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Coup d’œil sur les projections démographiques publiées hier par Statistique Canada

Démographie

Vers un boom de centenaires au pays

Le groupe des 100 ans et plus est celui qui croît le plus vite, selon Statistique Canada

Des Whippets et du lait pour seul souper tous les soirs pendant trois ans, sans blague. Et toute sa vie, de la nourriture très grasse et les tartes les plus sucrées que vous pouvez imaginer. Et vraiment pas beaucoup de légumes.

Tel a été le régime de Marie-Reine Godin, qui, d’un point de vue alimentaire, a tout fait pour ne pas faire de vieux os. Mais à 101 ans, elle est toujours là.

Dans ses projections démographiques pour le Canada publiées hier, Statistique Canada révélait que les centenaires, bien que toujours minoritaires (0,2 % de la population), constituent le groupe d’âge qui croît le plus vite.

« Alimenté par les baby-boomers atteignant l’âge de 100 ans et par l’augmentation de l’espérance de vie, le nombre de centenaires atteindrait un sommet de 90 200 personnes en 2065, selon le scénario de croissance moyenne », peut-on lire.

Par la force des choses, les reportages sur les centenaires portent souvent sur ceux qui sont les plus en forme et qui n’ont pas d’atteinte cognitive. Le portrait s’en trouve-t-il trop enjolivé ? Ça fait mal, d’avoir 100 ans ?

France Bédard, petite-fille de Mme Godin, nous a servi d’intermédiaire, parce que Mme Godin a des problèmes de surdité. De mémoire à court terme, aussi.

« Jusqu’à ses 99 ans environ, ma grand-mère était en forme et elle nous donnait le goût de vivre aussi longtemps. Depuis, elle se déplace difficilement et sa surdité l’amène à rester souvent en retrait des conversations, elle qui a toujours pris plaisir à raconter ses souvenirs. Depuis deux ans, c’est difficile pour nous de la voir dépérir. »

— France Bédard, petite-fille de Marie-Reine Godin

Comment Mme Godin, qui mangeait si mal « et qui ne dégraissait jamais ses bouillons de soupe », a-t-elle pu vivre si vieille ?

Elle a certes plutôt mal mangé, mais en revanche, elle est restée très active, très longtemps, dit sa petite-fille. « Elle nous a reçus jusqu’à ce qu’elle ait 87 ou 88 ans. »

Mme Godin n’est entrée en résidence – le Foyer de la Paix, à Saint-Félicien – qu’à 98 ans. Jusque-là, sa petite-fille, qui habitait juste en face de chez elle, a été son aidante naturelle.

Pour tous ceux qui sont aux premières lignes des soins à donner aux centenaires, l’expérience est certes riche – « ma grand-mère est vraiment ma deuxième mère » –, « mais ça vient avec un gros sentiment de culpabilité, fait observer Mme Bédard. Les samedis soirs, je ne voulais jamais la laisser seule ».

Deux pilules par jour et du calcium

Ruth Horowitz, qui a 106 ans, nous dit pour sa part être en très bonne santé. Elle prend deux pilules par jour et du calcium, rien d’autre. Sa mémoire est presque parfaite. Elle a beaucoup joué au golf dans sa vie et hier, à la résidence Waldorf, à Montréal, elle en a encore fait. Version douce, bien sûr, mais tout de même, elle a été debout un bon bout de temps. « Et là, je suis un petit peu courbaturée. »

« J’ai une vie heureuse », dit-elle simplement, soulignant que son entourage et sa dame de compagnie adoucissaient grandement ses jours.

« Si j’ai vécu aussi longtemps, croit Mme Horowitz, c’est grâce à mon père et à ma mère, qui ont tous les deux vécu plus de 90 ans. »

N’empêche, vivre aussi vieux signifie que l’on enterre beaucoup de monde. Mme Horowitz a vu mourir ses quatre frères et Mme Godin, deux maris, dont le premier qui est mort de la tuberculose à seulement 37 ans.

Le fameux secret de la longévité

Le gériatre David Lussier, qui pratique à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, signale que de saines habitudes de vie aident sans aucun doute.

Mais autrement, il demeure difficile de distinguer « ce qui relève vraiment de la génétique de ce qui a trait aux conditions socioéconomiques de chacun ».

Oui, des gens qui viennent de la même famille ont souvent une espérance de vie similaire, mais ils ont aussi souvent vécu dans des milieux semblables.

En 2016, des données divulguées par le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Est-de-l’Île-de-Montréal établissaient que l’espérance de vie des citoyens qui habitent certains quartiers de l’est de Montréal est inférieure de neuf ans à celle des citoyens de l’ouest de Montréal.

Mais ceux qui se rendent à 100 ans sont-ils en forme ou pas, en général ? Le Dr Lussier ne se hasarde pas à le dire, mais ce qu’ils ont certes en commun, « c’est qu’ils sont fragiles. Même chez ceux qui sont très en santé, un petit quelque chose peut les faire basculer dans la perte d’autonomie et la mort : une chute, un rhume, une gastro… »

Il a par ailleurs observé que ses patients centenaires « ont souvent une force de caractère particulière, une grande résilience ».

Il évoque cette patiente qui, à 92 ans, a eu une grosse intervention chirurgicale au dos, et une autre quand elle a eu 95 ans. Ça n’a pas été facile, mais elle est toujours là.

Il a aussi quelques patients qui sont de véritables forces de la nature. « J’ai un patient qui voulait me prouver qu’il pouvait faire 50 push-up de suite et je suis sûr qu’il en est capable. J’ai aussi un patient anglophone qui, à 101 ans, m’a lancé : “Je pense que je deviens vieux.” »

Manger moins, une bonne idée

Le Dr Judes Poirier, qui travaille au Centre de recherche Douglas et qui se consacre à l’étude du vieillissement, de la cognition et de la maladie d’Alzheimer, explique que c’est en bonne partie « une loterie ».

Selon ce qu’avancent des études sur les centenaires, dit-il, la génétique compterait pour 30 % et les 70 % restants seraient attribuables aux choix de vie, à l’environnement et, jusqu’à un certain point, à l’attitude.

Le Dr Poirier évoque une étude particulièrement intéressante menée par des chercheurs français sur une période de 20 ans auprès de 175 centenaires. « Quand on a demandé aux 175 centenaires leur secret, ils ont donné 175 réponses différentes. Certains étaient des adeptes du petit brandy quotidien, tandis que d’autres n’avaient pas bu d’alcool de leur vie. »

Par contre, poursuit le Dr Poirier, quand les chercheurs ont parlé à leurs proches, des caractéristiques communes sont ressorties. 

« Ils avaient souvent de fortes personnalités et ils ne s’en faisaient pas pour des détails. »

— Le Dr Judes Poirier

Autre caractéristique : en Occident, « les centenaires sont à 88 % des femmes et dans la grande majorité des cas, des personnes qui ont été très actives ».

Des études sur les souris ont aussi révélé aux chercheurs qu’avec une réduction de 30 % de leur apport calorique, « elles vivaient 30 % plus longtemps ».

Chez l’humain, difficile de le tester, mais une étude sur les cinq endroits du monde où l’on vit le plus longtemps en arrive à des conclusions similaires.

À Okinawa, au Japon, notamment, « c’est un signe de respect par rapport à la personne qui a fait le repas de ne pas finir son assiette. En Sardaigne aussi, les gens ont naturellement tendance à limiter leur apport calorique », ajoute le Dr Poirier.

Il semble enfin qu’il serait bon de manger des fèves, beaucoup de fèves. « Dans les cinq endroits documentés, elle était très présente dans l’alimentation », signale le Dr Poirier.

Quant à la difficulté d’être centenaire, il note qu’en gros, vers 65 ou 70 ans, une personne sur 10 souffrira de la maladie d’Alzheimer ; à 100 ans, c’est le cas d’une personne sur deux. Les cancers sont aussi très fréquents chez les personnes qui atteignent cet âge.

population du canada

Le Québec poursuit son déclin

Gilles Duceppe juge la situation « très délicate pour le français »

Québec — Des prévisions dévoilées hier indiquent que le poids démographique du Québec au pays va continuer de baisser dans les prochaines années.

Les Québécois représentaient 28,8 % de la population canadienne en 1961, mais seulement 22,6 % l’année dernière. Selon les Projections démographiques 2018-2068 de Statistique Canada, les Québécois ne compteront plus que pour 20 % de la population au pays en 2043 (entre 20,1 % et 20,6 %, selon les différents scénarios).

«  Le taux de croissance démographique du Québec demeurerait inférieur à celui du Canada selon la plupart des scénarios  », note Statistique Canada dans ses projections.

La plus forte croissance démographique est prévue en Alberta, qui pourrait surpasser la Colombie-Britannique. L’Ontario doit aussi connaître une croissance plus importante que celle du Québec, pour atteindre 17,9 millions d’habitants en 2043.

La Belle Province, elle, resterait bonne deuxième, avec 9,5 millions d’habitants, mais un poids démographique amoindri parmi les 46,5 millions de Canadiens.

Ces chiffres ne sont pas surprenants mais sont néanmoins inquiétants, estime l’ancien chef du Bloc québécois Gilles Duceppe, qui connaît bien les dynamiques à l’œuvre à Ottawa pour y avoir longtemps siégé.

«  Vous regardez le taux d’assimilation des francophones hors Québec, et vous regardez le Québec qui ne cesse de perdre du terrain en termes de population, et c’est une situation très délicate pour le français au pays  », dit-il au bout du fil.

L’immigration en cause

La piètre croissance démographique du Québec s’explique notamment par le fait que d’autres provinces acceptent plus d’immigrants, toutes proportions gardées. Rappelons que le gouvernement de François Legault veut ramener le seuil de 50 000 à 40 000 immigrants par année, du moins de façon provisoire.

Le gouvernement fédéral, quant à lui, s’est donné pour objectif d’accueillir 330 000 immigrants en 2019 et 340 000 en 2020.

Or, puisque le Québec compte actuellement 22 % de la population canadienne, il lui faudrait admettre 73 000 des 330 000 immigrants au pays pour refléter cette proportion.

Même s’il estime que ce repli démographique «  peut être inquiétant  », le premier ministre du Québec a défendu hier sa politique en matière d’immigration.

« L’immigration, oui, peut être une des solutions à ce choc démographique, mais faut-il encore bien intégrer les nouveaux arrivants. C’est là-dessus qu’on veut travailler. Et la baisse du nombre d’immigrants, on l’a toujours dit, c’est temporaire. »

— François Legault

Les naissances ne pourront pas combler ce déficit. Depuis le sommet récent connu en 2012, le nombre de bébés nés au Québec n’a cessé de diminuer.

— Avec Tommy Chouinard, La Presse

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