Témoignage Évacuation par avion-ambulance

Mon fils est mort sans moi

Mon fils Mattéo a été transféré à bord du Challenger le 2 novembre 2008. Nous avons été séparés par le transfert, car on a refusé de me prendre à bord de l’avion, malgré le fait que j’étais infirmière là-bas et qu’il est courant de prendre des parents à bord d’autres avions-ambulances quand il y a de la place. 

J’ai été séparé de mon fils Mattéo pendant 12 heures. J’ai dû prendre un vol commercial – qui a failli être annulé – qui a pris du retard en raison du blizzard. 

Quand je suis arrivée à l’Hôpital de Montréal pour enfants, mon fils était aux soins intensifs. On lui avait rasé la tête. Moi qui ne lui avais encore jamais coupé ses cheveux bouclés… 

Puis, la nouvelle est tombée : mort cérébrale. Quelque part au-dessus du Québec. Sans sa maman. Seul dans les airs, son petit cerveau s’est éteint. Je n’ai jamais eu la chance de lui dire au revoir. À mon arrivée, il était trop tard. Mon fils s’est fait charcuter le crâne pour y poser un drain, s’est fait piquer de partout, et il a été enrobé avec une couverture de glace pour préserver son cerveau, juste avec un brin d’espoir. 

Je n’étais pas là pour lui dire que je l’aimais. Pour qu'il entende dans son subconscient la voix de sa maman. Il avait 2 ans 10 mois et il était probablement terrorisé. 

J’ai été prise dans un dilemme quant à mon choix de transport : prendre le Challenger pour mon fils, mais sans moi, qui atteint Montréal en 45 minutes, ou prendre Propair avec mon fils à côté de moi qui atteint Montréal en trois heures.

J’ai choisi la vitesse. Sans réfléchir à l’impact futur. Et au deuil, qui est survenu. Il fallait sauver Mattéo. 

Puis il a fallu attendre une autre journée, un autre vol commercial interminable pour que son frère et sa sœur soient présents à son décès, après le retrait du ventilateur qui le maintenait en vie artificiellement. 

Dans mon deuil, c’est le trou noir. L’amnésie de cet espace-temps qui m’a été volé. Je me suis construit des images de son arrivée en ambulance, seul. Ça m’angoisse de ne pas avoir pu être à ses côtés pour le soulager. Ça m’a pris des années pour construire ce vide. Pour oublier cette injustice. Pour oublier qu’on m’a volé mes derniers moments avec mon enfant. 

Moi, j’étais infirmière dans le Grand Nord, dans une communauté crie de Chisasibi. Avant, j’étais infirmière à l’unité de néonatalogie et de pédiatrie de l’Hôpital de Montréal pour enfants. Des enfants autochtones et inuits arrivés seuls, terrorisés et passés au bistouri, j’en ai vu. Des enfants qui se réveillent après une opération, paniqués, entourés d’un monde quasi imaginaire. Sans visage. Sans repères. 

Et en 2018, ça n’a toujours pas changé. 

Ils ont dû en faire depuis le temps des rénovations sur ces avions. Personne n’a voulu inclure une petite place pour un parent. Cette petite place assise aurait coûté au système de santé beaucoup moins à ce jour que les dommages collatéraux psychologiques qui s’en sont suivis, j’en suis certaine. 

Pour les transferts par Challenger, la situation est la même chez les autochtones cris. La situation est la même pour tout le Québec, en fait. Que vous soyez à Rimouski ou à Blanc-Sablon. 

Il y a d’autres avions-hôpitaux qui acceptent les parents à bord. Le hic, c’est que ce sont des avions plus lents. Comme Propair, par exemple. Seul Challenger refuse des parents, sous des prétextes bidon. Si un parent panique, ils ne veulent pas gérer de situations anxieuses. Aussi, ils arrêtent parfois prendre d’autres patients en cours de route. 

Ajoutez les préjugés envers les autochtones, et c’est encore plus explosif. 

C’est rarement pour le bien de l’enfant. Aucune raison pour moi n’est valable. Il faut changer de disque, M. Barrette. Ça fait 20 fois qu’il tourne. Après la mort de Mattéo, j’ai crié haut et fort contre cette pratique insensible et monstrueuse. Je voulais en faire mon cheval de bataille. Obtenir ce droit pour les parents et les enfants autochtones. Mais j’avais aussi trois autres petits nombrils dont m’occuper et une vie à reconstruire. 

Ma carrière a été détruite par le traumatisme de la mort de mon enfant dans mon milieu de travail. Votre article m’a apporté un réconfort. Quelqu’un va peut-être nous entendre. Lançons un GoFundMe. Pour acheter un petit siège supplémentaire. Pour rassurer le personnel à bord et changer des politiques désuètes du temps du Dr Spock.

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