DANSE iTMOi

Le sacrifice d’Igor

Béjart, Bausch, Preljocaj, Gallotta, Chouinard. Tous y sont allés de leur interprétation du Sacre du printemps de Nijinski tout en conservant la musique d’Igor Stravinsky. Le chorégraphe londonien Akram Khan déroge à la règle avec iTMOi (In the Mind of Igor), une œuvre créée dans la foulée du centenaire du mythique ballet et à la partition musicale inédite, présentée dès jeudi au Théâtre Maisonneuve à l’invitation de Danse Danse.

Le 29 mai 1913, Le sacre du printemps de Nijinski faisait scandale au Théâtre des Champs-Élysées de Paris alors que la musique de Stravinsky accompagnant la danse jusqu’à la mort d’une jeune fille donnée en sacrifice au dieu du printemps bousculait les conventions de la musique classique.

Cent ans plus tard, Alistair Spalding, directeur artistique du Sadler’s Wells Theatre de Londres, demande à Akram Khan de célébrer à sa manière l’anniversaire du célèbre ballet. Une commande qui, dans un premier temps, est loin d’enchanter le chorégraphe pour qui Le sacre du printemps a déjà été revisité à la perfection par Pina Bausch et Maurice Béjart.

« J’ai réécouté la musique de Stravinsky et j’y ai pensé un moment. Je suis revenu voir Alistair, lui demandant : “J’aimerais beaucoup parler à Stravinsky, est-ce que tu as son numéro ?” Il m’a alors appris qu’il n’était plus de ce monde et j’ai été sous le choc ! Je me rappelais sa musique, mais surtout ce qu’en avait fait Pina Bausch : c’est l’une des premières créations de danse contemporaine que j’ai vues », se souvient Akram Khan, déçu de ne pas avoir pu s’entretenir avec le compositeur décédé en 1971, soit quelques années avant sa naissance.

« J’avais tant de questions à lui poser. J’ai alors commencé à faire des recherches sur lui, sa carrière, son œuvre », dit le chorégraphe.

« Son parcours et sa personnalité sont devenus une source d’inspiration pour créer quelque chose à ma manière, tout en m’inspirant du Sacre du printemps. » — Akram Khan

« J’imagine très bien le chaos qui pouvait régner dans son esprit, une bataille constante entre ce que les gens voulaient qu’il dise et ce qu’il voulait vraiment dire. Le monde classique n’était pas très content quand il a fait ses premières compositions, mais il avait quelque chose à dire », ajoute-t-il.

Akram Khan conserve ainsi la notion de sacrifice présente dans le ballet de Nijinski, mais décide de faire appel à des compositeurs contemporains (Nitin Sawhney, Jocelyn Pook et Ben Frost) pour écrire la musique en s’inspirant de la rythmique de l’œuvre de Stravinsky. Ensemble, ils créent une nouvelle partition faisant alterner musique électronique, chants folkloriques, instruments classiques et guitare électrique, ne gardant que 30 secondes de la composition originale glissées entre les partitions.

« Ils avaient des perceptions différentes et je trouvais très intéressant qu’ils puissent créer des univers différents. J’ai donné un mot à chacun pour qu’ils s’en inspirent : la vie, la mort et la rupture », précise le chorégraphe.

Au thème du sacrifice qu’on retrouve dans Le sacre du printemps s’ajoutent ceux de l’amour, du mariage et de la foi dans cette création pour 11 danseurs. « J’ai aussi puisé dans ses autres créations comme Noces. Au final, la pièce porte surtout sur le rituel du sacrifice dans la société. Je parle surtout de la relation entre les plus riches et les plus pauvres, la haute société et les plus défavorisés », explique Akram Khan qui s’est notamment inspiré de rituels de sacrifice comme celui d’Abraham et Isaac.

En résulte une série de tableaux éclectiques dans lesquels les cultures et les époques se mélangent, alors que les mouvements véhéments du kathak de l’Inde épousent une danse contemporaine animale qui flirte avec le folklore russe, le hip-hop, le flamenco, le butô, et qui convoque même la gestuelle des derviches tourneurs.

« Tout ce qui est rituel dépasse la notion de temps pour moi. Ça se passe de génération en génération. Ce que tu sacrifies peut changer, mais l’émotion reste la même. On essayait d’imaginer au moment de la création la notion de sacrifice à l’époque où a été créée cette musique de Stravinsky. La scénographie, les costumes y sont ainsi reliés, mais l’idée de sacrifice est intemporelle », confie Akram Khan.

Le chorégraphe est actuellement au Brésil où il se produit aux côtés d’Israel Galván dans le duo Torobaka. L’an prochain, il partira en tournée avec Until the Lions, une nouvelle pièce spécialement conçue pour des théâtres circulaires et inspirée du poème Mahabharata, une épopée sanskrite de la mythologie hindoue.

iTMOi, du 30 octobre au 1er novembre au Théâtre Maisonneuve

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