Chronique

Chicken

Ne pas parler français et prétendre être premier ministre du Canada, c’est déjà baveux. Mais attendre le lendemain du débat en français pour annoncer sa candidature ? Ça prend tout un peureux.

Si le pseudo-Trump canadien avait un peu de courage, il serait monté sur la scène avec les 13 autres candidats, hier à Québec. Il aurait exposé son incompétence linguistique. Il aurait dû s’en expliquer. Bref, il aurait assumé.

Il aurait couru le risque du ridicule, comme Lisa Raitt, qui lisait péniblement en langage phonétique une réponse sur les lendemains de la récession quand la question portait sur les Premières Nations. Deepak Obhrai, lui, se contentait de phrases toutes faites, archi-brèves. Pierre Lemieux, comme son nom ne l’indique pas, répondait en lisant dans un français laborieux et à côté de la question. Kellie Leitch en arrachait.

Mais au moins, ils étaient là. Au moins, ils se sont exposés au jugement public. Ils se sont forcés. Ils ont fait preuve du respect minimal.

Ce n’est pas parce qu’il a eu une illumination cette nuit que Kevin O’Leary a attendu le lendemain de ce débat. Il suffit d’écouter le message diffusé sur sa page Facebook le 12 janvier pour savoir que sa décision était prise. Avec en mains un « rapport d’un comité » et, dit-il, 35 000 messages du public, il disait qu’il allait annoncer incessamment sa décision. Déjà, il disait qu’il était le seul capable de tenir tête à Justin Trudeau, ce « terrible » gestionnaire. « Pas un mauvais gars, mais il n’a jamais rien géré. »

De toute évidence, il serait candidat. CBC nous dit qu’il annoncera sa candidature aujourd’hui, comme par hasard après l’épreuve de français obligatoire.

O’Leary, homme d’affaires prospère et vedette de la télé, nous est présenté comme une version canadienne de Donald Trump. C’est une comparaison un peu ridicule. Donald Trump, par définition, ne peut pas avoir de « version canadienne ». S’il joue les matamores, chante les louanges du capitalisme primaire, se donne un air de dur et descend en flammes les politiciens, O’Leary n’a pas le côté ignare et haineux de Trump – il ne manque pas de souligner qu’il est né à Montréal, qu’il est titulaire d’un MBA.

Faut tout de même mépriser doublement les 30 % de francophones de ce pays pour se contenter de dire qu’il « va essayer » d’apprendre le français. 

On sait généralement ce qu’essayer veut dire pour un Anglo-Canadien de 60 ans – qui vit à Boston ! Il y a le contre-exemple du vérificateur général Michael Ferguson, qui a réussi l’exploit d’apprendre à bien parler le français tout en occupant une fonction lourde de responsabilités. Il s’y était engagé, il a tenu parole. Une exception à souligner… mais en se souvenant qu’il a subi d’innombrables critiques et pressions.

O’Leary jusqu’ici a plutôt envoyé un signal inverse : ça n’a aucune importance.

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La plupart des médias du Canada anglais estiment que le bilinguisme est une exigence pour la fonction. Mais un courant existe aussi voulant que le bilinguisme ne soit qu’un des critères pour juger un candidat, et pas le plus important.

Dans le magazine Maclean’s, hier, un commentateur arguait que le Canada se prive inutilement de candidats de qualité, vu que la vaste majorité des Anglo-Canadiens en dehors du Québec ne sont pas bilingues. C’est donc dans un bassin restreint de talents qu’on est condamné à puiser.

Historiquement, d’ailleurs, cette idée est relativement nouvelle. Lester B. Pearson était unilingue anglophone, mais il a lancé la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme dans les années 60, qui a donné lieu à la Loi sur les langues officielles. Cela, évidemment, en réponse à la montée du nationalisme au Québec. On peut dire que depuis, c’est une loi non écrite au Canada : le premier ministre doit être bilingue.

Si ce n’est par respect, c’est au moins par stratégie. Non seulement pour obtenir la faveur des électeurs francophones, mais aussi celle des électeurs anglophones qui estiment cette habileté indispensable – pour gagner l’appui du Québec, combattre le souverainisme efficacement, etc. 

Stephen Harper n’était peut-être pas Baudelaire, mais au moins, il pouvait faire une entrevue de fond en français, participer à un débat, faire la conversation.

Les conservateurs voudront-ils vraiment d’un candidat qui ne participera pas au débat en français ? Qui bredouillera ? J’en doute, mais dans une course à 14, où aucun autre candidat n’est vraiment impressionnant ou connu, bien des choses peuvent arriver.

Ce n’est peut-être pas un hasard si un candidat d’envergure, en 2017, pense que ce n’est plus important. La crise constitutionnelle semble bien loin, le souverainisme est à un creux historique, bref, la nécessité d’une forme de compromis, de curiosité ou de bienveillance linguistique n’apparaît plus aussi urgente à tout le monde. Ce courant révisionniste est minoritaire, mais il est de moins en moins timide.

Ce qui est plus surprenant, par contre, c’est que le porte-étendard du « I’m not sorry for not speaking French » se cache en dessous de son lit pour éviter le débat en français.

A coward would do just that.

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