Entente de principe avec les médecins spécialistes

La méthode Barrette écartée

QUÉBEC — Québec laisse tomber la ligne dure face aux médecins spécialistes dans l’application de deux lois majeures signées Gaétan Barrette. Il obtient en retour un étalement sur un plus grand nombre d’années des hausses de rémunération déjà promises au corps médical.

C’est en substance ce que contient l’entente de principe conclue entre le gouvernement Couillard et la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), selon des informations glanées par La Presse hier. Sur le plan financier, les 11 000 spécialistes auraient droit à des hausses un peu inférieures à celles accordées aux médecins de famille, qui ont obtenu 14,7 % d’ici 2023.

Le contenu de l’accord ne sera rendu public que dans les prochaines semaines, une fois que les membres du syndicat l’auront entériné, a indiqué Québec dans un communiqué hier. En fait, le gouvernement a déjà encerclé des dates sur son calendrier pour dévoiler l’entente : les 22 et 23 février, au moment où l’Assemblée nationale ne siégera pas en raison du début de la relâche parlementaire de deux semaines. Il s’épargne ainsi un affrontement à chaud avec l’opposition au Salon bleu.

La technique est éprouvée : le gouvernement avait choisi le 6 octobre pour présenter, dans la confusion la plus totale, son entente avec la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), un vendredi marquant le début d’une relâche parlementaire.

Québec et la FMSQ se sont entendus au terme de négociations intensives lancées à la fin de décembre, lorsque le premier ministre Philippe Couillard a retiré le dossier à Gaétan Barrette. Les pourparlers ont été menés par un comité formé de l’ex-secrétaire général Roberto Iglesias – proche de M. Couillard et réputé en grippe contre M. Barrette – et de deux négociateurs du Trésor, Maurice Charlebois et Édith Lapointe.

Pas de pénalités

Le tiers des médecins spécialistes s’exposaient à des sanctions financières allant de 10 % à 30 % de leur rémunération totale parce qu’ils n’ont pas respecté des cibles de performance en date du 31 décembre dernier. C’est ce que prévoyait l’application de la loi 20 de Gaétan Barrette. Or l’entente de principe élimine cette menace que le ministre de la Santé s’apprêtait à concrétiser. Québec donnerait une chance de plus aux spécialistes d’améliorer davantage l’accès à leurs services.

La loi 130 de Gaétan Barrette est édentée elle aussi. Elle visait à imposer de nouvelles obligations aux spécialistes pour qu’ils conservent leurs « privilèges », c’est-à-dire le droit de pratiquer à l’hôpital. Mais la plupart des contraintes envers les médecins sont levées, selon les informations qui circulent sur le contenu de l’entente de principe.

« Cette entente est en droite ligne avec les demandes et les orientations de nos membres […]. La FMSQ a maintes fois réitéré sa volonté de négocier une entente portant sur la détermination des conditions de travail. Nous avons obtenu ce droit. »

— La présidente de la FMSQ, Diane Francoeur, qui « réserve ses commentaires jusqu’au moment où les textes finaux seront complétés puisque certains éléments sont toujours sujets à discussion »

La FMSQ était prête en décembre à déposer une poursuite contre le gouvernement pour faire invalider la loi 130. Elle se plaignait que le ministre Barrette refuse aux médecins le droit à la négociation de leurs conditions de travail. C’est sous cette menace que Philippe Couillard a décidé de retirer à Gaétan Barrette les négociations, comme il l’avait fait dans le cas de la FMOQ. L’entente évite un affrontement avec les médecins en période préélectorale.

Une affaire de gros sous

L’accord de principe prévoit l’étalement sur une plus longue période, d’ici 2023 plutôt que 2021, des hausses de rémunération déjà promises aux spécialistes en vertu d’ententes antérieures. Québec ne remettrait pas en question la valeur de ces augmentations avec l’entente de principe. Il aurait toutefois convaincu la FMSQ, comme la FMOQ d’ailleurs, d’abandonner la clause de parité salariale (« clause remorque ») avec le secteur public qu’il lui avait consentie il y a quelques années et qui garantissait des hausses de 5,25 % de plus aux spécialistes.

En fin de compte, les spécialistes toucheraient un peu moins que les hausses de 14,7 % d’ici 2023 obtenues par les omnipraticiens. C’est logique : le gouvernement voulait avec ces nouvelles ententes réduire l’écart entre la rémunération des omnipraticiens et celle des spécialistes. Quelque 2,4 % des 14,7 % obtenus par la FMOQ représentent de « l’argent neuf » accordé précisément à cette fin, selon son entente.

650 millions

Somme des chèques non récurrents que la FMOQ a obtenue d’ici 2023 pour ses 10 000 membres, somme due en vertu d’ententes passées. La FMSQ a droit pour la même raison à des chèques non récurrents pour ses membres.

Comme la FMOQ, la FMSQ obtiendrait une hausse annuelle supplémentaire de 2 % de son enveloppe de rémunération au titre de « l’évolution de pratique », hausse qui sert principalement à financer l’arrivée de nouveaux médecins. C’était environ 2,5 % par année auparavant.

Autre élément obtenu autant par la FMSQ que la FMOQ : un organisme indépendant, l’Institut canadien d’information sur la santé, aura le mandat de faire une étude comparative de la rémunération des médecins ontariens et québécois, en tenant compte du coût de la vie. S’il y a écart – ce dont doute le gouvernement, surtout pour les spécialistes –, il devrait y avoir négociation pour le résorber. Un mécanisme d’arbitrage est prévu si les parties ne s’entendent pas sur la valeur de l’écart.

L’entente avec la FMOQ représente 1 milliard de dollars. Celle avec la FMSQ aurait une valeur plus grande, puisque la rémunération des spécialistes représente les deux tiers de l’enveloppe totale de rémunération de tout le corps médical.

Le gouvernement Couillard se félicitera surtout de limiter à 3 % par année jusqu’en 2020-2021 la croissance de la rémunération totale des médecins. Il s’était engagé à respecter ce cadre financier, qui se trouvera bientôt enchâssé dans le projet de loi budgétaire du ministre des Finances, Carlos Leitão, en cours d’étude à l’Assemblée nationale.

Il y a également des raisons politiques pour limiter à 3 % la croissance de cette enveloppe d’ici 2020-2021. Québec veut rendre prévisibles ses dépenses dans ce secteur en prévision de l’examen des finances publiques qui sera fait par le Vérificateur général avant les élections générales du 1er octobre, une première. Son rapport sera rendu public en août. Le Vérificateur général avait dénoncé en 2015 le fait que les ententes de rémunération avec les fédérations médicales avaient coûté plus cher que ce que le gouvernement avait prévu.

La rémunération totale des médecins a gonflé en moyenne de 7,5 % par année depuis 10 ans.

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