat et lobbyiste de Tallahassee qui a consacré sa carrière à cette cause. Si la mesure passe, elle n’avantagera pas un parti en particulier. Comme la population floridienne, les anciens criminels sont à 33 % démocrates, à 33 % républicains et à 33 % indépendants. C’est une question de démocratie, pas de partisanerie. » En tout, mardi, les Floridiens devront se pencher sur 13 amendements à leur Constitution.

— Laura-Julie Perreault, La Presse

L’enjeu des démocrates

On aurait pu croire que la colère d’une portion importante des Américains envers le président Donald Trump aurait permis aux démocrates de tapisser le pays en bleu. La réalité est beaucoup plus complexe.

Jour du scrutin

Le mardi 6 novembre 2018

L’enjeu

L’objectif des démocrates est ambitieux. Pour prendre le contrôle du Congrès américain, et ainsi mettre les bâtons dans les roues de l’administration Trump en rejetant ses réformes, ils doivent reprendre la majorité dans les deux chambres du Congrès. Selon les prédictions, ils sont en bonne position pour remporter la majorité des 435 sièges de la Chambre des représentants – la Chambre basse du Congrès. Par contre, ils auront beaucoup de mal à y arriver au Sénat – la Chambre haute du Congrès. Le calendrier électoral fait en sorte que les démocrates doivent y défendre beaucoup plus de sièges que les républicains (26 sur 35).

Élément non négligeable, une majorité démocrate à la Chambre des représentants leur permettrait de lancer une mise en accusation (impeachment) pour destituer le président Trump. Un vote de mise en accusation à majorité simple de la Chambre enclenche un procès contre le président qui est tenu devant le Sénat. À l’issue du procès, il faut cependant obtenir la majorité des deux tiers du Sénat pour destituer le président. Compte tenu du fait que les démocrates, déjà minoritaires au Sénat, ont peu de chances de faire des gains mardi soir, les chances de succès d'une procédure d'impeachment sont plutôt minces.

Luttes à suivre

À la Chambre des représentants, des gains démocrates sont surtout attendus en banlieue des grands centres urbains. Au Sénat, si les démocrates rêvent au Texas, ils pourraient surtout perdre le Missouri et le Dakota du Nord et se retrouver avec moins de sièges qu’avant le scrutin. Chez les gouverneurs, même si la majorité des États devraient être représentés par un républicain, les gouverneurs démocrates représenteront une majorité de la population puisqu’ils conserveront les États les plus populeux comme la Californie et New York.

— Judith Lachapelle, La Presse

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