Bâtiment 7

il faut sauver le bâtiment 7

Le bâtiment 7, c’est l’histoire d’une bande de militants qui ont tenu bon contre les promoteurs immobiliers dans Pointe-Saint-Charles. Leur mission : sauver un vieux bâtiment industriel de la démolition pour le redonner à la communauté. Récit d’un projet qui finit bien, couronné de deux prix au cours des derniers jours.

UN DOSSIER DE SUZANNE COLPRON

Chronologie d’un projet hors de l’ordinaire

Octobre 2003

Alstom cesse ses activités sur le site qu’elle loue au CN depuis 1996.

Juin 2005

Loto-Québec propose de relocaliser le Casino de Montréal. Le projet de 1,2 milliard comprend un hôtel de 300 chambres, un spa, une salle de spectacle de 2500 places, une scène extérieure pouvant accueillir 10 000 personnes et un port de plaisance.

Octobre 2005

De nombreux groupes populaires et communautaires réclament un débat public sur le rôle de l’État dans la promotion du jeu.

Février 2006

La Direction de la santé publique publie un avis défavorable au projet de déménagement du Casino, car elle estime que son emplacement dans un quartier défavorisé entraînerait une hausse du nombre de joueurs compulsifs.

Mars 2006

Le rapport du comité interministériel présidé par Guy Coulombe invite Loto-Québec à refaire ses devoirs. Le Cirque du Soleil et Loto-Québec annoncent l’abandon du projet.

Septembre 2008

Le gouvernement impose une réserve sur la moitié des anciens terrains du CN à Pointe-Saint-Charles, afin de permettre à l’Agence métropolitaine de transport (AMT) d’y construire un centre d’entretien des trains. Québec accorde une indemnité de 5,4 millions au promoteur Mach, qui a payé les terrains 1 $.

2009

Formé en 2009, le collectif 7 à nous réclame la cession gratuite d’un des 13 bâtiments de l'endroit : l’ancien entrepôt numéro 7, d’une superficie de 90 000 pi2.

Octobre 2012

Montréal entérine l’accord de développement, qui comprend l’entente cédant le bâtiment 7 au collectif « 7 à nous ». Le projet prévoit notamment 25 % de logements sociaux, des espaces verts, pas d’habitations de luxe ni d’industrie lourde, et une partie du site doit rappeler le passé ferroviaire de l’endroit.

Avril 2017

Après 14 ans de mobilisation, les membres du comité 7 à nous signent l’acte de vente du bâtiment 7.

Décembre 2017

Le collectif entreprend les travaux de rénovation.

Mai 2018

Le bâtiment 7 ouvre ses portes au public. Il abrite 13 projets en phase de démarrage.

« On a gagné ! »

Ancien atelier ferroviaire du Canadien National (CN), le bâtiment 7 est un des plus beaux exemples de reconversion d’un immeuble abandonné de Montréal. Il vient de recevoir deux prix coup sur coup : le Grand Prix d’Opération patrimoine Montréal, catégorie Agir ensemble, remis le 6 décembre, et le prix de reconnaissance de l’Association de la santé publique du Québec, décerné le 29 novembre.

L’histoire du bâtiment 7 commence en 2003 avec la fermeture de l’usine d’Alstom aménagée sur les anciens terrains du CN à Pointe-Saint-Charles, dans le sud-ouest de Montréal.

Deux ans plus tard, Loto-Québec, en partenariat avec le Cirque du Soleil, fait le projet de relocaliser le Casino de Montréal au bassin Peel et de créer un immense centre de divertissement à Pointe-Saint-Charles. Réaction de nombreux groupes communautaires et populaires du quartier : « Pas question ! »

Appelé affectueusement La Pointe, Pointe-Saint-Charles n’est pas un quartier comme les autres. Il y a dans ce coin de la métropole une riche histoire de militantisme porté par un mouvement populaire né dans les années 60.

C’est là qu’ont vu le jour plusieurs innovations sociales comme la clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles, l’ancêtre des CLSC, la première clinique juridique populaire et la première Corporation de développement économique et communautaire de Montréal.

Un tout petit quartier de 14 000 habitants, 10 fois moins gros qu’Hochelaga-Maisonneuve. Et le plus ancien quartier de Montréal, après le Vieux-Montréal.

VICTOIRE

En 2006, le Cirque du Soleil se retire du projet de centre de foire en raison de l’opposition qu’il suscite. Son président-directeur général, Guy Laliberté, déplore l’absence de volonté collective au Québec. Loto-Québec l’imite quelques mois plus tard, à la suite d’un avis défavorable de la Direction de la santé publique. Bref, le projet de casino et de foire internationale se termine en queue de poisson.

« On a gagné ! », lance Judith Cayer, militante chargée de projet pour le bâtiment 7, rencontrée dans la nouvelle microbrasserie du bâtiment 7.

« Et quand on gagne quelque chose dans la vie, ça nous donne du oumf ! On se sent forts. »

— Judith Cayer, chargée de projet pour le bâtiment 7

Mais les terrains n’appartiennent déjà plus au CN, qui les a cédés en 2005 au groupe immobilier Mach pour la somme de 1 $, transaction assortie de l’obligation de les décontaminer. Les terrains sont immenses : 3,5 millions de pieds carrés laissés en friche et plusieurs bâtiments à l’abandon, dont le bâtiment 7, aussi appelé le B7, à l’angle des rues Le Ber et de la Congrégation, à la limite est de Pointe-Saint-Charles.

LONGUE LUTTE

Pendant près de 10 ans, des groupes de citoyens, militants, anarchistes, associations de quartier, organismes communautaires, regroupés au sein d’un collectif appelé « 7 à nous », poursuivent une longue lutte pour se réapproprier le B7 et le transformer en un centre autogéré destiné à répondre aux besoins d’une population largement défavorisée.

Plusieurs doutent qu’ils parviennent un jour à leurs fins. Mais les militants, eux, ne songent jamais à abandonner.

Résultat : en 2012, le groupe Mach finit par dire oui. Il transfère la propriété du bâtiment 7, une ruine de 90 000 pi2, au collectif 7 à nous, en plus de lui donner 1 million de dollars de compensation pour sa remise aux normes. C’est le maire de l’arrondissement du Sud-Ouest, Benoit Dorais, qui mène les négociations avec le promoteur et le CN.

« C’est assez formidable de voir la prise en charge d’un projet du début à la fin par des groupes populaires. »

— Benoit Dorais, maire de l’arrondissement du Sud-Ouest

FEUILLETON

La signature de l’entente avec le promoteur Mach a lieu en 2012. Mais l’acte de vente n’est signé qu’en 2017. Pourquoi un si long délai entre les deux ?

« C’est toute une saga, répond M. Dorais. Il a fallu lotir le terrain pour isoler le bâtiment 7 du reste de la propriété et négocier avec le CN qui était alors en litige avec le promoteur sur l’interprétation de l’entente initiale. »

Une fois les clés du bâtiment en poche, le collectif 7 à nous doit entreprendre des travaux de restauration. Coût : 4,2 millions. Une somme qui, outre un prêt de 1 million, provient du groupe Mach (1 million), des citoyens (campagne de sociofinancement), du gouvernement du Québec et de la Ville de Montréal.

« C’est très impressionnant sur le plan architectural », indique Mark Poddubiuk, cofondateur de L’OEUF et professeur à l’École de design de l’UQAM, qui a consacré des centaines d’heures à ce projet à titre d’architecte. « L’intérieur fonctionne bien, mais il reste du travail à faire à l’extérieur. »

13 PROJETS

Le bâtiment 7 est formé de plusieurs bâtiments, mis bout à bout de 1924 à 1946. La portion rénovée, d’une superficie de 20 000 pi2 répartis sur deux étages, est la plus récente. Depuis mai, on y trouve 13 projets, choisis lors d’assemblées de citoyens : réparation de vélos, garage de mécanique automobile, travail du métal, sérigraphie, chambre noire, microbrasserie, épicerie, etc.

Avec l’aide d’une poignée d’adolescents, Michelle Duchesneau, de l’Université Concordia, et Akki Mackay, de l’organisme communautaire Maison Saint Columba, ont mis sur pied une salle d’arcade, à la suite d’une consultation menée auprès de 200 ados du quartier. Ce lieu permet non seulement aux jeunes de se réunir, mais aussi d’avoir un emploi rémunéré et des responsabilités.

Tous les services offerts dans le bâtiment 7 sont autogérés par une soixantaine de personnes, dont le défi est de gagner assez d’argent pour s’autofinancer.

« Le B7 ne vise pas à n’être qu’un nouveau projet “in”, mais bien à réaliser une mission sociale de rejoindre ceux et celles qui en ont le plus besoin, ainsi qu’une mission politique de créer des zones d’autonomie et de luttes citoyennes, précise Judith Cayer. Le projet marche donc sur un fil : les prochaines années s’annoncent riches d’apprentissages et de positionnement à ce sujet. »

Microbrasserie, épicerie et fonderie

Coup d’œil sur 5 des 13 projets coopératifs qu’abrite actuellement le bâtiment 7.

Le pub du coin de la rue

La microbrasserie Les sans-taverne ne fait pas les choses comme les autres. Ici, il n’y a pas de patron. Pas de profit. Les employés, payés 12 $ l’heure, sont membres d’une coop. Et partagent les pourboires à parts égales. La pinte de bière est vendue 6 $. Et le grilled cheese, 3 $.

« Le lieu a une dimension politique », dit Gabrielle Gérin, derrière son bar. « L’idée, c’est de construire l’autonomie collective dans un quartier. » Si l’endroit s’appelle Les sans-taverne, c’est parce que Pointe-Saint-Charles a déjà été le « quartier aux cent tavernes », mais que ces « débits de boisson » ont fermé les uns après les autres. « L’ambiance de bar de quartier s’est installée très, très vite depuis l’ouverture du lieu », précise Gabrielle, membre fondatrice du collectif 7 à nous.

L’épicerie solidaire

Le Détour est une épicerie « solidaire » où les gens travaillent pour consommer. Elle est gérée et exploitée par ses membres. Ils sont 260 et donnent trois heures de leur temps par mois. En retour, ils profitent d’un rabais sur les produits : vrac, fruits et légumes, conserves, lait, fromage, vin, bière, plats préparés, pain, etc. Il n’y a pas de viande ni de poisson. Du moins, pas encore.

« À Pointe-Saint-Charles, nous sommes dans un désert alimentaire », précise Pascal Lebrun, un membre qui habite à deux pas. « S’il n’y a pas d’épicerie dans le coin, ce n’est pas un hasard, c’est parce que ce n’est pas rentable. » Le Détour offre deux prix. Le paquet de six bagels, par exemple, est à 4 $ pour les membres et à 4,70 $ pour les autres. « On part de la culture alimentaire de la place », dit Marcel Sévigny, vieux de la vieille dans le monde communautaire et militant de Pointe-Saint-Charles, qui a été conseiller municipal pendant 15 ans, et lui aussi membre du collectif 7 à nous. 

Les filles de La coulée

Eva-Loan Ponton et Marie-Claude Pastorel ont fait connaissance à l’Université Concordia, où elles étudiaient la sculpture. L’atelier La Coulée, consacré à la soudure et à la fonderie d’art, c’est leur idée. Pour le mettre sur pied et acheter l’équipement nécessaire, elles ont mené une campagne de sociofinancement, recueilli des fonds de manière autonome et gagné quelques concours. Investissement total : 100 000 $.

« On est une coop de solidarité, précise Eva-Loan, en salopette de travail. On a des membres travailleurs, des membres utilisateurs et des membres de soutien. Les gens viennent ici, payent une cotisation annuelle et peuvent utiliser l’atelier à l’heure ou à la journée, selon leurs besoins. » La coop compte 30 membres, dont une dizaine d’assidus.

L’inventeur de planeurs

Michael Jensen loue un espace au deuxième étage du bâtiment 7 où il construit un planeur en bois. Un vrai de vrai qui va voler un jour. Son but ? « Faire du surf dans les airs, voler et triper. » Mais son but, c’est aussi de trouver une façon de distribuer ces planeurs en bois partout dans le monde et d’en vivre. Titulaire d’un bac en physique et d’une maîtrise en génie mécanique, Michael Jensen est un inventeur. Il se consacre à ce projet depuis 2002. « Ce n’est pas encore fini, dit-il. C’est quelque chose que j’invente. Si j’avais voulu le finir, il serait déjà dans les airs. Mais j’ai décidé de modifier le design pour en simplifier la construction et réduire les coûts. » Combien d’heures passe-t-il au bâtiment 7 ? « Quand je ne dors pas, que je ne cuisine pas et que je ne mange pas, je suis ici », répond-il.

Le meilleur du DIY

Un autre projet du bâtiment 7 est l’atelier de vélo do it yourself ou DIY. Des séances de réparation sont offertes tous les mercredis soir. Les gens peuvent apporter leur vélo : il y a toujours quelqu’un dans la « shop » pour les aider. Cycle 7 est une coopérative formée de sept personnes.

« Notre mission, c’est d’offrir un service à la communauté, pas juste de faire une petite business pour nous », indique Mathieu Forget, mécano à temps plein. Avec l’arrivée du froid et de la neige, l’atelier ouvre ses portes un jour par semaine et offre de la formation. « Plusieurs personnes utilisent le vélo comme moyen de transport à La Pointe », précise Mathieu. Le bâtiment 7 compte aussi un atelier de mécanique automobile DIY, le premier en Amérique du Nord.

Pointe-Saint-Charles en chiffres

14 915

Nombre de résidants de Pointe-Saint-Charles, en hausse de 7,1 % depuis 2011

31,8 %

Pourcentage des personnes âgées de 25 à 39 ans

20,2 %

Une personne sur cinq âgée de 15 ans et plus n’a pas de diplôme d’études secondaires.

45 847 $

Revenu total moyen avant impôts des résidants âgés de 15 ans et plus. Il est de 43 670 $ à Montréal.

67,9 %

Plus des deux tiers des logements sont occupés par des locataires. Le nombre de propriétaires a augmenté de 26,9 % depuis 2011.

29,2 %

Trois ménages locataires sur dix consacrent 30 % ou plus du revenu total du ménage aux coûts d’habitation.

51,9 %

Plus de la moitié des résidants n’habitaient pas le même logement il y a cinq ans.

Source : portrait réalisé par Christian Paquin pour Action-Gardien et la Clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles, en avril 2018

D’autres projets à long terme

Au bout du compte, le bâtiment 7 doit accueillir des projets regroupés sous quatre pôles : services de proximité, agriculture urbaine, culture et art et santé. Mais pour ce faire, une dizaine de millions supplémentaires seront nécessaires. Rien n’est donc acquis pour les militants.

« Dans notre nouvelle structure, on essaie de faire une autogestion qui fonctionne à 100 personnes », explique Judith Cayer, qui a hérité du rôle de coordonnatrice du secteur développement et de la viabilité. « On veut une structure qui ne soit pas hiérarchique, mais qui fonctionne. »

La deuxième phase du projet, appelée pôle santé, devrait abriter un CPE et une maison de naissance.

Mais au rythme où vont les choses, la troisième phase pourrait voir le jour avant la deuxième : un immense espace de 30 000 pi2 consacré à l’art contemporain et à la création d’ateliers d’artistes.

L’instigatrice de ce projet est Caroline Andrieux, fondatrice de la Fonderie Darling et résidante de Pointe-Sainte-Charles. Le bâtiment 7 est carrément dans sa cour. Et c’est en voyant le pic des démolisseurs à l’œuvre, en 2008, qu’elle a revendiqué sa propriété. Quartier Éphémère, dont elle est la directrice artistique, a mené les négociations avec le groupe Mach et le CN, de concert avec le maire Benoit Dorais, jusqu’à l’obtention du B7 en 2012.

« Dès le départ, l’objectif, c’était de sauver ce bâtiment pour le redonner à la communauté. Notre projet est de soutenir de jeunes artistes en leur donnant les moyens de créer dans de bonnes conditions. »

— Caroline Andrieux, instigatrice de la troisième phase du bâtiment 7 consacrée à l’art contemporain et à la création d’ateliers d’artistes

Mme Andrieux vise une ouverture de sa partie du bâtiment 7 en septembre 2020.

« On est en train de faire nos études de faisabilité et de déposer une demande de 2,5 millions à la Ville de Montréal. Notre proposition est la seule façon de consolider des ateliers d’artistes aujourd’hui pour longtemps », fait-elle valoir.

Le quatrième pôle du B7 est alimentaire : ferme, cuisine, animaux de ferme et production maraîchère… Les membres du collectif 7 à nous songent aussi à ramener les écuries de Montréal qui ont été déplacées sur la Rive-Sud. « On veut ramener les chevaux à La Pointe pour la livraison de bouffe, la collecte du compost, etc. », précise Judith Cayer.

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