Centres de traitement des dépendances

Discrimination

« Savez-vous que plusieurs personnes incarcérées désirant accéder [au programme de toxicomanie sous surveillance judiciaire] sont systématiquement refusées ? écrivait à l’été Nicolas Bédard à la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée. Toutes les demandes provenant de personnes non admissibles à l’aide sociale sont systématiquement exclues. Il est très agréable de constater qu’une personne ayant payé des impôts une partie de sa vie et qui sombre dans la dépendance ne puisse participer à ce beau programme. »

« C’est de la discrimination, mais on n’a pas le choix. On a créé un système à deux vitesses », ajoute-t-il en entrevue.

Centres de traitement des dépendances

Exporté en France, en péril ici

Le programme de toxicomanie sous surveillance judiciaire de la Cour du Québec – si prometteur que la France l’a importé – est en péril à Montréal, dit l’APOD. Ce programme permet à des accusés ayant commis des délits sous l’emprise de la drogue de suivre une thérapie et d’échapper ainsi (très souvent) à la prison.

Mais seulement 6 des 13 centres habilités à traiter ces accusés le font bel et bien actuellement, dont un seul centre subventionné, affirme Nicolas Bédard. « Les autres se tiennent loin du programme, car il est jugé trop exigeant et trop coûteux. »

Centres de traitement des dépendances

En chiffres

« En moyenne, 13 000 personnes sont accueillies chaque année par les centres de traitement des dépendances, dont 80 % sont prestataires du programme d’aide sociale. »

SOURCE : Association québécoise des centres d’intervention en dépendance

Centres de traitement des dépendances

Des jeunes comme victimes

« Depuis 10 ans, on accueille beaucoup plus de 18-22 ans en désintox. Le manque de financement va leur faire mal », prévient Louis Gravel, du centre Nouveau Regard, près de Joliette, et membre de l’Association provinciale des organismes en dépendance (APOD). « Aujourd’hui, avec les drogues de synthèse, tu donnes 5 $ à ton jeune pour qu’il achète un lunch à l’école et il peut se geler pendant trois jours avec des petites pilules à 75 cents. Qu’est-ce que ce sera à 40 ans si on doit refuser de leur offrir des services ? »

« On guérit 20 % du monde, dit-il. Si on cesse d’essayer, imaginez plus tard ce que ces 20 % coûteront à la société… »

CENTRES DE TRAITEMENT DES DÉPENDANCES

Des toxicomanes laissés à eux-mêmes

Depuis cinq mois, des dizaines de toxicomanes sont abandonnés à eux-mêmes par des centres de traitement au bord de la faillite. C’est le cri d’alarme lancé par l’Association provinciale des organismes en dépendance, créée le mois dernier par 23 des 92 centres certifiés de la province. Les tribunaux, les prisons et les hôpitaux leur envoient tous des gens à soigner, mais les ministères concernés refusent de payer, s’indignent-ils.

Christian Rioux a commencé à boire au lever du soleil, en décrochant son premier emploi comme couvreur. Là-haut, sur les toits d’asphalte brûlant, ses patrons apportaient des cruches de vin. D’autres lui offraient de la bière fraîche. Très vite, la soif ne l’a plus quitté.

En juin, après avoir avalé quatre bières en guise de petit-déjeuner, le Montréalais a volé un camion. « Il ne me restait rien pour payer ma colocataire, j’avais tout bu la veille », explique-t-il.

Pris sur le fait, puis emprisonné, l’homme de 51 ans s’est si bien comporté qu’on l’a libéré au sixième de sa peine – à condition, toutefois, qu’il suive une thérapie pour augmenter ses chances de rester sobre et sage.

Le centre L’Envolée de Granby comptait sur le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS) pour rembourser le gîte et le couvert de son nouveau pensionnaire. Mais ce dernier a refusé. Parce que Christian Rioux demeure à ses yeux un « détenu » relevant de la Sécurité publique, qui refuse aussi de payer pour lui.

Incapable de se résoudre à renvoyer son protégé en prison, Nicolas Bédard a décidé de le garder à perte. « Mais on ne peut plus faire ça », dit-il.

« Dans tout le Québec, on refuse des dizaines de personnes, dès qu’elles sont trop pauvres pour payer et ne touchent pas l’aide sociale. »

— Nicolas Bédard, du centre L’Envolée de Granby

FAIRE SA PART

Jusqu’en mai dernier, les 23 membres de la nouvelle Association provinciale des organismes en dépendance (APOD) – qui sont certifiés par le gouvernement, mais non subventionnés – se débrouillaient. La solidarité sociale leur versait alors une indemnité quotidienne de 37 à 49 $ par jour pour couvrir le gîte et le couvert de ses prestataires (très majoritaires en désintoxication). Et ceux-ci finançaient eux-mêmes leur thérapie en versant 10 ou 15 $ additionnels.

Mais depuis la réforme de l’aide sociale, les bénéficiaires logés et nourris par un centre reçoivent une allocation quatre fois moins importante qu’en temps normal (soit environ 6,60 $ par jour plutôt que 25 $). Ce qui couvre tout juste leurs menues dépenses.

Privés de l’apport de leurs clients, certains centres ont déménagé, congédié du personnel ou baissé les salaires. En Estrie, la Maison ReNasci vient même de fermer ses portes. « Le ministère de l’Emploi fournit déjà sa part. Mais si les autres ministères concernés ne fournissent pas les 10 $ manquants, six ou sept autres centres fermeront avant Noël et les répercussions sur le système de santé seront très coûteuses », prédit Nicolas Bédard.

En plus de refuser des clients, plusieurs centres n'arrivent même plus à respecter les normes gouvernementales.

Depuis l’été, son groupe sollicite en vain les ministères de la Justice et de la Sécurité publique, qui envoient en désintoxication plus d’un demi-millier de détenus ou d’accusés. En plus d’être hébergés, nourris et traités, ces pensionnaires doivent être surveillés, doivent subir des tests de dépistage, être évalués dans des rapports officiels et être accompagnés plusieurs fois au tribunal.

« On ne reçoit rien pour tout ça, alors que gouvernement économise des sommes astronomiques en nous les envoyant ! »

— Lise Bourgault, directrice du centre Melaric, dans les Laurentides, et ancienne députée du Parti progressiste-conservateur

En prison, ces clients coûteraient près de 200 $ par jour et, en maison de transition, environ 100 $ par jour.

ARGENT MAL RÉPARTI

En désespoir de cause, l’APOD s’est tournée vers le ministère de la Santé et ses centres régionaux, qui ont versé 7,1 millions de dollars à 33 des 92 centres de traitement en 2014-2015. Souvent issus d’anciennes communautés religieuses, ces centres sont les seuls à recevoir une subvention, car ils ont historiquement été reconnus comme organismes communautaires.

Du 25 mai au 3 juin, des directeurs de maison n’ayant pas cette chance leur ont téléphoné – anonymement – pour vérifier comment était utilisé cet argent. Un centre recevant une subvention de 584 000 $ par année comptait alors 17 places inoccupées sur 25, rapporte M. Bédard. Un autre, bénéficiant de 280  00 $, comptait 10 lits vides sur 15.

« L’argent devrait être redistribué à tous les centres en fonction des individus traités, plaide Lise Bourgault. On répond tous aux mêmes normes, et on traite même très souvent une clientèle plus lourde à meilleur coût. On ne demande pas de nouveaux fonds, juste de les répartir équitablement. »

Verser quotidiennement à tous les centres 10 $ par pensionnaire coûterait 2 millions de moins que de poursuivre dans la voie actuelle, dit-elle. « On a montré les chiffres aux attachés politiques et aux fonctionnaires. Ils sont surpris, mais c’est l’immobilisme total », dénonce Nicolas Bédard.

« Tout le monde est pris à la gorge. La solution n’est pas de prendre aux uns pour donner aux autres. Il faut plutôt subventionner tout le monde, pour avoir partout des services de qualité », rétorque Vincent Marcoux, directeur de l’Association québécoise des centres d’intervention en dépendance. Elle représente 32 des 33 centres de traitement subventionnés (plus 20 autres non subventionnés).

Une partie de leurs lits est bel et bien vide, admet M. Marcoux. « Mais c’est parce que les prestataires de l’aide sociale n’entrent plus en thérapie ou la quittent depuis que leur chèque a été réduit à 200 $. C’est un gros problème de la réforme. »

RÉACTION DES MINISTÈRES

Le ministère de la Solidarité sociale a créé un programme de dépannage financier temporaire d’un an, pour aider les centres au bord de la faillite à prendre des « mesures de redressement ». Mais selon ces centres, ce sera insuffisant à long terme.

« Bien au fait » du problème, les ministères concernés ont informé La Presse qu’ils se concerteront cet automne pour trouver des solutions, puisque ces ressources « répondent à des besoins et sont essentielles ».

En attendant, le ministère de la Santé affirme qu’il ne peut redistribuer ses subventions, puisque cela « remettrait en question le fondement même de la politique gouvernementale du financement des organismes communautaires, lié à leur mission globale plutôt qu’au nombre de lits ».

De son côté, le ministère de la Justice déclare que le financement des centres de toxicomanie « ne correspond pas à son mandat ». Quant au ministère de la Sécurité publique, il précise avoir signé des contrats avec 16 centres, et leur verser de 20 à 32 $ par jour pour couvrir les coûts supplémentaires engendrés par les détenus. Il peut y avoir des débordements de clientèle dans d’autres centres qui, eux, ne sont pas payés pour leurs services additionnels. Mais ces centres peuvent refuser ces clients s’ils le souhaitent, avance une porte-parole.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.