Grande entrevue Michel Letellier, PDG d’Innergex

Le bras de développement de l’énergie alternative d’Hydro-Québec

Hydro-Québec est devenue en février dernier l’actionnaire de référence du producteur et opérateur d’énergie alternative Innergex qui est propriétaire de petites centrales hydroélectriques ainsi que de parcs éoliens et solaires. Un investissement de 660 millions judicieux pour la société d’État puisqu’il s’est apprécié en moins d’un an de plus de 400 millions en raison de la forte valorisation du titre d’Innergex. « On souhaite devenir le bras de développement de l’énergie alternative d’Hydro-Québec », explique le PDG de l’entreprise, Michel Letellier.

Dans un mois, cela fera un an qu’Hydro-Québec est devenue votre principal actionnaire en prenant une participation de 19,9 % à votre capital. Quel bilan faites-vous de ce nouveau partenariat ?

Ce partenariat était souhaité pour plusieurs raisons. D’abord, cela nous apportait du capital de développement, mais on souhaitait surtout avoir un actionnaire de référence québécois solide pour nous rendre moins vulnérables à une prise de contrôle indésirable.

Depuis un an et demi, l’investissement responsable est devenu soudainement très demandé. On se sentait devenir une cible et en nous associant à Hydro-Québec il y avait de fortes possibilités de synergies, notamment dans le domaine du stockage de l’énergie et la gestion des réseaux.

Dans la foulée de la prise de participation d’Hydro-Québec, on a réalisé deux acquisitions totalisant 275 millions, au Chili et aux États-Unis.

Il n’y a pas un danger qu’Hydro-Québec ait succombé à une mode comme elle l’a déjà fait dans le passé en investissant dans Gaz Métro (maintenant Énergir) ou dans des systèmes de distribution au Chili d’où elle est sortie par la suite ?

C’est une question qu’on s’est posée au conseil d’administration. Est-ce que l’arrivée d’un nouveau gouvernement pourrait modifier les priorités de notre partenaire ? On a convenu qu’il s’agissait d’un beau risque.

Ce n’est pas facile pour Hydro-Québec de générer de la croissance dans les grands projets hydroélectriques qui sont devenus très dispendieux, alors les projets alternatifs comme l’éolien et bientôt le solaire sont maintenant beaucoup plus compétitifs sur le plan des coûts.

On souhaite devenir le bras du développement de l’énergie alternative d’Hydro-Québec à l’extérieur du Québec et on va profiter de son expertise et de notre agilité à développer de nouveaux marchés.

Je pense notamment à celui du stockage de l’énergie alternative. On vient de compléter le premier contrat commercial d’une batterie d’Hydro-Québec dans notre projet éolien Tonnerre en France. Les batteries permettent de régulariser la tension tout comme de stocker de l’énergie solaire pour l’utiliser plus tard en soirée.

Vous êtes actifs dans les minicentrales hydroélectriques, les parcs éoliens, les parcs solaires et maintenant le stockage d’énergie. Quelle est l’importance de chacune de ces activités ?

On réalise de 35 à 40 % de nos revenus dans l’hydro et 55 % dans l’éolien, mais la part du solaire et du stockage est appelée à prendre de l’importance au cours des cinq prochaines années.

Autant l’éolien semblait coûter cher à l’époque, autant il est devenu meilleur marché. C’est le même phénomène qui se produit avec le solaire. Les panneaux que l’on payait 2 $ il y a six ans ne coûtent plus aujourd’hui que 25 ou 30 cents.

La prochaine filière que l’on se prépare à exploiter sera celle de l’hydrogène vert, celui que l’on peut produire à partir d’énergies alternatives. Les technologies vont se développer et rendre cette nouvelle énergie verte accessible d’ici cinq à dix ans.

Les producteurs d’énergies renouvelables semblent être devenus aujourd’hui des nécessités absolues. Tous les grands fonds de pension ne jurent que par l’investissement responsable et respectueux de l’environnement. Vous avez la cote. Comment l’expliquez-vous ?

On est entré dans un cercle vertueux. Le coût du capital de développement est rendu très avantageux, et les technologies qui évoluent permettent de rendre les prix de l’énergie alternative de plus en plus compétitifs et même avantageux par rapport aux énergies telles que le gaz naturel.

Lorsque l’on regarde l’évolution au cours de la dernière année de votre titre boursier tout comme celui de votre comparable Boralex, on remarque une forte appréciation. Est-ce que le marché reconnaît enfin votre potentiel ?

Ça fait 30 ans que je suis dans l’industrie de l’énergie renouvelable. J’ai débuté chez Boralex, avant que Cascades ne devienne son principal actionnaire puis, depuis 1997, je suis chez Innergex et c’est la première fois que je sens que l’on reconnaît vraiment notre importance et que j’observe une telle demande pour l’énergie verte.

Nos possibilités s’élargissent parce que l’énergie renouvelable est maintenant demandée dans le bilan des entreprises. Les normes ESG (environnement, social et gouvernance) s’imposent dans les bilans des entreprises et nous ouvrent des nouveaux marchés.

Quels sont les marchés qui sont aujourd’hui les plus porteurs pour Innergex ?

On a 37 centrales hydroélectriques, 32 parcs éoliens et 6 parcs solaires au Canada, aux États-Unis, au Chili, en France pour une puissance brute de 3700 mégawatts. On est le plus gros producteur indépendant d’énergies renouvelables en Colombie-Britannique et on développe le stockage d’énergie alternative dans les îles hawaiiennes.

Les subventions à l’énergie éolienne aux États-Unis en font un marché très attrayant puisqu’elles représentent l’équivalent de 3,5 cents le kilowattheure. C’est pourquoi on s’intéresse notamment au marché du Texas, où la qualité de la ressource est bonne.

Aux États-Unis, les subventions à l’implantation de parcs solaires sont aussi extrêmement avantageuses puisqu’elles couvrent 30 % des coûts d’investissement en capital. Ces programmes sont restés intacts malgré la volonté de Donald Trump de revenir à l’exploitation du charbon et du gaz naturel par fracturation.

Comment espérez-vous profiter de votre partenariat avec Hydro-Québec au cours des prochaines années ?

On peut compter sur Hydro-Québec comme actionnaire de référence mais aussi comme partenaire financier de nos projets d’investissement.

On a déjà travaillé ensemble sur quelques projets d’acquisitions dans l’éolien, mais ils n’ont pas abouti. Il faut être tenace. On veut participer avec Hydro-Québec et le gouvernement au développement de la filière de la batterie au lithium québécoise et exporter notre savoir-faire.

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