Procès pour terrorisme

Les enquêteurs décrivent un ado au calme troublant

Un adolescent passionné de sciences qui rêve de devenir chimiste, élève d’un prestigieux collège privé de Montréal, qu’il fréquentait grâce à une bourse d’études. Un jeune poli, vif d’esprit, qui a grandi dans une famille aimante.

Un adolescent en apparence sans problème qui n’a jamais bu d’alcool ni même fumé une cigarette.

Voilà le portrait du Montréalais de 15 ans soupçonné d’avoir voulu quitter le Canada pour participer à des activités terroristes qui se dessine après la première journée de son procès en Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec, à Montréal.

« Ce que tu as fait, c’est incompatible avec ton historique. Les jeunes qu’on rencontre d’habitude, ils ont des problèmes. […] Ici, ce n’est pas ta place », lui a d’ailleurs dit l’enquêteur de la Gendarmerie royale du Canada Brahim Soussi lorsqu’il l’a interrogé pour la première fois, le jour de son arrestation, le 17 octobre 2014.

L’adolescent, dont l’identité est frappée d’un interdit de publication, est soupçonné d’avoir commis un vol qualifié « au profit ou sous la direction » d’une organisation terroriste en plus d’avoir voulu quitter le Canada pour participer « aux activités d’un groupe terroriste à l’étranger ».

Il a reconnu avoir commis ce vol qualifié il y a près d’un an déjà – crime pour lequel il a écopé de 12 mois de garde à purger dans un centre jeunesse – mais il a plaidé non coupable aux accusations de terrorisme. C’est pourquoi il a un procès, depuis hier.

L’adolescent a volé 2000 $ dans un dépanneur de l’ouest de Montréal, armé d’un couteau et le visage couvert d’un foulard. C’est son père qui l’a dénoncé à la police après avoir retrouvé l’arme et le butin dans un sac caché dans la cour arrière de la résidence familiale. Les autorités croient que le garçon voulait utiliser le fruit de son larcin pour financer son voyage vers le djihad.

Son père assiste au procès. Or l’adolescent, assis dans le box des accusés, n’a jamais jeté un coup d’œil dans sa direction de toute l’audience. Vêtu d’un survêtement de sport Adidas, arborant des lunettes à la mode, l’accusé ressemble à n’importe quel autre adolescent de son âge.

RADICALISÉ SUR LE WEB

Le jeune Montréalais aurait commencé à se radicaliser en 2012, soit deux ans plus tôt, en naviguant sur des sites faisant l’apologie du terrorisme et de l’islam radical, a-t-on appris hier. Il aurait même tenté de transférer de l’argent par Western Union pour financer un ou des groupes radicaux.

C’est du moins ce qu’a révélé le premier enquêteur qui a interrogé l’adolescent dans une longue entrevue vidéo de près de trois heures réalisée le jour de l’arrestation. La juge du procès a commencé à visionner cette vidéo, hier, pour déterminer si elle était admissible en preuve. La défense en conteste la légalité alors que la poursuite veut qu’elle soit déposée en preuve.

Lors de cet interrogatoire, l’adolescent fait preuve d’un sang-froid étonnant. Assis bien droit sur une chaise placée au centre d’une minuscule salle, le jeune porte toujours son uniforme scolaire, puisque les policiers sont allés le cueillir à l’école plus tôt ce jour-là.

Il refuse la présence de ses parents et d’un avocat, et ce, même si le policier qui l’interroge insiste à de nombreuses reprises sur son droit à un avocat.

Les quatre policiers qui ont témoigné, hier, ont tous décrit le même calme olympien.

« Généralement, les jeunes que l’on arrête pour un crime sérieux se mettent à pleurer. Ils craignent la réaction de leurs parents. Pas lui. Il est resté très calme. Je me suis dit : soit qu’il a déjà commis plusieurs autres crimes, soit qu’il est un professionnel. »

— Témoignage d’un des policiers ayant arrêté l’adolescent

L’accusé a appris le jour même de son arrestation pour le vol qualifié qu’il faisait également l’objet d’une enquête relativement à des activités de terrorisme. Encore une fois, il est resté « bien calme », a souligné un autre policier, le sergent-détective Claudio Del Corpo, du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

DE MARBRE

Au cours de l’interrogatoire, l’adolescent reste de marbre lorsque l’enquêteur lui parle de sa famille. Originaire d’Algérie, aîné de cinq enfants, il a immigré au Canada à l’âge de 4 ans. « On a parlé à ton père. Il est très inquiet pour toi, pour ton avenir. Avec raison », insiste le sergent Del Corpo, sans que le jeune n’ait de réaction particulière.

En fait, durant la première heure et demie, l’adolescent refuse de répondre à la plupart des questions du policier du SPVM qui tente de l’amadouer en parlant de sa fille, qui a le même âge que lui. Un enquêteur de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), membre de la section de la sécurité nationale, prend alors le relais. Ce dernier essaie une nouvelle tactique en l’abordant en arabe. Cela ne donne pas davantage de résultats. L’adolescent refuse même de lui serrer la main.

L’adolescent de 15 ans est le premier Canadien à avoir un procès pour avoir tenté de quitter le pays afin de participer à une activité terroriste en vertu de la nouvelle Loi sur la lutte contre le terrorisme.

La Couronne fédérale – représentée par Me Lyne Décarie et Me Marie-Ève Moore – prévoit faire entendre plusieurs policiers, dont un expert de la GRC en djihadisme et un autre expert qui a analysé le contenu de l’ordinateur de l’adolescent. L’accusé est défendu par Me Sébastien M. Brousseau et Me Tiego Murias. Le procès, qui se déroule devant la juge Dominique Wilhelmy, doit durer trois semaines.

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