Chronique : Premières Nations

Les premiers Montréalais

Au Canada anglais, surtout dans l’Ouest, il y a maintenant une tradition bien établie. Dans les événements publics, on commence les discours en saluant les Premières Nations qui occupaient les terres sur lesquelles on se trouve.

Je n’ai donc pas été étonné, la semaine dernière, lors d’un séjour à Saskatoon, d’entendre le jeune maire de la ville, Charlie Clark, commencer son allocution par une salutation aux Dakotas et aux nations signataires du traité no 6. Mais une question m’est venue à l’esprit. Qu’est-ce qu’on ferait, à Montréal, si l’on adoptait cette pratique ?

Marc Miller, le député fédéral de Ville-Marie–Le Sud-Ouest–Île-des-Sœurs a donné une réponse la semaine dernière lorsqu’il a fait une intervention en langue mohawk à la Chambre des communes. Son discours a fait le tour du monde et lui a valu un moment de célébrité dans les médias sociaux.

« C’est la langue du territoire que je représente, le centre-ville de Montréal, la terre traditionnelle mohawk », a-t-il expliqué en entrevue à La Presse.

La démarche est éminemment louable. Mais la réponse n’est pas vraiment exacte. Ce que nous dit l’histoire, c’est que lorsque Paul de Chomedey de Maisonneuve et Jeanne-Mance ont fondé la ville, personne n’habitait sur l’île. Et que, pour définir Montréal comme une terre traditionnelle mohawk, il faut pas mal étirer l’élastique.

Il y avait eu un peuplement autochtone sur l’île. Quand Jacques Cartier a remonté le Saint-Laurent, en 1535, il a visité un très gros village, composé de 50 maisons longues, comptant de 2000 à 3000 âmes, que ses habitants appelaient Hochelaga. Il était situé, selon le compte rendu de l’explorateur, Brief récit de la navigation faicte es ysles de Canada, au pied d’une montagne qu’il baptisa mont Royal, en l’honneur de François 1er. Il y a un débat sur le site exact d’Hochelaga. Si Cartier a accosté l’île en passant par le Saint-Laurent, ce serait près de l’Université McGill. S’il est plutôt passé par la rivière des Prairies, ce serait à Outremont.

Les Hochelaguiens, selon les historiens, faisaient partie d’un peuple que l’on a baptisé les Iroquoiens du Saint-Laurent, appartenant au même groupe linguistique et culturel que les Hurons-Wendats, ou les diverses nations iroquoises, comme les Mohawks. Comme ceux-ci, ils étaient semi-sédentaires, cultivaient la terre, habitaient dans des maisons longues. Les habitants de Stadaconé, sur le site de Québec, appartenaient à ce même peuple.

Mais quand Champlain est arrivé, en 1608, les Iroquoiens du Saint-Laurent avaient complètement disparu, tant à Québec qu’à Montréal.

Et quand Jeanne-Mance et Paul de Chomedey de Maisonneuve se sont établis à Montréal, il n’y avait pas de peuplement autochtone sur l’île.

Les Mohawks, quant à eux, habitaient beaucoup plus bas, dans l’État de New York, et n’avaient pas d’établissements sur le territoire actuel du Québec. Ils remontaient le lac Champlain et le fleuve, pour la pêche, la chasse et le commerce. Mais ils n’étaient pas les seuls. Les Algonquins aussi sillonnaient le Saint-Laurent.

Les Mohawks, qui étaient dans un processus de conquête et d’expansion territoriale, voyaient certainement le territoire montréalais comme faisant partie de leur zone d’influence, même s’ils ne l’habitaient pas. C’est dans cette logique que le député décrit Montréal comme leur territoire traditionnel, tout comme le fait l’Université McGill sur son site internet. Mais ce n’est pas le point de vue d’autres nations autochtones qui occupaient aussi ce territoire. Et cela ne correspond pas non plus au test de la Cour suprême pour reconnaître des droits, celui de l’avoir occupé depuis des temps immémoriaux. Les Mohawks n’occupaient pas ce territoire, et leur présence ne remontait pas à des temps immémoriaux, puisque les Hochelaguiens les avaient précédés.

L’implantation des Mohawks au Québec est plus tardive. Après la paix avec les Français, attirés par le commerce, ou encore en rejoignant les missions des jésuites, comme à Kahnawake. D’autres, fidèles aux Britanniques, les ont rejoints après l’indépendance des États-Unis. Les litiges territoriaux entre les Mohawks de Kahnawake et les gouvernements portent d’ailleurs sur les terres de la seigneurie du Sault-Saint-Louis qui leur avaient été destinées.

On assiste au même phénomène à Québec où les Hurons-Wendats, originaires de la baie Géorgienne en Ontario, plus loin que Toronto, décimés par les maladies européennes et les guerres avec les Iroquois, ont été rapatriés en Nouvelle-France par les missionnaires, ce qui en fait en quelque sorte des réfugiés.

Le fait de dire que Montréal n’est pas un territoire traditionnel mohawk n’enlève rien aux obligations que nous devons avoir à leur égard. Ce n’est pas parce qu’une Première Nation n’a pas occupé un territoire depuis des temps immémoriaux, comme le veut la formule, qu’elle est privée de droits, qu’on peut faire abstraction de leur histoire, marquée par des guerres, des déplacements, les effets de la conquête européenne, la dépossession et la discrimination dont ils ont été l’objet.

Mais, pour en revenir à mon point de départ, comment adapter à Montréal la tradition canadienne de reconnaissance des Premières Nations ? Le mieux, ce serait de saluer les premiers habitants de ce lieu, les Hochelaguiens.

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