Ancien atelier ferroviaire du Canadien National (CN), le bâtiment 7 est un des plus beaux exemples de reconversion d’un immeuble abandonné de Montréal. Il vient de recevoir deux prix coup sur coup : le Grand Prix d’Opération patrimoine Montréal, catégorie Agir ensemble, remis le 6 décembre, et le prix de reconnaissance de l’Association de la santé publique du Québec, décerné le 29 novembre.
L’histoire du bâtiment 7 commence en 2003 avec la fermeture de l’usine d’Alstom aménagée sur les anciens terrains du CN à Pointe-Saint-Charles, dans le sud-ouest de Montréal.
Deux ans plus tard, Loto-Québec, en partenariat avec le Cirque du Soleil, fait le projet de relocaliser le Casino de Montréal au bassin Peel et de créer un immense centre de divertissement à Pointe-Saint-Charles. Réaction de nombreux groupes communautaires et populaires du quartier : « Pas question ! »
Appelé affectueusement La Pointe, Pointe-Saint-Charles n’est pas un quartier comme les autres. Il y a dans ce coin de la métropole une riche histoire de militantisme porté par un mouvement populaire né dans les années 60.
C’est là qu’ont vu le jour plusieurs innovations sociales comme la clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles, l’ancêtre des CLSC, la première clinique juridique populaire et la première Corporation de développement économique et communautaire de Montréal.
Un tout petit quartier de 14 000 habitants, 10 fois moins gros qu’Hochelaga-Maisonneuve. Et le plus ancien quartier de Montréal, après le Vieux-Montréal.
VICTOIRE
En 2006, le Cirque du Soleil se retire du projet de centre de foire en raison de l’opposition qu’il suscite. Son président-directeur général, Guy Laliberté, déplore l’absence de volonté collective au Québec. Loto-Québec l’imite quelques mois plus tard, à la suite d’un avis défavorable de la Direction de la santé publique. Bref, le projet de casino et de foire internationale se termine en queue de poisson.
« On a gagné ! », lance Judith Cayer, militante chargée de projet pour le bâtiment 7, rencontrée dans la nouvelle microbrasserie du bâtiment 7.
« Et quand on gagne quelque chose dans la vie, ça nous donne du oumf ! On se sent forts. »
— Judith Cayer, chargée de projet pour le bâtiment 7
Mais les terrains n’appartiennent déjà plus au CN, qui les a cédés en 2005 au groupe immobilier Mach pour la somme de 1 $, transaction assortie de l’obligation de les décontaminer. Les terrains sont immenses : 3,5 millions de pieds carrés laissés en friche et plusieurs bâtiments à l’abandon, dont le bâtiment 7, aussi appelé le B7, à l’angle des rues Le Ber et de la Congrégation, à la limite est de Pointe-Saint-Charles.
LONGUE LUTTE
Pendant près de 10 ans, des groupes de citoyens, militants, anarchistes, associations de quartier, organismes communautaires, regroupés au sein d’un collectif appelé « 7 à nous », poursuivent une longue lutte pour se réapproprier le B7 et le transformer en un centre autogéré destiné à répondre aux besoins d’une population largement défavorisée.
Plusieurs doutent qu’ils parviennent un jour à leurs fins. Mais les militants, eux, ne songent jamais à abandonner.
Résultat : en 2012, le groupe Mach finit par dire oui. Il transfère la propriété du bâtiment 7, une ruine de 90 000 pi2, au collectif 7 à nous, en plus de lui donner 1 million de dollars de compensation pour sa remise aux normes. C’est le maire de l’arrondissement du Sud-Ouest, Benoit Dorais, qui mène les négociations avec le promoteur et le CN.
« C’est assez formidable de voir la prise en charge d’un projet du début à la fin par des groupes populaires. »
— Benoit Dorais, maire de l’arrondissement du Sud-Ouest
FEUILLETON
La signature de l’entente avec le promoteur Mach a lieu en 2012. Mais l’acte de vente n’est signé qu’en 2017. Pourquoi un si long délai entre les deux ?
« C’est toute une saga, répond M. Dorais. Il a fallu lotir le terrain pour isoler le bâtiment 7 du reste de la propriété et négocier avec le CN qui était alors en litige avec le promoteur sur l’interprétation de l’entente initiale. »
Une fois les clés du bâtiment en poche, le collectif 7 à nous doit entreprendre des travaux de restauration. Coût : 4,2 millions. Une somme qui, outre un prêt de 1 million, provient du groupe Mach (1 million), des citoyens (campagne de sociofinancement), du gouvernement du Québec et de la Ville de Montréal.
« C’est très impressionnant sur le plan architectural », indique Mark Poddubiuk, cofondateur de L’OEUF et professeur à l’École de design de l’UQAM, qui a consacré des centaines d’heures à ce projet à titre d’architecte. « L’intérieur fonctionne bien, mais il reste du travail à faire à l’extérieur. »
13 PROJETS
Le bâtiment 7 est formé de plusieurs bâtiments, mis bout à bout de 1924 à 1946. La portion rénovée, d’une superficie de 20 000 pi2 répartis sur deux étages, est la plus récente. Depuis mai, on y trouve 13 projets, choisis lors d’assemblées de citoyens : réparation de vélos, garage de mécanique automobile, travail du métal, sérigraphie, chambre noire, microbrasserie, épicerie, etc.
Avec l’aide d’une poignée d’adolescents, Michelle Duchesneau, de l’Université Concordia, et Akki Mackay, de l’organisme communautaire Maison Saint Columba, ont mis sur pied une salle d’arcade, à la suite d’une consultation menée auprès de 200 ados du quartier. Ce lieu permet non seulement aux jeunes de se réunir, mais aussi d’avoir un emploi rémunéré et des responsabilités.
Tous les services offerts dans le bâtiment 7 sont autogérés par une soixantaine de personnes, dont le défi est de gagner assez d’argent pour s’autofinancer.
« Le B7 ne vise pas à n’être qu’un nouveau projet “in”, mais bien à réaliser une mission sociale de rejoindre ceux et celles qui en ont le plus besoin, ainsi qu’une mission politique de créer des zones d’autonomie et de luttes citoyennes, précise Judith Cayer. Le projet marche donc sur un fil : les prochaines années s’annoncent riches d’apprentissages et de positionnement à ce sujet. »