EN ROUTE VERS LES ÉLECTIONS

Le toubib

Les nombreux écueils que connaît le Québec avec son système de santé ne cessent de surprendre. Les sommes formidables déployées dans ce rayon par l’État auront donné la très fausse impression que tout s’arrangerait.

Les récits d’horreur racontés ici et là par des gens de tous les horizons sont indignes d’une société moderne comme la nôtre. Qui n’a pas dans les derniers mois été témoin d’une conversation où une personne s’est déclarée chanceuse de connaître un médecin qui a pu lui obtenir un rendez-vous avec un spécialiste pour lequel une liste d’attente de plusieurs mois existait ? Ou une autre qui a raconté une attente interminable aux urgences avec un de ses enfants ?

Jamais dans l’histoire récente du Québec avons-nous connu un tel consensus autour d’une problématique – peu importe les allégeances politiques, l’accès aux soins de santé est décrié d’un bout à l’autre du Québec.

Notre émerveillement face à la médecine nous a entraînés vers des choix discutables pour gérer le ministère de la Santé. Pourtant, le Québec s’est affranchi du clergé et ses citoyens n’aspirent plus tous depuis des lunes à pratiquer le droit ou être banquier. Ce halo autour de la profession continue d’étonner. N’avons-nous pas suffisamment de preuves que le principe de Peter s’applique aussi à ces professionnels ? Mon aînée est médecin et je m’incline devant son parcours postsecondaire. Mais son curriculum ne la qualifie présentement aucunement pour gérer quoi que ce soit, sauf les patients qui la consultent.

Le problème d’accès aux soins n’a rien à voir avec la qualité des acteurs dans le secteur de la santé – c’est plutôt un problème de logistique.

Et l’erreur que nous répétons sans cesse est de nommer une personne à la tête de ce ministère qui n’a aucune connaissance en logistique. Nous assistons toujours au même film. Le nouveau médecin nommé ministre nous entraîne dans une réforme basée en grande partie sur des éléments de son ancienne pratique. Nous avons donc goûté aux réformes d’omnipraticiens ainsi que de spécialistes, même celles d’un médecin ayant pratiqué à l’étranger… Ces hommes – parce que dans le cas de médecins-ministres, ce fut toujours des hommes – avaient autant les qualifications pour diriger ce ministère que j’en ai comme banquier pour diriger la Banque du Canada.

Je comprends qu’il est improbable qu’un élu du prochain gouvernement ne soit un ancien cadre chez Amazon ou d’autres sociétés expertes dans la logistique. Mais la très grande majorité de ces élus ne pratiqueront pas la médecine – ce sera, selon moi, leur atout le plus important pour diriger le ministère de la Santé.

Femme de tête

Au prochain premier ministre du Québec, je dis ceci : choisissez l’élue la plus à l’écoute ; celle qui, par son cheminement professionnel, vous aura démontré une agilité, une habileté à traiter des problèmes complexes ; celle qui sera épanouie par le défi que vous lui offrirez. Et nommez-la à la Santé !

Parce que oui, vous devriez y nommer une femme – il faut avoir visité des hôpitaux pour comprendre qu’elles y sont en plus grand nombre que les hommes, soit pour les rendez-vous avec les enfants ou l’accompagnement de parents. 

D’instinct, elles sont rarement dans les jeux d’ego et possèdent habituellement une bien meilleure écoute que les hommes. Et de toute façon, force est d’admettre que les expériences récentes avec les hommes n’ont pas été concluantes. Mais ne la laissez pas seule à la tête de ce ministère. Assurez-vous aussi que nous possédons toutes les compétences nécessaires dans les hautes sphères du Ministère pour accompagner votre nouvelle ministre dans les réformes qu’elle proposera. Si elles n’existent pas, ne prenez pas six mois à les dénicher.

Quant aux médecins, j’espère qu’ils continueront à se présenter en politique. Ils peuvent contribuer à l’avancement du Québec bien au-delà de leurs seules compétences professionnelles. Ironiquement, en limitant le rayon d’action des médecins au seul ministère de la Santé, le Québec s’est probablement privé d’excellents ministres dans d’autres secteurs. Mais le moment de passer aux choses sérieuses en santé est venu – le seuil de tolérance des Québécois pour l’incurie est à zéro.

* Banquier, Michael M. Fortier a été ministre dans le gouvernement de Stephen Harper.

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