Opinion

Le clic thérapeutique

Il y aura eu l’avant et l’après.

Le texte de Katia Gagnon et de Stéphanie Vallet a eu l’effet d’un séisme suivi par une série de tsunamis.

Si nous avions voulu scénariser les événements pour un film, nous n’aurions pas mieux fait. Tout a commencé par les révélations sur Harvey Weinstein qui ont été suivies par la campagne spontanée de mots-clics #MoiAussi, #MeToo et #Balancetonporc.

Puis, nous avons appris le dépôt d’une poursuite pour harcèlement contre Marcel Aubut.

Et enfin, l’affaire Salvail, l’affaire Rozon, l’affaire Parent, l’affaire Brûlé…

L’affaire de tous.

Le réseau social a déferlé et la meute s’est déchaînée avec 41 000 messages Twitter. Au total, 58 % de ses usagers sont des hommes.

Du mercredi au dimanche, les journaux et les sites web d’information ont publié l’équivalent d’un quotidien complet sur le sujet pendant plus d’un mois. La radio et la télévision ont diffusé dans l’ensemble neuf jours complets de temps d’antenne. En Europe seulement, la radio-télé a diffusé plus de 500 reportages sur l’affaire Rozon.

En cinq jours, nos médias ont fait 77 % plus sur l’intimidation et le harcèlement que pendant le reste de l’année. Si nous avions voulu investir l’équivalent publicitaire dans une campagne de sensibilisation, ça nous aurait coûté autour de 13 millions.

Je suis souvent le premier à critiquer la trop grande futilité de certains sujets dominants dans l’actualité. Mais cette fois, nous pouvons faire la leçon à bien d’autres.

C’est Luc Lavoie et ses écureuils qui doivent être heureux de voir les médias les abandonner. Même le CH a connu son plus faible poids médiatique de l’année malgré de misérables performances.

Le comportement des médias

Le réseau social appelle un engagement personnel et émotif de la part de l’utilisateur. Il se conjugue généralement à la première et à la deuxième personne du singulier. « Je pense que tu as fait ceci. »

Le média traditionnel, en théorie plus pragmatique, conserve quant à lui une distance face à la nouvelle et aux acteurs.

Mais, la tempête a été si forte que la forme a perdu toute importance. Notre sympathie et notre appui aux victimes ont primé. Nous cherchions à venger une amie, une tante, un confrère…

Certes, on peut se questionner sur le risque de placer les médias au-devant des tribunaux et de la police. Avec le recul, je ne crois pas que ce soit un enjeu réel à long terme. C’est sans doute dans notre ADN d’avoir un ras-le-bol collectif et bruyant de façon sporadique. Souvenons-nous de la corruption et des accommodements raisonnables qui ont fait époque au Québec.

Pas assez

Oui, nous avons trop parlé des acteurs, de leurs gestes, de l’impact sur leurs activités et leur carrière. Pas assez des victimes.

Oui, la maîtrise des communications a permis aux Salvail et Rozon d’accuser le coup, de répondre et d’en subir les impacts en une période courte. Vraiment trop courte. En six heures, nous connaissions toute l’histoire d’Éric Salvail ; nous avons analysé le personnage ; il a perdu ses contrats  ; il a perdu ses commanditaires. Il y a 10 ans, ça aurait pris un mois pour en arriver au même résultat. La torture de la goutte. On les aurait vus s’effondrer tranquillement.

Aujourd’hui, le scandale s’annonce, se vit et se règle au micro-ondes. La science de la communication nous enseigne qu’un dénouement rapide est préférable pour les responsables.

D’un autre côté, si les médias sont un juste reflet de la société, je crois que quelque chose en nous a changé. Est-ce le début de la fin de l’ère du « vieux mononcle » ?

Je pense plutôt que la solidarité dont nous avons fait preuve souligne le début d’une époque de communication centrée sur la dénonciation faite par les victimes, plus d’écoute dans les entreprises et une plus grande attention autour de chacun de nous.

L’affaire Weinstein a frappé l’ensemble du monde occidental. Elle a été la nouvelle numéro un dans le monde pendant quelques jours. Toutefois, au Québec, elle a pris la forme d’une thérapie dont nous avions clairement besoin.

Merci aux victimes qui ont parlé.

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