Élever ses enfants dans de grands espaces fait encore partie des idéaux des Québécois. Or, il faut désormais s’éloigner des grands centres, en deuxième ou troisième couronnes, pour trouver une maison abordable. C’est ainsi que la périphérie de Montréal s’urbanise.
À Mercier, à 40 km de Montréal, le visage de la ville se transforme. Il faut traverser une artère commerciale remplie de restaurants et de boutiques diverses ainsi que des quartiers de maisons en rangée avant de voir les champs s’étendre à perte de vue. Si le territoire de la municipalité est encore à 90 % agricole, selon sa mairesse Lise Michaud, les nouveaux quartiers résidentiels se multiplient. « Depuis une dizaine d’années, des gens de Montréal viennent s’installer chez nous. Le phénomène est arrivé rapidement », constate M Michaud. Mercier, qui compte aujourd’hui 12 500 habitants, a vu sa population augmenter de 23,5 % entre 2006 et 2015.
Dans la même période, Châteauguay, la première ville au pied du pont Mercier, appartenant à la première couronne, n’a vu sa population augmenter que de 12,5 %. « Les villes des premières couronnes sont vieillissantes, remarque Sébastien Lord, professeur adjoint à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage à la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal. Elles se sont dotées de services, de bons réseaux de transports en commun souvent, de centres commerciaux, de restaurants, bref, elles se sont urbanisées si bien que l’immobilier a pris de la valeur. » Les propriétés, bien que moins chères qu’à Montréal ou Québec, sont ainsi encore souvent inaccessibles aux jeunes familles.
« [À Mercier], les taxes sont 30 % moins élevées qu’à Châteauguay et les maisons moins chères. »
— Lise Michaud, mairesse de Mercier
Cet avantage attire les familles, entraînant ainsi un phénomène de métropolisation selon lequel la ville s’étend de façon non continue dans la périphérie. Et c’est ainsi que Saint-Jérôme, aux portes des Laurentides, est devenue une banlieue de Montréal.
Car, au moment de fonder une famille, « au-delà de l’argument financier, on se rend compte que le choix des couples repose encore beaucoup sur une représentation de la vie de famille ancrée dans nos mentalités selon laquelle il faut élever ses enfants dans une maison détachée, avec une chambre pour chacun et une cour à l’arrière », constate Sandrine Jean. Actuellement professeure en anthropologie à la Memorial University de St. John’s à Terre-Neuve-et-Labrador, M Jean a mené, en 2014, une étude sur les choix résidentiels et l’attachement au quartier de jeunes familles de classes moyennes dans la région de Montréal.
Souvent, au tout début du moins, les couples installés dans les banlieues lointaines continuent de travailler à la grande ville. Si bien qu’un des principaux inconvénients à ce choix de vie est le temps passé sur la route matin et soir.
« Mais après quelque temps, un des deux conjoints – souvent la femme – cherche un travail plus proche, quitte à revoir ses aspirations professionnelles », souligne Sandrine Jean. Les réseaux de transports en commun n’ont pas toujours suivi cette évolution sociétale et sont encore peu développés ou mal adaptés.
C’est une des préoccupations de ces petites villes aux prises avec un nouveau phénomène. « Alors que certaines se dépeuplaient et avaient dû fermer certains services, des écoles, elles se retrouvent avec beaucoup de jeunes familles en demande de services scolaires, d’activités, de garderies, de transports en commun, etc. », indique Sandrine Jean. Cela imprime une forte pression sur ces municipalités qui, certes, engrangent des revenus supplémentaires grâce à ces nouveaux habitants, mais doivent assurer une offre de services à la hauteur.
La pression existe également sur les terres agricoles lorgnées par les promoteurs immobiliers pour faire face à la demande. Sur ce plan, mieux vaut être prudent, car, selon Sébastien Lord, « on approche de la stagnation démographique ».
« Certains projets résidentiels risquent à un moment donné de devoir être suspendus. »
— Sébastien Lord, professeur adjoint à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal
D’ailleurs, « les difficultés de transport et le temps passé sur les routes ainsi que le surendettement des ménages commencent à faire inverser la tendance et il se pourrait que le nombre de jeunes familles qui quittent les grandes villes diminue légèrement dans les prochaines années, car elles préféreront louer plus longtemps et rester en ville, proche de leur travail », analyse Sandrine Jean. En effet, tandis que Montréal perdait 25 000 habitants par an entre 2003 et 2007, 15 000 seulement l’ont quitté en 2013-2014.
En attendant, les jeunes familles, citadines et parfois d’origine étrangère, qui s’installent dans les villes de la périphérie posent un défi d’intégration à ces communautés. « On ne sent pas du tout de rejet de la part des résidants de longue date, mais les nouveaux arrivants ne sont pas assez informés et inclus dans la ville », constate Lise Michaud.
Pour créer un sentiment d’attachement, la municipalité de Mercier a décidé de mettre en place cette année une fête des quartiers qui aura lieu dans tous les secteurs de la ville et envisage d’ouvrir la traditionnelle journée d’accueil des nouveaux résidants à tous les citoyens afin de connaître et d’intégrer le plus de nouveaux habitants possible.