TECHNOLOGIE

Tester la compatibilité des couples en laboratoire

Pour 149 $US, l’entreprise torontoise Instant Chemistry propose d’évaluer en laboratoire le degré de compatibilité des couples, à l’aide d’échantillons de salive et de tests psychologiques. La Presse a joint Sara Seabrooke, détentrice d’un doctorat en génétique et neuroscience de l’Université de Toronto et cofondatrice d’Instant Chemistry, pour parler de ce service matrimonial futuriste.

Que testez-vous exactement ?

Notre test comporte trois éléments. Il y a l’évaluation de la compatibilité biologique, qui s’attarde aux antigènes des leucocytes humains (HLA). Ce sont les gènes de notre système immunitaire qui contribuent à l’attraction physique entre deux personnes. Nous étudions ensuite la neurocompatibilité, en nous penchant sur les gènes liés à la sérotonine, à l’ocytocine et à la dopamine. Enfin, nous proposons un test psychologique. Il permet d’établir le type de personnalité des partenaires, quels sont leurs points forts, les potentielles zones de conflits et comment les gérer.

Pouvez-vous donner un exemple plus précis de ce que vous testez ?

Prenons le transporteur de sérotonine. La version que vous avez a un impact sur la façon dont la sérotonine touche votre comportement. Si vous avez ce qu’on appelle la version courte du transporteur, vous êtes plus susceptible de réagir très fortement aux situations, qu’elles soient positives ou négatives.

Une recherche effectuée sur des couples mariés depuis 13 ans a démontré que lorsque les deux membres du couple ont la version courte de ce transporteur, la satisfaction qu’ils retirent de leur relation diminue. Quand les choses vont bien, elles vont vraiment bien. Mais quand elles vont mal, elles vont vraiment mal. Et après une longue période, ce qui va mal finit par l’emporter sur ce qui va bien.

Évidemment, on ne peut changer de transporteur…

Non, bien sûr. Mais la génétique, ce n’est pas tout ce qui entre en jeu dans une relation. Si vous savez que vous avez tous les deux des transporteurs courts, vous pouvez être conscients du fait que vous risquez de réagir très fortement lors d’une situation négative. Vous pouvez essayer de prendre du recul, puisque ça peut avoir un impact sur votre relation.

Combien de couples ont passé votre test ?

Environ 120 couples, en un an et demi.

Votre mari (Ron Gonzalez, cofondateur d’Instant Chemistry et détenteur d’un doctorat en neuroscience de l’Université York) et vous avez été évalués ?

Oh oui, nous avons été parmi les premiers. Nous avons eu des résultats dans la moyenne, avec une note globale de 76 %. Je comprends maintenant mieux pourquoi mon mari agit comme il le fait, sachant que ses variantes génétiques particulières y contribuent. J’ai une meilleure compréhension de la façon dont notre relation fonctionne.

Que répondez-vous aux scientifiques qui disent de ne pas gaspiller d’argent dans ce genre de test ?

Ça fait 20 ans qu’on fait ces études. Ç’a été fait dans un bon nombre de laboratoires universitaires, du monde entier. Si nous attendons qu’un chercheur universitaire juge que les résultats sont prêts à être mis à la disposition de la population, ça ne se fera jamais.

Note : les réponses ont été éditées et traduites de l’anglais.

Gros bémols

« Ces tests – similaires aux tests de santé de base vendus par 23andMe – ont peu de valeur scientifique », tranche Bryn Williams-Jones, directeur des programmes de bioéthique et professeur agrégé à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

« C’est à peu près aussi utile que de savoir que je suis en partie viking à partir du site Ancestry.com et de 23andMe, illustre le bioéthicien. Une affirmation faite à partir de données épidémiologiques incroyablement faibles. »

Le lien entre l’attirance physique et les antigènes des leucocytes humains (HLA) « a déjà été soulevé par les scientifiques », reconnaît Mélanie Dieudé, chercheuse au Centre de recherche du CHUM à Montréal. « Des études chez l’animal ont démontré que ces molécules sont une source d’odeurs qui influencent, entre autres, la reconnaissance des individus, les comportements de nidification et le choix de partenaire », précise-t-elle.

Une étude publiée en 2002 dans Nature Genetics a rapporté que « chez l’humain, l’attirance physique d’une femme peut être influencée par les odeurs dérivées des HLA hérités de son père, ajoute l’immunologiste. Cependant, ces molécules ont le potentiel de générer des millions de combinaisons possibles. »

L’AMOUR, CET INCONNU

Instant Chemistry affirme tester six gènes associés à l’attirance physique et au succès relationnel, ce qui étonne Mme Dieudé. « À ma connaissance, aucun polymorphisme HLA n’a été identifié comme tel », indique-t-elle.

De plus, « les chercheurs s’accordent pour dire que les effets de ces odeurs sont fortement modifiés par des facteurs psychologiques et d’interaction sociale, souligne Mme Dieudé. Heureusement, il reste encore beaucoup beaucoup de magie et d’inconnus dans la détermination des facteurs qui déterminent l’attirance physique ».

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