Cyclisme  Tour d’Italie

Froome, « comme un extraterrestre »

À court de superlatifs après le numéro d’anthologie réalisé par Chris Froome au Tour d’Italie, le descripteur de la chaîne L’Équipe n’a pu s’empêcher de lâcher : « Comme un extraterrestre ! »

Auteur d’une échappée solitaire de 80 km lors de la 19e étape, hier, le Britannique de la Sky a réussi ce que pratiquement aucun observateur ne croyait encore possible : effacer le retard de plus de trois minutes qu’il accusait par rapport à son compatriote Simon Yates et remonter de la quatrième place pour prendre le maillot rose de meneur à deux jours de l’arrivée à Rome.

Du jamais vu dans le cyclisme moderne… si on ne tient pas compte du raid vers Morzine de Floyd Landis au Tour de France 2006. Un test positif à la testostérone avait effacé cet exploit quelques jours après l’arrivée triomphale du mal-aimé américain à Paris.

Le contexte est différent, mais Froome, destiné à remporter un troisième grand tour d’affilée, pourrait subir le même sort.

Sa présence au départ du Giro à Jérusalem, trois semaines plus tôt, faisait déjà débat. Objet d’un contrôle « anormal » au salbutamol, un médicament contre l’asthme, au dernier Tour d’Espagne, il est toujours sous la menace d’une sanction de l’Union cycliste internationale, au sujet de laquelle le tribunal antidopage indépendant tarde à trancher.

Clamant son innocence malgré un dépassement de deux fois le seuil autorisé, Froome et son équipe estimaient donc qu’il pouvait à bon droit prendre le départ du Tour d’Italie. Le quadruple gagnant du Tour de France s’y alignait dans l’optique d’accomplir le premier doublé Giro-Tour depuis celui de feu Marco Pantani en 1998. L’année suivante, en raison d’un niveau d’hématocrite trop élevé, le Pirate avait été exclu à l’avant-dernière étape d’un Tour d’Italie qu’il était destiné à remporter.

Dans les circonstances, on pardonnera aux amateurs de cyclisme un enthousiasme contenu devant ce retournement de situation dont seul le Giro – et ses enfilades de cols enneigés – a le secret. Parce que suivie en direct, cette passe d’armes avait de quoi marquer les esprits.

En rose depuis 13 étapes, Yates a été le premier à passer par l’une des fenêtres du bien nommé colle delle Finestre (littéralement : le « col des fenêtres »), dont les derniers kilomètres sont en gravillon. Avec quatre coéquipiers de Froome qui imposaient le rythme à l’avant, l’Italien Domenico Pozzovivo, troisième au général, a lui aussi été éjecté, au profit du Français Thibaut Pinot, autre ressuscité trop heureux de remonter sur le podium (3e).

Après un passage dans les hauteurs de Sestrières, le vainqueur sortant Tom Dumoulin, témoin impuissant de l’attaque de Froome, s’est arraché dans la montée finale vers Bardonecchia, sans jamais parvenir à réduire l’avance de trois minutes creusée par le meneur. Le Néerlandais de Sunweb reste deuxième (+ 40 s), la position qu’il occupe depuis le deuxième jour en Israël.

Escorté par ses lieutenants Nieve et Kreuziger, le pauvre Yates est rentré près de 40 minutes après Froome. Le héros du jour avait eu le temps de verser quelques larmes, de déboucher deux bouteilles de champagne, de se faire barbouiller les joues du rouge à lèvres des « podium girls » et, surtout, de revêtir le maillot rose pour la première fois de sa vie. Tout ça après deux chutes et des défaillances inhabituelles dans la première semaine.

Alors, on fait quoi ? On salue le réel culot et le courage d’un athlète hors norme ? Ou on se désole en anticipant le jugement d’un tribunal qui nous rappellera qu’il est vain de croire aux Martiens ?

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