Chronique

Après #metoo, quel changement ?

« Un an de #metoo, un an de reddition de comptes… Je sens que je devrais livrer un message réjouissant sur le chemin parcouru alors que, en vérité, nous n’avons pas avancé beaucoup. »

Ce bilan sombre du mouvement #metoo est celui de l’auteure américaine d’origine haïtienne Roxane Gay, star du féminisme, qui prononçait une conférence à Montréal, jeudi dernier. Une conférence à guichets fermés à l’Université McGill, dont les billets se sont envolés en un temps record.

Dans les corridors longeant l’auditorium du Pollack Hall, près d’une heure avant la conférence, des centaines de fans – des jeunes femmes pour la plupart – faisaient déjà la queue pour entendre l’auteure du livre-culte Bad Feminist. Et avant même qu’elle ne prononce un seul mot, elle a eu droit à une ovation.

Best-seller du New York Times, l’essai Bad Feminist (récemment traduit en français chez Édito, avec une préface de l’auteure et professeure Martine Delvaux) revendique un féminisme inclusif et imparfait, qui assume ses contradictions. Un féminisme qui peut à la fois défendre l’égalité et se peindre les ongles en rose, réfléchir et aimer la téléréalité. Un féminisme plus que jamais nécessaire dans l’Amérique de Trump.

Pour Roxane Gay, la vague #metoo, aussi importante soit-elle, n’a malheureusement mené qu’à trop peu de vrais changements pour les femmes. « Ce qu’on appelle du progrès apparaît au mieux comme des changements marginaux qui se produisent parce que des femmes travaillent sans relâche pour y arriver. »

Alors que Trump s’inquiète de cette époque qu’il juge « vraiment terrifiante » pour les jeunes hommes en Amérique et qu’il n’a pas hésité à ridiculiser le témoignage courageux de Christine Blasey Ford, Roxane Gay ne peut s’empêcher d’ironiser sur le sort du juge Brett Kavanaugh, qui a prétendu que sa vie avait été ruinée par les allégations de Mme Ford. Des allégations qui, comme on le sait, n’ont pas empêché le juge d’obtenir un siège à vie à la Cour suprême des États-Unis. « La barre pour la vie ruinée d’un homme est apparemment assez basse. Puissions-nous tous avoir la chance de voir nos vies ainsi ruinées… »

En tant qu’auteure qui parle de culture, de genre, de sexualité et de questions raciales, Roxane Gay a souvent l’impression de se répéter. Mais en fait, c’est l’histoire qui se répète. « L’histoire continuera de se répéter jusqu’à ce que notre culture commence non seulement à croire les femmes, mais également à les valoriser suffisamment pour que l’on considère inacceptable et impensable de leur faire du mal. »

Bien sûr qu’il y a eu des avancées avec la vague #metoo, a dit Roxane Gay. Depuis un an, on parle de violence sexuelle comme jamais auparavant. Des hommes, qui avaient jusque-là abusé de leur pouvoir en toute impunité, ont commencé à subir les conséquences de leurs actes. Des femmes se battent et gardent espoir.

« Malgré tout, la structure sociopolitique qui donne forme à nos vies reste immuable. Nous parlons de résistance alors qu’en fait, nous avons besoin d’une révolution. »

— Roxane Gay

Cette structure qu’il faudrait renverser est si bien établie qu’une proportion importante d’Américaines la renforce. « Je ne cesserai de rappeler que 53 % des femmes blanches ont voté pour Trump », a dit Roxane Gay. La proportion était de 4 % chez les femmes noires et de 25 % chez les femmes latino-américaines. « C’est une statistique horrifiante, car cela signifie qu’elles ont voté à l’encontre de leurs propres droits », a poursuivi l’auteure, en réponse à une question de Nantali Indongo, animatrice de CBC, qui lui demandait ce qu’elle pensait de l’ovation réservée, même par des femmes, à l’humoriste Louis C.K., revenu à la scène après des accusations d’inconduite sexuelle.

« Je pense que certaines se sont levées cédant à la pression de leurs pairs. C’est la raison pour laquelle de nombreuses femmes hésitent à se qualifier de “féministes”. Elles ne veulent pas être vues comme des fautrices de troubles. Elles ne veulent pas être vues comme s’écartant de la norme de la culture dominante. »

Comment créer des changements durables ? Comment les femmes obtiendront-elles justice ? Qu’est-ce qui changera dans la vie des plus vulnérables parmi elles – sans-papiers, issues de minorités, défavorisées… – qui ne peuvent même pas se permettre de briser le silence ?

Un an après la vague #metoo, ces questions posées par Roxane Gay demeurent tout aussi pertinentes de ce côté-ci de la frontière.

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