protection de la jeunesse

« Il faut nous écouter »

De jeunes adultes ayant vécu en centres jeunesse ont brossé un portrait sombre de la DPJ devant la commission Laurent

Un recours à l’isolement abusif qui s’apparente à de la torture, des jeunes qu’on bourre de médicaments pour les garder dans le rang, des adolescents agressés sexuellement dans leur famille d’accueil : les jeunes adultes qui ont été invités à témoigner à la commission Laurent sur la protection de la jeunesse ont brossé un portrait très noir de la DPJ, hier.

« Il faut faire ce que vous n’avez jamais fait depuis 40 ans : nous écouter », a lancé, d’entrée de jeu, Camille Shaink* aux commissaires au premier jour des audiences, à Montréal.

Mise en place dans la foulée de la mort tragique de la fillette de Granby, au printemps dernier, cette commission se donne pour but de soigner un système « malade » et « désuet », selon sa présidente, Régine Laurent.

Les commissaires voulaient savoir ce que les jeunes avaient à dire. Ils ont su ou se sont fait répéter les problèmes que maints reportages et documentaires ont déjà mis en lumière au cours des 10 dernières années.

Camille Shaink a parlé des centres jeunesse comme d’un lieu de torture où la mise en isolement est courante. La privation de liberté, les barreaux aux fenêtres, les portes verrouillées de l’extérieur étaient tellement son lot, a-t-elle raconté, que quand elle s’est un jour retrouvée à Pinel, ça lui a semblé plus agréable, « plus ouvert ».

En centre jeunesse, « la séquestration est permanente. T’es enfermée, t’es derrière des barbelés, t’en viens à penser que t’as rien à perdre ».

Elle est loin d’être la seule à penser ainsi. « Faute de personnel, on enferme des jeunes dans des chambres, a poursuivi Émilie Roy. Ce n’est pas vrai que 12 jeunes doivent écoper pour le comportement d’un seul. »

Être pompier plutôt que policier

Quand il est allé au micro, Nicolas Jean-Claude Junior a avancé qu’il était sans doute « l’un des rares jeunes qui diront que ça s’est bien passé [à la DPJ] ».

C’est que sa situation familiale était si difficile que la DPJ, qu’il a lui-même appelée à l’aide, a tenu pour lui le rôle de pompiers.

« Et c’est ce que cela doit être, des pompiers et non pas des policiers. »

— Nicolas Jean-Claude Junior

Tous les jeunes qui ont défilé en audience hier ont insisté sur la difficulté de vivre dans un environnement aussi contrôlé et puis, du jour au lendemain, à 18 ans, « d’être mise à la rue avec tes sacs de poubelle », a dit Geneviève Caron, qui a raconté avoir été agressée sexuellement en famille d’accueil.

Quand plus aucun travailleur social ni éducateur n’a été dans sa vie, Kevin Champoux-Duquette, qui avait pourtant fait 30 fugues de l’un ou l’autre des sept centres où il a vécu, a été totalement déboussolé. « Lorsqu’on m’a dirigé vers un appartement supervisé, j’ai eu un vrai choc émotif et j’ai fait une dépression. J’ai ensuite eu une série de colocations qui n’étaient pas saines et des relations amoureuses désastreuses. Aujourd’hui, j’habite dans une Auberge du cœur et tout va pour le mieux. »

Sortir d’un « régime militaire »

« Tu es habitué à un régime militaire, a repris Nicolas Jean-Claude Junior. Quand tu sors, tu n’as plus un intervenant qui est derrière toi pour prendre les décisions à ta place. Juste le fait de faire son épicerie, de bien organiser son temps » est difficile.

M. Jean-Claude a dit à quel point un programme d’aide dans cette transition difficile – dont ne bénéficient pas assez de jeunes – avait été pour lui providentiel.

Quelles solutions avaient-ils à proposer, eux qui ont connu la DPJ de l’intérieur  ? Plusieurs ont salué des organismes qui leur ont été d’un grand secours, comme les Grands Frères et les Grandes Sœurs ou l’œuvre du père Pops.

« Je n’avais jamais fait de budget, je n’avais pas de revenus, je n’avais jamais signé un bail. Et tout le monde me regardait comme un tas de marde, comme si c’était de ma faute. »

— Geneviève Caron

Marcelle Partouche-Gutierez, qui a perdu sa mère très jeune, estime qu’elle a eu la chance que son aîné prenne soin de la fratrie, d’abord clandestinement. À 11 ans, dit-elle, elle avait parfaitement conscience de ce dont elle avait besoin : «  Être avec mon frère et ma sœur, me faire appeler par mon prénom et ne pas être un numéro dans un dossier. »

Quand son frère a obtenu officiellement sa garde légale, Marcelle Partouche-Gutierez a accueilli la nouvelle comme une libération. « On allait pouvoir rester ensemble. »

Écouter les préférences des jeunes

Bref, il faut respecter les préférences des jeunes, écouter leurs besoins, les encourager, aussi, à poursuivre des études.

« Il y a des obstacles énormes si l’on veut poursuivre des études supérieures, a poursuivi Marcelle Partouche-Gutierez. Je dois me battre pour avoir de l’aide financière, alors qu’on devrait au contraire nous offrir la gratuité scolaire jusqu’au doctorat, nous donner des conseils financiers et effacer nos dettes. »

Kevin Champoux-Duquette a expliqué à quel point, en 11 ans de placements, il avait eu besoin « de prendre de l’air », « de revoir [s]es anciens amis ».

En centre jeunesse, « c’est impossible de développer un réseau social positif. On ne nous permet pas de nous faire des amis de l’école régulière ».

« Tu vas à l’école et tu dors dans la même bâtisse. Ouvrez donc la porte pour que les jeunes voient qu’il y a quelque chose, dehors. Faites-leur faire du bénévolat pour qu’ils développent des compétences », a proposé Émilie Roy.

Elle a aussi plaidé pour que les jeunes soient suivis par des médecins vraiment indépendants. « J’ai été médicalisée pour une maladie qui n’était pas la mienne, bourrée de médicaments pour me calmer qui n’étaient pas les bons et qui me faisaient faire des crises. »

Des jeunes ont aussi dit avoir vécu de l’intimidation en centre jeunesse parce qu’ils n’étaient pas hétérosexuels.

Tout est-il si sombre ? En fait, des jeunes qui estiment au contraire avoir été sauvés par la DPJ sont aussi à l’horaire des audiences cette semaine.

Aussi tristes soient leurs récits, les jeunes entendus hier se sont montrés résilients.

« Des parents qui encouragent leurs enfants à aller à l’école, moi je n’ai pas eu ça, a dit Geneviève Caron en fondant en larmes. On m’a laissée à moi-même, mais l’an dernier, j’ai fini mon secondaire 5. J’ai aujourd’hui un appartement, j’ai un animal de compagnie et un emploi. »

*Les jeunes qui ont offert ces témoignages font tous partie de l’étude longitudinale sur le devenir des jeunes placés au Québec et en France.

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