Montréal, 375 ans d’histoire

Une première voiture sans  chevaux

« L’automobilisme ». Bien en vue au centre de la une du numéro du 22 novembre 1899, le titre du quotidien La Patrie annonce que la première voiture sans chevaux a roulé dans les rues de Montréal la veille.

Le mardi 21 novembre donc, une voiture de marque américaine Waltham, conduite par Ucal-Henri Dandurand, promoteur immobilier, bourgeois, bilingue, avant-gardiste et, paraît-il, homme pas très souriant, circule dans quelques rues du centre-ville. Elle grimpe notamment la rue Windsor (aujourd’hui Peel) pour redescendre par la côte du Beaver Hall.

« Hier après-midi, le premier automobile [sic] est passé par nos rues principales et l’expérience a été couronnée de succès, lit-on en amorce du texte de La Patrie. Une nouvelle expérience sera tentée cette après-midi et les personnes qui se trouveront sur la Place d’Armes, vers quatre heures, pourront voir à l’œuvre le véhicule des temps modernes. »

Cette première montréalaise a été au moins une fois remise en question. Dans la revue Nos racines, l’histoire vivante des Québécois (no 119, juillet 1982), les historiens Jacques Lacoursière et Hélène-Andrée Bizier affirmaient qu’au printemps 1898, donc 18 mois avant Dandurand, les Montréalais L.-C. Rivard et E. Guillet ont circulé dans les rues boueuses de la métropole à bord de deux voitures américaines. Il reste que le flamboyant Dandurand aura popularisé l’engin, notamment en achetant plusieurs modèles et parce que lors de sa célèbre promenade de l’automne 1899, il fit monter à ses côtés nul autre que le maire en fonction, Raymond Préfontaine.

Ce ne serait pas la dernière fois que Dandurand accueillerait des passagers ! Au contraire, ce développeur immobilier fait grimper des clients à bord pour leur faire visiter des terrains. Achetée au Massachusetts dans la ville lui ayant donné son nom et située à l’ouest de Boston, la Waltham compte six réservoirs d’eau parce qu’elle est mue par la vapeur.

« La voiture fut livrée non pas avec un manuel d’instruction, mais avec un mécanicien en chair et en os, pédagogue de la mécanique, lequel consacra deux mois à la formation de Dandurand… »

— Hélène-Andrée Bizier, dans son livre Une histoire du Québec en photos

La technique de fonctionnement à la vapeur sera vite remplacée par le moteur à explosion. Encore là, Dandurand suivra de près le développement de l’industrie. Après sa Waltham, il achètera plusieurs autres voitures dont une Crestmobile avec démarreur automatique, mais surtout, une voiture française de marque De Dion-Bouton.

PREMIÈRE IMMATRICULATION 

L’achat, moyennant 1500 $, de cette De Dion-Bouton en 1903 passera à l’histoire. Il s’agira de la toute première voiture immatriculée au Québec.

Comme c’est le cas avec les propriétaires de voitures tirées par des chevaux, Dandurand s’adresse à la Ville de Montréal pour obtenir un permis lui permettant de circuler avec son singulier véhicule. À défaut de délivrer un permis spécifique à ces nouvelles machines, on lui délivre une plaque pour vélo.

Mais en 1906, le gouvernement du Québec décide de prendre en charge cette responsabilité et délivre à Dandurand une plaque moyennant la somme de 10 $. « Délivrer » est un bien grand mot, car il revient au propriétaire de peindre l’inscription à l’arrière de son véhicule.

C’est ainsi que la De Dion-Bouton rouge de Dandurand fut peinte de l’inscription Q1 en jaune. L’histoire de l’immatriculation des véhicules automobiles au Québec venait de naître. La voiture de Dandurand est exposée aujourd’hui au musée du Château Ramezay.

URBANISATION DE ROSEMONT 

Outre l’automobile, l’histoire et la vie de Dandurand sont pour toujours liées à Montréal pour sa contribution à l’urbanisation du quartier Rosemont.

Lorsque les usines Angus s’installent dans ce secteur, au début du XXe siècle, Dandurand et un associé, Herbert Holt, achètent un immense lot, la terre Crawford, au nord de celles-ci et y construisent quelque 2000 lots à vendre aux employés.

Rosemont vient d’ailleurs du prénom de la mère de Dandurand, Rose Phillips, écossaise d’origine. Aujourd’hui, les rues Dandurand et Holt s’articulent dans un axe est-ouest de Rosemont, juste au nord de la rue Masson.

Au moment où Dandurand fait ses premières sorties en Waltham dans les rues de Montréal, La Patrie, comme La Presse, annonce que Dandurand et son partenaire d’affaires A.J. Corriveau détiennent les droits canadiens pour une production en série de tels véhicules.

« La manufacture sera établie sous peu à Montréal ou aux environs, écrit La Patrie le 22 novembre 1899. Non seulement les machines à gazoline, mais bien celles qui sont mues par l’électricité y seront construites. »

Cette prédiction ne semble pas s’être réalisée. Du moins, les livres d’histoire n’en font pas mention. Sans doute que Dandurand est passé à autre chose.

ET AUJOURD’HUI…

D’une poignée de véhicules dans les rues de Montréal au début du XXe siècle, on en compte des centaines de milliers aujourd’hui, comme le montrent ces statistiques publiées par la Ville de Montréal.

En 2014

750 437 véhicules de promenade

143 824 véhicules institutionnels, professionnels ou commerciaux

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