Ados et téléphones intelligents

Une chercheuse lance un appel au calme aux parents

Pendant un an, Sonia Livingstone, professeure de psychologie sociale à la London School of Economics, a suivi avec son équipe des élèves d’une classe d’adolescents de 13 ans à l’école, à la maison, avec leurs amis et sur les réseaux sociaux pour analyser l’utilisation qu’ils font des technologies numériques. Leur constat n’est pas aussi alarmiste que le prétend le discours ambiant. Entrevue.

Les téléphones intelligents sont des trous noirs qui avalent la vie des adolescents et nuisent à leur développement. Telle est l’idée reçue, répétée sous diverses formes, par les adultes et parents inquiets.

Pour vérifier cette hypothèse, une équipe dirigée par Sonia Livingstone, professeure de psychologie sociale à la London School of Economics, a suivi pendant un an 28 élèves de 13 ans d’une classe d’une école publique de Londres – l’une des enquêtes les plus fouillées jusqu’ici sur le rapport qu’entretiennent les jeunes avec les technologies numériques.

« Les jeunes ne souhaitent pas plus être constamment branchés à leur téléphone que les adultes peuvent l’être, écrit Mme Livingstone. Ce qu’ils veulent, c’est avoir le choix. » Mme Livingstone cosigne avec Julian Sefton-Green un livre sur l’expérience, intitulé The Class – Living and Learning in the Digital Age, qui vient de paraître aux Presses de l’Université de New York. La Presse l’a interviewée.

Nous avons souvent l’impression que les adolescents sont « accros » à leur téléphone intelligent ou leur tablette et que cette dépendance est néfaste pour eux. Pourtant, votre expérience vous fait dire que cette intuition est fausse. Qu’est-ce qui nous échappe ?

Les recherches nous disent qu’environ 5 % des adolescents peuvent être sérieusement considérés comme ayant une dépendance à leur téléphone – en ce sens que leur utilisation a des conséquences problématiques dans leur vie, comme une baisse de leurs notes à l’école, une perte de sommeil, de l’isolement social, etc.

Les recherches montrent aussi que les adolescents passent beaucoup de temps à utiliser leur téléphone. Alors, la question est : pourquoi les adultes, et spécialement les parents, croient-ils que le temps passé sur le téléphone est déraisonnable ? Lors de notre recherche, nous avons constaté que les adolescents s’ennuient souvent au cours d’une journée ou attendent après les autres. Le téléphone peut être utilisé pour meubler ces moments creux.

De plus, les adolescents sont très curieux de suivre les drames et les évènements qui surviennent dans leur réseau d’amis, et le téléphone leur permet de le faire, surtout quand leurs parents ne veulent pas qu’ils sortent et partent flâner sans supervision dans le quartier avec leurs copains. Finalement, les adolescents savent très bien que leur utilisation du téléphone agace leurs parents, et ils ne se privent pas de saisir cette occasion d’exercer un peu de contrôle sur leur vie – utiliser leur téléphone montre qu’ils sont maîtres de leurs pensées, de leurs connexions et de leur temps.

En quoi votre perception de l’utilisation que font les adolescents des téléphones intelligents a-t-elle changé après avoir passé un an à les suivre ?

J’ai commencé l’expérience en ayant la même opinion que bien des adultes, avec des idées préconçues concernant leur utilisation des technologies numériques. Graduellement, j’ai pu constater à quel point ces jeunes recherchaient et valorisaient énormément les contacts en personne, mais que c’était pour eux un combat de trouver des occasions de voir leurs amis après l’école, à notre époque où l’aversion au risque est si prononcée et où les jeunes ne sont pas libres de leurs mouvements.

Pour tout dire, j’ai été impressionnée de voir comment ils géraient l’énorme flux d’appareils numériques et de contenu dans leur vie. J’ai aussi vu comment le téléphone était un point de friction avec leurs parents et comment cela créait une occasion pour les jeunes d’exprimer leur indépendance, ce qui est vital pour eux.

Vous écrivez que les téléphones intelligents sont aujourd’hui perçus comme ces « monstres » qui vont détruire la jeunesse, un peu comme la télévision l’a été à une certaine époque, ou le rock’n’roll des Beatles et les déhanchements d’Elvis Presley dans les années 60…

Oui, c’est ce que je crois. Les parents se préoccupent des téléphones intelligents en partie parce que les médias leur disent qu’il faut s’en préoccuper – on voit beaucoup de gros titres effrayants, qui sont rarement basés sur des preuves solides. C’est aussi en partie parce que l’utilisation du téléphone par les adolescents représente un défi à l’autorité parentale, et parce qu’il est difficile de voir ce que les jeunes font sur leur téléphone.

Je crois de plus qu’une part d’inquiétude vient du fait que, en plus d’être pratique, le téléphone amène avec lui un risque réel de causer du tort, comme outil d’intimidation et source de contacts indésirables, de harcèlement sexuel, perte de données privées, etc.

Bien des parents tentent d’imposer des limites sur l’utilisation que font leurs enfants des téléphones intelligents, des tablettes et autres technologies. À votre avis, à quoi ressembleraient les règles idéales ?

J’essaierais de ne pas imposer une limite de temps d’utilisation, mais plutôt de faire le point sur deux choses. Premièrement, est-ce que mon enfant a vraiment une carence de sommeil, ou tourne le dos à sa famille, ou connaît une baisse de ses notes à l’école ? Si c’est le cas, oubliez le téléphone et concentrez-vous sur la façon d’améliorer son sommeil, la qualité du temps passé en famille ou le temps consacré aux études. Laissez l’enfant faire des suggestions, et s’il parle de son utilisation problématique du téléphone, alors saisissez la perche et discutez-en. Deuxièmement, j’examinerais ma propre utilisation du téléphone. J’essaierais d’être un exemple en matière de bonnes pratiques. On a tendance à l’oublier, mais les parents sont la principale source d’influence dans la vie de leurs enfants !

3 sur 4

Près de trois adolescents américains sur quatre possèdent un téléphone intelligent ou y ont accès.

Réseaux sociaux, moins populaires que… la musique

Pourcentage d’adolescents qui disent aimer « beaucoup »…

… utiliser les réseaux sociaux : 36 %

… écouter de la musique : 73 %

… regarder la télévision 45 %

Sources : Pew Research Teens, Social Media & Technology Overview 2015. The Common Sense Census : Media Use by Tweens and Teens 2015.

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