Réplique

La fabrication de l’indignation

En réponse au texte de Nadia El-Mabrouk publié mercredi, « La fabrication du consentement »

Dans une lettre publiée hier dans La Presse+, intitulée « La fabrication du consentement », Nadia El-Mabrouk dénonce les changements apportés par nos gouvernements pour s’adapter aux réalités des personnes trans qui, selon elle, relèverait d’un abandon du sens commun.

Or, ses arguments tombent dès lors qu’on replace ces changements dans leur contexte : aucun de ces changements n’a été facile, et si certains semblent avoir été rapides, c’est qu’on efface les décennies de débats et de recherches scientifiques qui les ont précédés.

SERVICE CANADA

Selon leurs nouvelles directives, les employés de Service Canada devront maintenant demander à leur clientèle si elle préfère le titre monsieur ou madame. Si cette nouvelle en a surpris certains, elle n’a rien de rapide : c’est en effet une plainte au Tribunal des droits de la personne en 2012 qui a porté le gouvernement à se questionner sur ses pratiques. C’est dans le but d’éviter de se fier aux stéréotypes de genre que la nouvelle pratique a été suggérée après six ans de discussions et de questionnements. Qui plus est, cette pratique fait une grande différence pour ceux et celles que ça concerne et… aucune différence visible pour les autres !

LE SPORT FÉMININ

Le spectre de la « dominance trans » du sport féminin est aussi mentionné par Mme El-Mabrouk. Cette inclusion n’a pas été soudaine, non plus. Un premier jet a été donné avec le consensus de Stockholm en 2003. Selon l’opinion du comité médical du Comité international olympique, confirmée depuis, l’hormonothérapie élimine l’avantage qu’auraient autrement les femmes trans. Selon une revue de l’état de la science publiée en 2017, aucune preuve d’un quelconque avantage n’existe une fois l’hormonothérapie commencée.

LES ENFANTS TRANS

Si l’adoption du projet de loi 103 a paru rapide, les discussions avaient plutôt débuté en 2012 avec le projet de loi 35. Le mémoire de l’Ordre des psychologues mentionnait la nécessité d’effectuer davantage de recherches, certes – et elles se font, notamment à l’Université de Montréal et à l’UQAM, mais aussi ailleurs au Canada.

Nadia El-Mabrouk tente d’attirer l’indignation populaire en soulevant que le changement de mention de sexe pourrait entraîner des changements médicaux précipités. Il n’en est rien. Les changements légaux n’ont pas préséance sur la bonne pratique scientifique. De plus, le changement devant inclure une lettre de professionnels de la santé, les thérapeutes sont directement impliqués dans le processus. Pour ce qui est des changements irréversibles, aucun de ceux-ci n’arrive avant l’hormonothérapie, les bloqueurs d’hormones étant sécuritaires et réversibles. Lorsque les changements irréversibles sont indiqués, à la suite des bloqueurs d’hormones, l’identité de genre est déjà très stable, tel que le démontrent les études sur le sujet.

LA SANTÉ MENTALE

Que dire sur la « suicidalité » chez les personnes trans sinon que l’impact positif de la transition sociale et médicale est plus que prouvé ? Une transition médicale, chez les personnes trans la désirant, réduirait de 44 % les idéations suicidaires et de 69 % les tentatives de suicide, selon l’étude ontarienne TransPULSE. Pour ce qui est des processus médicaux hormonaux ou chirurgicaux, une revue de toutes les études sur le sujet démontre amplement leurs avantages : 93 % des études ont démontré un apport bénéfique, 7 % n’ont pu démontrer un impact suffisant, et aucune n’a démontré d’apport négatif.

QUELLE TÉMÉRITÉ ?

L’opinion de Nadia El-Mabrouk déforme l’état de la science et des avancées politiques pour promouvoir son propre agenda anti-trans. Pour les spécialistes du sujet, la science est univoque, et ce n’est qu’en sortant de sa zone d’expertise que la professeure d’informatique peut qualifier la situation de « téméraire ».

Ce mythe de la témérité n’est pas nouveau. Il y a quelques mois, c’était dans Le Soleil. Il y a quelques semaines, c’était dans le Globe and Mail qu’on pouvait le voir. Répétons ce qui a déjà été souligné dans un article signé par d’éminents scientifiques et thérapeutes canadiens : les enfants trans sont entre de bonnes mains. Les thérapeutes n’agissent pas hâtivement dans l’ignorance des preuves scientifiques. Au contraire, leur approche est fondée sur des décennies de recherches et de suivi d’enfants trans.

La même chose pourrait être dite des changements sociaux, qui ne viennent qu’après de difficiles débats avec nos institutions politiques, réticentes au changement. Les dires de Nadia El-Mabrouk, sous cette loupe, ne sont que pure fiction. Nous nous attendons à plus de rigueur et d’éthique de la part de nos universitaires.

* Voir les signataires

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