100 idées pour améliorer le Québec Nécessaire immigration

L’arbre interculturel

Connaissez-vous l’arbre aux 40 variétés de fruits, qui est un projet artistique que l’on doit à Sam Van Aken, professeur d’art à l’université américaine de Syracuse ? Sur cet arbre hybride, on peut cueillir des pêches, des prunes, des abricots, des nectarines, des cerises, etc. 

Au début de cette prouesse horticole, il y avait un tronc principal qui était celui d’un prunier. Sur ce récepteur seront ajoutés des greffons d’abricotiers, de cerisiers et d’autres plantes productrices de fruits à noyau. Des espèces qui, même si elles sont très apparentées, présentent des floraisons et des fructifications bien différentes par leurs formes, leurs couleurs et leurs odeurs. Sur le prunier sont greffées des branches étrangères qui se nourrissent de la sève des racines de la réceptrice, sans perdre leur saveur et leur identité profonde. Ils vivent harmonieusement avec cette plante-mère qu’ils enrichissent de leurs différences. C’est cette diversité florale printanière explosive qui crédite à l’arbre de Sam Van Aken sa beauté et sa richesse incomparables. C’est le seul arbre dont la floraison affiche des dizaines de nuances de rose, pourpre, rouge, blanc, etc. 

Mais plus que sa beauté, et peut-être aussi à cause de mon histoire personnelle, j’ai tendance à voir dans ce tableau vivant une belle métaphore de ce à quoi devrait idéalement ressembler un vivre-ensemble harmonieux dans un pays d’immigration. 

Je vois une intégration mutuelle qui permet de faire de la diversité une richesse pour tous. C’est dans l’étroitesse et la force de connexion des branches étrangères avec la plante-mère que se trouve la grandeur de cet arbre multiculturel. Pour que la rencontre et l’apprivoisement se produisent, les greffons et le greffé doivent s’accepter mutuellement et nouer des contacts sincères, pour ne pas dire fusionnels, afin de permettre à la sève désormais commune de défier les origines et circuler dans toute la plante. Sinon en horticulture comme en transplantations médicales, quand cette rencontre intime est compromise, c’est le rejet. 

L’arbre hybride de Sam Van Aken est pour moi le symbole artistique vivant de ce qu’est une harmonieuse et saine intégration de cultures. Ce que Senghor appelait « assimiler sans se faire assimiler ». Une démarche qui ne peut en aucun cas s’affranchir des grilles du temps. D’ailleurs, l’artiste a compris rapidement que pour que l’équilibre et l’harmonie puissent s’installer durablement, il fallait laisser le temps faire son travail de raccommodement de cette diversité végétale qui finit par respirer à l’unisson. 

L'État-horticulteur

Si je vous raconte l’histoire de ce composite végétal, c’est parce que je crois que l’autorité gouvernementale devrait aussi jouer aux horticulteurs et favoriser une saine intégration des branches d’arbres généalogiques venues se greffer aux érables du Québec. Pour aider les greffons à s’accrocher à la plante-mère en plus d’un réinvestissement dans les organismes d’accueil et d’intégration, la régionalisation de l’immigration est une solution qui a fait ses preuves. 

Je fais partie des chanceux qui ont sillonné plusieurs fois le Québec et partout, j’ai rencontré des étrangers qui se sont approprié le territoire, ont enfoncé des racines dans leur région d’adoption et laissé la nouvelle sève circuler dans leurs veines.

L’osmose culturelle est bien plus facile en région que dans la Communauté métropolitaine de Montréal, qui accueille la grande majorité des nouveaux arrivants. 

Pour régionaliser l’immigration, il faut redynamiser économiquement les régions ressources et créer un système de transport interrégional rapide. Des sortes de vaisseaux sanguins efficaces pour le transport de l’oxygène et des nutriments (qui représentent ici l’économie) entre Montréal et les régions ressources seraient d’une grande pertinence. Pour la majorité des immigrants, s’installer en région est le début d’une inéluctable rencontre culturelle enrichissante, comme dans le chef-d’œuvre de Sam Van Aken. 

En cette échéance électorale qui approche bien trop vite, en plus d’un réinvestissement dans les organismes d’accueil et d’intégration, les partis devraient s’engager à nous présenter un plan de régionalisation progressive de l’immigration. Une nécessité dont on parle depuis trop longtemps sans avancée significative. Régionaliser l’immigration, c’est bon pour l’économie du Québec et c’est bon pour le vivre-ensemble. Il faut juste trouver la façon de la mettre en œuvre.

Jusqu’au 18 août, Boucar Diouf anime La nature selon Boucar tous les samedis de 11 h à midi sur les ondes d’ICI Radio-Canada Première

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