Le bonheur est sur le toit
C’est la nuit, c’est janvier, il fait froid, on est sur le toit d’un immeuble du quartier industriel d’Anjou et… on récolte des laitues et des radis géants. Bienvenue dans l’univers des Fermes Lufa, qui ambitionnent de nourrir les habitants de toutes les villes nordiques du monde avec leurs serres uniques en leur genre.
Elle n’a pas encore été inaugurée officiellement, mais la troisième serre hydroponique des Fermes Lufa est pleine de verdures qui attendent sagement d’être cueillies pour se retrouver chez un Lufavore. C’est ainsi qu’on surnomme les clients de l’entreprise qui reçoivent hebdomadairement un panier de victuailles produites par Lufa ou ses partenaires.
La construction avait débuté en juillet. En novembre, on avait semé. Début janvier, on a procédé à la première récolte de laitues Boston, bok choy, épinards, cresson, etc. En tout, une quarantaine de variétés y poussent.
À première vue, la serre d’Anjou ressemble aux deux autres, situées à Montréal et à Laval. En réalité, elle est deux fois plus grande (63 000 pieds carrés) que celle du quartier Ahuntsic.
Et beaucoup plus légère, grâce à une architecture au design breveté. S’il fallait auparavant trouver des toits extrêmement solides, l’exigence en matière de robustesse est désormais réduite, ce qui facilite la recherche de toits voulant adopter une ferme urbaine en échange d’un loyer.
Mais surtout, cette serre est beaucoup plus productive. C’est en partant du principe qu’« un bébé n’a pas besoin d’autant d’espace qu’un adulte » que l’entreprise a décidé d’adopter un système qui permet de faire pousser deux fois plus de végétaux au mètre carré que dans ses autres serres.
Normalement, les graines sont espacées en fonction de la grosseur d’un plant à maturité. Ici, le système d’origine européenne donne de plus en plus de place aux végétaux à mesure qu’ils grandissent grâce à d’ingénieuses « tables de croissance ». Celles-ci sont collées les unes sur les autres quand les légumes sont encore tout petits et écartées quand les feuilles ont besoin de place.
« Chaque fois qu’on construit une nouvelle serre, on l’améliore. On a déjà pensé à une vingtaine d’améliorations pour la prochaine. »
— Mohamed Hage, président et fondateur de l’entreprise
Construire une serre sur un toit coûte deux fois plus cher que sur le sol, précise l’entrepreneur. Il est donc impératif, pour rendre le concept rentable, d’en améliorer sans cesse la productivité, de peaufiner les méthodes et de perfectionner la technologie.
« Notre but, c’est que nos légumes soient moins chers, parce qu’ils voyagent moins, qu’on utilise moins d’intrants et qu’il y a moins de perte », dit M. Hage en nous faisant visiter les lieux avec sa partenaire en affaires et dans la vie, Lauren Rathmell.
En prévision des récoltes effectuées à Anjou, Lufa a mis beaucoup d’énergie en 2016 à recruter de nouveaux Lufavores. Sa principale stratégie fut l’organisation d’une centaine d’événements, principalement des rencontres de clients potentiels dans les points de chute installés sur des lieux de travail comme Bell, Oxford immobilier et le Centre hospitalier de l’Université de Montréal.
Si une entreprise de 300 employés compte 50 Lufavores, il reste 250 personnes à convaincre, calculent Les Fermes Lufa. « Ça nous donne l’occasion de parler aux gens. De leur expliquer le concept […]. Nous sommes une entreprise en ligne, c’est bon pour nous de rencontrer les gens, car on ne le fait pas quotidiennement », dit Mohamed Hage.
L’idée a fonctionné : le nombre de clients est passé de 6000 à plus de 9000.
« L’authenticité, la transparence, c’est très important quand tu vends en ligne. »
— Laurent Rathmell
Le nombre d’employés a suivi : il est passé de 85 à 120 dans la dernière année. La croissance rapide a aussi amené son lot de défis de logistique. À quelques reprises, il a manqué de place dans l’entrepôt ! Qu’à cela ne tienne, Lufa cherche déjà un quatrième toit, à Montréal, Québec ou Ottawa.
Sept ans après avoir inauguré la première serre commerciale sur un toit dans le monde, Mohamed Hage continue de construire les assises d’un modèle d’affaires qui, souhaite-t-il, sera exporté au moyen de franchises un peu partout sur la planète.
« On est vraiment commis à faire croître le concept. Notre plus grand défi est d’aller vers Toronto, l’Europe, les États-Unis. Ce qui nous motive le plus n’est pas de nourrir une ville, mais le monde […]. Partout où la nourriture est importée de loin, comme en Scandinavie, c’est un no brainer. »
Pour y arriver, le modèle doit être rentable, ce qui n’est pas encore le cas. Mais l’an dernier, le seuil de rentabilité a finalement été atteint. « On a vraiment célébré ! » Si tout se passe comme prévu, 2017 devrait générer des profits.
L’entrepreneur aime comparer son modèle d’affaires à celui d’Amazon parce que la croissance des ventes est rapide et constante. Mais « l’investissement dans l’avenir et les technologies » est tel que les profits sont inexistants ou presque. « On est une entreprise de technologie, dit M. Hage. C’est un logiciel dans un iPad qui gère les insectes ! »
Fondation : 2009
Les trois principaux actionnaires : Fiducie familiale de Mohamed Hage, Furneaux Capital (Massachusetts), Cycle Capital Management (Montréal)
3 serres
110 variétés de légumes
9 000 clients
120 employés
350 points de chute
120 partenaires qui vendent 1500 produits dans le marché Lufa
5 véhicules électriques pour les livraisons à domicile
• L’ouverture d’esprit qu’engendre le manque d’expérience. « On n’avait jamais fait pousser une tomate de notre vie. Il a fallu tout inventer. On n’avait pas de préjugés. On était naïfs. »
• Le confort avec les technologies. « Dès qu’on voit un défi, on crée un logiciel ! »
• Le manque d’expertise en logistique
• Entreprise complexe et intégrée verticalement dans laquelle 200 projets sont en concurrence pour les ressources financières et humaines.