Chronique

Avant de mettre

des bracelets…

Des bracelets GPS pour tous les nouveau-nés ? Vous êtes sérieux ?

Aussi effroyables soient-ils, les enlèvements d’enfants dans des hôpitaux sont heureusement rarissimes. Au Québec, le cas de la petite Victoria, à l’hôpital de Trois-Rivières, est le premier du genre. Et, on le sait, l’histoire se termine bien pour cette famille. Après avoir vécu trois heures d’angoisse, les parents ont pu retrouver leur fille saine et sauve.

Personne ne devrait avoir à vivre un tel supplice. Est-ce à dire qu’il faut investir des millions pour accrocher des bracelets GPS au pied de tous les nouveau-nés de la province ? Le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, dit qu’il l’envisage. L’occasion était trop belle… Qui peut être contre un homme qui se pose en défenseur des nouveau-
nés ? Qui peut s’opposer au délire sécuritaire autour d’un berceau ?

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Bracelets électroniques pour les bébés, gardiens armés, accès à l’aile de maternité sous haute sécurité, caméras de surveillance, prise d’empreintes digitales… On s’arrête où ?

J’en discutais hier avec Annick, une mère qui a connu les maternités à haute sécurité américaines.

Elle a accouché en Floride. En plus des quatre bracelets d’identité et de la puce électronique accrochés au bébé, il a fallu que ses empreintes digitales soient prélevées avant qu’elle puisse sortir de l’hôpital avec son enfant.

De telles mesures de sécurité ne se limitaient pas aux hôpitaux. Devant la porte de l’école de ses enfants, il y avait un policier armé. Pour participer à la moindre activité bénévole ou assister à une fête en classe, il fallait faire vérifier ses antécédents judiciaires et obtenir un badge spécial avec photo…

Et tu te sentais plus en sécurité, Annick ? « Non ! » Elle se sentait surtout plus parano. Même si elle est ingénieure, rationnelle, cartésienne, elle avait toujours peur. Elle se méfiait de tout le monde. « C’est une des raisons pour lesquelles j’ai quitté les États-Unis. Je ne voulais pas que mes enfants grandissent dans cette culture de la peur. » Voir le Québec céder au même délire sécuritaire l’inquiète.

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En discutant de cette histoire de bracelets GPS pour nouveau-nés, je n’ai pu m’empêcher de penser à mon premier accouchement. C’était à l’hôpital Sainte-Justine, il y a 10 ans. L’hôpital où je suis née. Les soins que j’y ai reçus étaient impeccables. Mais pour le reste, on était très loin du bracelet électronique et plus près de l’ère soviétique.

C’était l’hiver. Dans la salle d’accouchement, la fenêtre ne se fermait pas. Dehors, il faisait moins 25. Un vent glacial soufflait dans la pièce. « Vous ne voulez pas écrire un article pour dénoncer ça ? », a demandé le médecin en riant. Peut-être pas tout de suite, docteure…

Mon lit d’accouchement était un truc grinçant à manivelle d’une autre époque. Il s’est brisé quand j’ai essayé d’en ajuster la hauteur. « Crac ! » C’est devenu un truc grinçant sans manivelle. Peut-être le même lit que ma mère avait eu 30 ans plus tôt ? Les infirmières riaient. « Ça arrive tout le temps ! On va essayer de vous en trouver un autre ! »

Depuis, on me dit que les salles d’accouchement ont été rénovées et que la majorité des lits ont été remplacés. Mais je m’interroge quand même. Dans un contexte où le système de santé est à bout de souffle, où les hôpitaux sont souvent vétustes, où il peut être difficile de trouver un médecin pour un suivi de grossesse, où les listes d’attente pour des traitements essentiels pour les enfants s’allongent, les bracelets GPS pour nouveau-nés sont-ils vraiment une priorité ?

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Pendant qu’on discute de sécurité dans les maternités, une jeune femme de 21 ans, accusée d’enlèvement, est intubée, inconsciente, à l’hôpital de Trois-Rivières. On dit qu’elle avait des problèmes de santé mentale et qu’elle avait fait des tentatives de suicide. D’où cette question que l’on n’a pas assez posée : la prévention ne passe-t-elle pas d’abord et avant tout par un meilleur accès à des soins en santé mentale ?

Davantage de sécurité dans les hôpitaux ? Oui, peut-être. Mais il faudrait surtout plus de suivi pour les patients atteints de maladies mentales, rappelait avec raison, hier matin, la psychologue Pascale Brillon, au micro de
Marie-France Bazzo.

« Ce n’est pas la maladie mentale qui est dangereuse. C’est la maladie mentale non traitée », disait la psychologue. Or, on le sait, la santé mentale est malheureusement le parent pauvre d’un système que l’on dit déjà très pauvre. Résultat : trop de gens en détresse n’ont pas accès au suivi d’un psychologue ou d’un psychiatre du réseau public. Certains en meurent.

Avant de mettre des bracelets GPS au pied des bébés, il me semble qu’il y a là matière à réflexion pour le ministre de la Santé.

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