fondation Curling pour les enfants
Faire d’une pierre deux coups

Au-delà des lits trop durs, du « manger » trop mou et de l’engorgement aux urgences, les hôpitaux et les centres de santé du Québec regorgent de belles histoires. Deux fois par mois, La Presse passe une bonne nouvelle, une bonne action ou un dénouement heureux au scalpel. Cette semaine, une famille vouée à la cause des enfants malades.

L’automne dernier, quelques dépêches annonçaient l’acquisition par l’hôpital Sainte-Justine d’un laser neurochirurgical, le tout premier au Canada, rendue possible grâce à une promesse de don de 600 000 $ de la fondation Curling pour les enfants. Le nouvel outil permet d’opérer avec une précision et une efficacité inégalées les enfants atteints d’épilepsie chronique ou de tumeur cérébrale.

Or, bien peu connaissent l’histoire derrière ce cadeau qui, loin d’être tombé du ciel, jalonne le dévouement d’une famille de bénévoles de Saint-Lambert rompue depuis une vingtaine d’années à la cause des enfants malades.

Saut dans le passé. En 1996, Sylvie et Robert Sears attendent la naissance d’Alexandra. Leur fille Jessica, âgée de 2 ans, tombe malade. « Simple gastro », diront deux médecins. Mais des vomissements et des convulsions pointent vers un diagnostic plus sérieux : le bébé a une hémorragie due à une malformation artérioveineuse. « C’est le pire type de malformation, qui peut mener à la paralysie ou à la mort », raconte Sylvie, attablée avec son mari Robert et leurs deux filles dans un café du Vieux-Montréal.

Après une angoissante série de tests dans les hôpitaux de la région, Jessica Sears doit subir une opération capitale et risquée le 7 novembre 1996 à l’hôpital Sainte-Justine. La craniotomie et l’ablation de la malformation sont réalisées avec succès. Cinq jours plus tard, Jessica sort de l’hôpital, pleinement guérie. « C’est comme si c’était arrivé à quelqu’un d’autre, je n’ai rien connu de ça, je n’ai pas de séquelles », dit la jeune femme, aujourd’hui âgée de 22 ans. Pendant les traitements, la naissance d’Alexandra a permis d’alléger l’angoisse des parents. « On est chanceux. Ce sont mes deux miracles », répète Sylvie.

Cette année-là, Robert Sears organise sporadiquement des événements de curling avec ses collègues. Il décide de faire d’une pierre deux coups et de récolter des dons pour la Fondation de l’hôpital Sainte-Justine, envers qui il se sent redevable. « On voulait redonner à l’hôpital qui a sauvé la vie de Jessica. La première année, j’ai demandé à une centaine de personnes d’apporter 5 $ de plus. […] Finalement, on a amassé 7000 $. »

Outiller les hôpitaux

Retour dans le présent. Une vingtaine d’années ont filé. Les tournois annuels de la fondation Curling pour les enfants ont permis de récolter 2,5 millions dans une dizaine de clubs, de Baie-d’Urfé à Sorel-Tracy. « Je n’y aurais jamais cru », s’étonne encore Robert Sears.

Celui qui gère l’administration, l’organisation et les relations publiques des tournois occupe deux emplois à temps plein, en quelque sorte. L’un dans les technologies de l’information, l’autre comme président de la fondation Curling pour les enfants. Après sa journée de travail, il soupe avec la famille, puis descend vite au sous-sol. « La fondation, c’est son troisième enfant », rigole Jessica, qui étudie en architecture. Sa sœur et elle partagent une profonde admiration pour leur père. « C’est notre héros, il fait des choses extraordinaires. » Alexandra, future enseignante, opine d’un sourire.

Et si toute cette besogne nocturne ne rémunère pas, elle paie. Pour le prochain tournoi seulement, le 1er avril, l’objectif sera de 340 000 $. « On n’est pas des grands curleurs, dit Sylvie. C’est davantage un prétexte pour se trouver entre amis. Comme une grande fête. »

Toute la famille met la main à la pâte. « Alexandra, elle a cette qualité de pouvoir rassembler et de mobiliser ses amis, de vendre des billets, raconte la mère avec fierté. Jessica, elle, développe des idées, vend des biscuits, fait le livret pour nos donateurs. »

L’argent amassé, plutôt que de garnir un portefeuille abstrait, est voué à des achats tangibles au bénéfice de l’hôpital Sainte-Justine et de l’Hôpital de Montréal pour enfants. La liste est exhaustive : incubateurs, ventilateurs de sauvetage portatifs, masques pour traiter l’apnée du sommeil, appareils respiratoires, salle de jeu, etc.

« L’un des objectifs serait d’amasser 1 million lors d’une seule journée de tournois. Ça me donne des frissons juste à y penser. » — Robert Sears

Robert Sears, qui alloue quelque 30 heures par semaine – près de 2000 heures par année – pour gérer et développer la fondation, a-t-il parfois l’impression de pallier les lacunes financières de l’État ? « Oui, c’est très frustrant, acquiesce-t-il. Les hôpitaux n’ont pas ce dont ils ont besoin. Les impôts et les taxes qu’on paie devraient être davantage utilisés pour la santé des enfants. Nous, on demande aux hôpitaux : “Qu’est-ce que vous ne pouvez pas acheter ? ” On nous a dit que sans notre fondation, Sainte-Justine n’aurait pas de laser neurochirurgical. C’est fâchant. »

En attendant que les hôpitaux soient financés dignement, Robert Sears gère sa fondation comme une entreprise aux visées expansionnistes : plus d’heures de travail devant son ordinateur, plus de clubs de curling participants à l’échelle du Canada, plus d’activités de financement… Et ainsi, plus d’argent pour les enfants malades.

Jessica et Alexandra sont déjà conscientes qu’elles prendront un jour la relève de la fondation que leur père a mise sur pied. « Ce sont elles qui m’inspirent », dit le philanthrope en jetant un regard bienveillant sur ses deux filles en santé.

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