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OPINION SANTÉ PUBLIQUE

Pourquoi autoriser une substance « cancérogène probable » ?

Le glyphosate, qui ne pose pas de risque selon Santé Canada, a été classé ainsi par le Centre international de recherche sur le cancer

Madame Jane Philpott, ministre de la Santé,

Les Canadiens ont besoin de savoir que vous tenez compte des dernières recherches scientifiques lorsqu’il est question de situations préoccupantes qui concernent leur santé et l’environnement.

Chaque année au Canada, 25 millions de kilogrammes de pesticides à base de glyphosate sont utilisés, tels que l’herbicide Roundup, produit phare de Monsanto.

Santé Canada a récemment annoncé, à la fin d’une évaluation ayant duré sept ans, que le glyphosate ne pose aucun risque inacceptable pour la santé et l’environnement des Canadiens et qu’il peut continuer d’être utilisé largement. Or, cette évaluation comportait de sérieuses lacunes. Il y a un mois, nous vous avons transmis, dans un document de 58 pages, les preuves scientifiques qui expliquent les limites de cette analyse.

Le glyphosate a été classé comme « cancérogène probable » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), l’agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) spécialisée dans la recherche sur le cancer. Dans son évaluation, Santé Canada a omis de tenir compte, ou a exclu, de nombreuses études qui établissent un lien entre le glyphosate et le cancer. L’organisme s’est en outre fortement appuyé sur d’anciennes données transmises par l’industrie des pesticides elle-même.

Qui plus est, Santé Canada affirme que l’étude des effets du glyphosate sur les microbiomes, de différentes communautés de microorganismes essentiels tant pour la santé intestinale de l’humain que pour la qualité des sols, dépasse la portée de son analyse. Cette omission est difficilement justifiable étant donné que, dans son évaluation, Santé Canada cite des cas d’études où des animaux de laboratoire ont démontré des problèmes intestinaux potentiellement reliés à des modifications des microbiomes.

Dans son évaluation, Santé Canada a également négligé de considérer les effets du glyphosate sur les papillons monarques, une espèce qui a récemment été réévaluée comme étant « en voie de disparition » par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC).

Le glyphosate est conçu pour tuer toutes les « mauvaises herbes », y compris l’asclépiade et d’autres plantes à fleurs, desquelles les monarques dépendent pour se reproduire et s’alimenter.

Au-delà des faiblesses de l’évaluation, l’efficacité des stratégies de gestion des risques qui y sont proposées n’est étayée d’aucune preuve. À titre d’exemple, Santé Canada demande des améliorations sur les étiquettes de mises en garde des produits malgré le fait que de nombreuses études démontrent les sérieuses limites de l’étiquetage en ce qui concerne la réduction des risques et de l’exposition. 

Une telle stratégie renvoie aux particuliers la responsabilité de leur propre protection et celle de leur collectivité, tout en mettant la santé et la sécurité de la majorité des Canadiens entre les mains d’une minorité de gens qui emploient les pesticides. 

Santé Canada mentionne également que maintenir des « zones tampons » autour des champs agricoles permettra de protéger les habitats terrestres et aquatiques vulnérables, mais une étude effectuée au Québec récemment a révélé que cette stratégie n’est pas efficace.

Madame la ministre, nous vous exhortons à mettre sur pied un comité d’examen composé d’experts qui se pencheront sur la qualité du processus d’évaluation ainsi que sur la décision rendue concernant le glyphosate.

Le fossé se creuse rapidement entre le Canada et d’autres nations, notamment l’Italie, la France et le Sri Lanka, qui ont mis en place une réglementation plus rigoureuse. Les Canadiens méritent eux aussi d’être adéquatement protégés et doivent, à tout le moins, pouvoir avoir confiance dans le processus d’évaluation des risques de Santé Canada.

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