Marché du carbone

Le Québec peut aller plus loin

Alors que la Banque mondiale, 73 pays et 1000 entreprises – une coalition qui représente plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la planète – font valoir la nécessité et la pertinence de mettre un prix sur les émissions, le Québec en est déjà à donner le coup d’envoi de la deuxième phase de son marché du carbone.

Depuis 2012, cet outil, même imparfait, incite nos grands émetteurs à réduire leurs émissions de GES. Dès le 1er janvier 2015, les distributeurs de carburants et de combustibles devront eux aussi acheter des droits pour compenser leurs émissions et celles de leurs clients. Il s’agit d’une façon concrète de transmettre un signal de prix aux émetteurs, les incitant à réduire leurs émissions réelles. Il s’agit également d’une occasion à saisir pour stimuler l’innovation au Québec, tout en combinant la création de la richesse et la sauvegarde de l’environnement. Encore faut-il prendre de bonnes décisions rapidement.

Dans ce contexte, le Québec a tout intérêt à réussir sa démarche autant pour les entreprises québécoises impliquées que pour amener d’autres juridictions à se joindre au marché et le rendre ainsi plus performant.

C’est dans cet esprit que nous formulons les propositions d’amélioration qui suivent.

OUTILLER LES ENTREPRISES

Pour y arriver, il faut continuer d’outiller les entreprises du Québec afin qu’elles puissent opérer le virage vers une économie faible en carbone et mettre en place des mesures d’efficacité énergétique tout en se tournant vers des sources d’énergie plus vertes. Au Québec, plusieurs programmes en efficacité énergétique du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles vont en ce sens. Alors que le gouvernement du Québec révise ses programmes, il est impératif que le soutien aux entreprises pour leur passage à une économie plus verte soit maintenu comme priorité.

POUR DES CRÉDITS COMPENSATOIRES MADE IN QUEBEC

Pour ne pas manquer le bateau, il faut aussi que l’on permette à des entreprises innovantes d’ici de générer des diminutions d’émissions de GES, de les valoriser sous la forme de crédits compensatoires et de les vendre sur le marché réglementé du carbone. À l’heure actuelle, notre partenaire californien, avec lequel notre marché est lié, génère des crédits en plus grande quantité qu’au Québec, notamment parce que déjà cinq protocoles de crédits compensatoires développés sur mesure pour les projets d’innovation des entreprises californiennes y sont en place.

Au Québec, de nombreux entrepreneurs d’ici ont saisi tout le potentiel économique que représente la lutte contre les changements climatiques et attendent sur la ligne de départ. Tout est en place pour démarrer des projets de réduction de GES 100 % québécois, notamment dans les secteurs de l’agriculture ou des halocarbures. Malgré de bonnes intentions, le gouvernement du Québec tarde à adopter les modifications réglementaires – notamment sous la forme de nouveaux protocoles de crédits compensatoires ou de protocoles améliorés – ou encore à appuyer concrètement le démarrage de ces initiatives. Le temps est compté pour éviter que seule la Californie en tire profit.

VOIR AU-DELÀ DE 2020

Finalement, pour les entreprises, opérer un tel changement de cap exige investissements, efforts et prévisibilité sur le long terme. Le gouvernement du Québec a déjà indiqué clairement le chemin qu’il entend suivre – réduire les émissions de GES – et l’outil qu’il privilégie – le marché du carbone, dont le chemin est bien balisé d’ici 2020. Québec doit confirmer la poursuite du marché du carbone au-delà de 2020. Sans quoi, les investisseurs et les institutions financières hésiteront à financer des projets ayant un horizon économique d’à peine 5 ans.

Nous avons tout en main pour tirer profit du marché du carbone et du passage à une économie verte.

À nous de jouer, dès maintenant !

Jean Simard, Président et chef de la direction, Association de l’aluminium du Canada

Denis Leclerc, Président et chef de la direction, Ecotech Québec

Stéphanie Trudeau, vice-présidente, Stratégie, communication et développement durable, Gaz Métro

Yves-Thomas Dorval, Président-directeur général du Conseil du patronat du Québec

Andrée-Lise Méthot, Fondatrice et associée directeure, Cycle Capital Management

Marie-Hélène Labrie, première vice-présidente, Affaires gouvernementales et communications, Enerkem

Karel Mayrand, Directeur général pour le Québec, Fondation David Suzuki

Steven Guilbeault, cofondateur et directeur principal, Équiterre

Jean Nolet, directeur général, Coop Carbone

OPINION

Couper pour s'enrichir

L’humanité devrait réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d’environ 50 % d’ici 2050 pour espérer limiter le réchauffement climatique à 2 °C d’ici 2100.

Cela limiterait les changements du climat, mais ne nous épargnerait pas d’importants bouleversements. Des événements climatiques extrêmes continueront d’être plus fréquents : pluies diluviennes, froids et chaleurs records, sécheresses.

C’est donc pour limiter l’ampleur des changements climatiques qu’il faut réduire les émissions de GES. En période de coupes budgétaires, n’y aurait-il pas lieu de voir s’il y a des convergences dans ces différents objectifs de réduction ? Et si réduire nos émissions nous rendait plus riches ?

On présente souvent les efforts de réduction de GES comme étant chers : acheter une voiture électrique, construire une maison « écologique », installer des panneaux solaires… la liste des dépenses importantes que nous pourrions faire est en effet longue. Il existe cependant une autre approche : repenser la manière dont nous organisons quelques éléments de notre quotidien, sans pour autant compromettre notre qualité de vie.

Au Québec, plus de 40 % de nos émissions de GES viennent du transport. C’est par ailleurs un secteur qui pose un grand nombre de problèmes : congestion, coût des infrastructures, accidents de la route… Alors que les gouvernements cherchent à moins dépenser, que les ménages doivent aussi réduire leur endettement, ne serait-il pas logique – indépendamment de la lutte contre les changements climatiques – de revoir notre approche au transport ?

Une petite voiture qui coûte 15 000 $ et qui consomme 7 litres/100 km ne ferait-elle pas économiser, comparativement à sa cousine plus lourde de 25 000 $, qui consomme 10 litres/100 km ? Rendre accessible à un deuxième ou un troisième passager quelques-uns des sièges vides qui circulent sur les routes, cela diminuerait la congestion routière… sans augmenter les coûts de transport. À l’heure où l’on loue son domicile sur l’internet à des inconnus pour les vacances, difficile de penser qu’il serait impossible de développer le « covoiturage 2.0 ».

Au-delà des efforts individuels, des solutions d’entreprises peuvent aussi être déployées pour augmenter l’efficacité des systèmes de transport, des bâtiments et des industries. Les véhicules roulant au gaz naturel sont plus performants, sur le plan tant économique qu’environnemental, la gestion active de la température dans les bâtiments permet de réduire leur consommation, et les solutions technologiques rendent les industries moins énergivores et plus productives. Réduire les émissions ne coûte pas plus cher. Cela demande cependant de changer les habitudes et d’innover dans nos pratiques.

Dans ce contexte, les coupes de 20 % des émissions de GES que le Québec vise pour 2020 et le marché du carbone, dont la deuxième phase entrera en place en 2015 (avec un impact de 2 à 3 cents de plus le litre d’essence), pourraient être des catalyseurs d’augmentation de la productivité du Québec. Loin de miner notre compétitivité, nos efforts climatiques pourraient nous rendre plus performants sur le plan économique, grâce à l’innovation et aux changements.

S’il est donc souhaitable pour le climat mondial que tous les pays réduisent leurs GES, l’ambition du Québec, qui dépasse celle de nos voisins immédiats, n’est pas un problème. C’est au contraire une initiative stratégique pour rendre notre économie plus performante.

En envoyant un signal de prix aux consommateurs de combustibles fossiles et en réinjectant ces sommes dans les meilleures solutions individuelles et collectives – ce que le Fonds vert doit faire – , nous pourrions transformer notre économie pour le mieux, tout en atteignant nos cibles climatiques.

Évidemment, pour que cela fonctionne, il faut que la transition s’opère : le gouvernement doit soutenir les initiatives structurantes, les entreprises doivent innover, et les citoyens doivent embrasser les changements – essentiellement en transport et en bâtiment. Ainsi, même si les négociations climatiques mondiales échouaient, ce qui n’est évidemment aucunement désirable, le Québec s’assurerait d’être en meilleure position que maintenant.

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