Salaire minimum à 15 $

Un ver d’oreille

La semaine dernière, le salaire minimum a bondi d’un coup de 11,40 $ à 14 $ de l’heure en Ontario. Il passera à 15 $ en 2019.

Cela a augmenté la pression sur le gouvernement Couillard pour qu’il fasse comme Kathleen Wynne, la première ministre de la province voisine. Mais les libéraux ont rapidement fermé cette porte, ce qui annonce peut-être des tensions avec ceux qui en ont fait une bataille, notamment la Fédération des travailleurs du Québec.

Le salaire minimum à 15 $, c’est l’équivalent sociopolitique d’un ver d’oreille, une mélodie, en général facile, dont on n’arrive pas à se débarrasser. Le salaire minimum à 15 $ nous colle à la peau de la même façon, refait automatiquement surface dès qu’on parle de revenus, de pauvreté, même si cette idée noble repose sur un argumentaire très fragile.

Si l’objectif d’augmenter le revenu de ceux qui sont au bas de l’échelle est éminemment défendable, la solution, les 15 $ magiques, une idée importée de façon mécanique de la côte ouest américaine, ne tient compte ni du contexte économique, ni du contexte social, ni des besoins de ceux que l’on dit vouloir aider.

Commençons par les chiffres, le combien. Si le Québec acceptait de copier l’Ontario pour que les employés au bas de l’échelle puissent aspirer au même niveau de vie que les Ontariens, qu’ils aient la même capacité financière que ces derniers, ce n’est pas à 15 $ qu’il faudrait augmenter le salaire minimum, mais bien à 12,90 $ !

Le coût de la vie est en effet plus bas au Québec, un écart de 14 % selon l’économiste Pierre Fortin. Il faut donc un salaire minimum moins élevé qu’en Ontario pour combler les mêmes besoins de logement, de nourriture, de vêtements.

Bref, la parité avec les 15 $ de l’Ontario, ça équivaut à 12,90 $ pour le Québec.

Cet écart de 14 %, on le retrouve d’autres façons, notamment le revenu personnel disponible des ménages, 13,5 % moins élevé au Québec, ou avec la mesure de faible revenu de Statistique Canada qui repose sur un panier de consommation équivalant à un niveau de vie de base. L’écart entre les grandes villes du Québec et celles de l’Ontario est de 13-14 %.

Ça, c’est la logique. Le problème, c’est que 12,90 $, ça ne sonne pas bien, ça ne paraît pas bien sur une pancarte. On garde donc, pour les fins politiques, le beau chiffre rond de 15 $. Même s’il trouve son origine dans la ville de Seattle, où les salaires sont beaucoup plus élevés qu’ici. Il y a des idées américaines qui traversent bien la frontière, comme le mouvement #MeToo. Mais on ne peut pas plaquer des chiffres américains à la réalité québécoise.

Mais même avec la correction de 14 % que je propose, le salaire minimum restera cependant plus faible au Québec qu’en Ontario. En 2019, selon les indications données par le gouvernement du Québec, le salaire minimum devrait atteindre 12,05 $. C’est moins que le 12,90 $ qui serait l’équivalent québécois des 15 $ ontariens.

Est-ce que cet écart est acceptable ? Pour résister au ver d’oreille, il faut se demander ce qu’on veut exactement, qui on veut aider. Le salaire minimum pour un étudiant qui vit chez ses parents, ou pour un couple dont l’un des conjoints a un bon salaire, n’a pas les mêmes conséquences que pour une mère de famille seule avec deux enfants. Soit dit en passant, à peine 16 % des gens qui touchent le salaire minimum ont des enfants. Par contre, 50 % de ceux qui sont au salaire minimum sont des étudiants, et 60 % ont moins de 25 ans. Ce sont surtout ces jeunes, en situation transitoire et qui ne sont pas en crise, que la mesure favoriserait.

Si on veut améliorer le sort de ceux qui sont au bas de l’échelle, il faut savoir quel est leur sort réel et se demander quel est le meilleur moyen de les aider.

La situation financière ne dépend pas seulement du salaire officiel, mais du montant qu’il y aura sur le chèque, après les déductions, et des autres chèques qu’on peut recevoir, surtout ceux des gouvernements. 

Quand on tient compte de la fiscalité et des programmes sociaux, le portrait change radicalement. Une étude publiée fin 2016 par Luc Godbout et Suzie St-Cerny, de l’Université Sherbrooke, montrait que dans une famille avec deux enfants où un seul conjoint touchait le salaire minimum de 22 216 $, le revenu disponible, avec le soutien de l’État, s’élevait plutôt à 41 403 $. Et si les deux conjoints travaillaient au salaire minimum, leur revenu passait à 51 751 $. Les travailleurs sans enfants sont toutefois nettement moins choyés.

Ces chiffres nous disent deux choses. D’abord, les mesures de redistribution sont beaucoup plus efficaces pour aider ceux qui ont besoin d’aide qu’une hausse générale du salaire minimum. Ensuite, les comparaisons avec d’autres États sont dénuées de sens si on ne tient pas compte des politiques sociales, soit dit en passant plus généreuses au Québec.

Enfin, il y a l’économie. Une hausse du salaire minimum, en augmentant la masse salariale, aura des conséquences, qui dépendront de l’industrie, de la solidité des entreprises, surtout des PME. Ces coûts additionnels devront être absorbés, par une baisse des profits, des hausses des prix pour les consommateurs, ou une réduction des coûts de main-d’œuvre. C’est un fait documenté qu’une hausse du salaire minimum augmente le chômage, surtout si cette hausse est brutale.

Voilà pourquoi la sagesse voudrait qu’on ne détermine pas le salaire minimum avec des symboles, mais en cherchant un équilibre avec le marché du travail et la structure des salaires. La sagesse nous suggère aussi de résister à la pensée magique que distille le ver d’oreille. Quelqu’un, quelque part, devra payer, et si on veut éviter les conséquences indésirables, il faut mettre ça dans la balance.

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