Chronique

Les chemises roses du premier ministre

Bon an, mal an, depuis quelques années, Justin Trudeau enfile une chemise rose, empoigne un petit drapeau aux couleurs de l’arc-en-ciel et plonge dans l’un ou l’autre des défilés gais de Montréal, Toronto ou Vancouver.

Il se rend dans ce qu’il est convenu d’appeler un événement incontournable pour les politiciens et pour les candidats à la recherche de visibilité. Hop, le droit des gais ! Hop, la musique des Pet Shop Boys ! Hop, la sueur à 30 degrés !

Il y a 20 ou 30 ans, les personnalités se trouvaient toutes sortes d’excuses pour ne pas participer aux défilés gais, genre un barbecue avec les Chevaliers de Colomb de Sainte-Émélie-de-l’Énergie. On avait tellement peur d’être pris en photo près d’une lesbienne sado-maso ou d’un Bear déguisé en majorette… Mais depuis une quinzaine d’années, les attachés de presse s’empressent de confirmer la présence de leur candidat ou député à ces manifestations qui attirent des dizaines de milliers de personnes.

Donc, quand l’organisme Pride Toronto a annoncé lundi que Justin Trudeau allait prendre part au défilé de juillet prochain, je n’ai eu aucune réaction. J’ai vu plusieurs fois Justin Trudeau avec un collier multicolore dans ces événements, sautiller d’un spectateur à un autre, multipliant les égoportraits. Puis, j’ai rapidement compris que cette annonce constituait plutôt un fait marquant.

En effet, ce sera la première fois, en 35 ans, qu’un premier ministre canadien participera au défilé gai de Toronto. Cet événement a été créé en 1981, au lendemain des descentes policières dans les saunas de la ville (opération Soap).

Depuis sa création, de nombreuses personnalités y ont pris part, mais jamais un premier ministre.

J’ai parlé aux organisateurs de Fierté Montréal pour voir si c’était la même chose dans la métropole. Ils ne se souviennent pas, en 24 ans de défilés (10 avec Fierté Montréal et 14 avec Divers-Cité), d’avoir eu la présence d’un premier ministre canadien.

Évidemment, cela ne veut pas dire que ceux qui gouvernent le pays n’ont rien fait pour les droits des gais. Rappelons que c’est grâce à Jean Chrétien et Paul Martin que le Canada est devenu le troisième pays à légaliser le mariage entre conjoints de même sexe. Et on doit, à la fin des années 60, à Pierre Elliott Trudeau, alors ministre de la Justice, son bill omnibus et la fameuse phrase : « L’État n’a rien à faire dans les chambres à coucher de la nation. »

La présence de Justin Trudeau dans la manifestation torontoise revêt un caractère symbolique. D’ailleurs, cette nouvelle a rapidement fait le tour de la planète, hier.

Imaginez la joie des organisateurs de Pride Toronto, qui auront droit lors de l’événement de juillet à la présence réunie de Justin Trudeau, de John Tory, maire de Toronto, et de Kathleen Wynne, première ministre de l’Ontario. « Ça sera une journée historique », m’a dit Mathieu Chantelois, directeur général de Pride Toronto.

Disons que nous sommes loin de l’époque où l’ancien maire Rob Ford refusait systématiquement de participer à cet événement et ne se gênait pas pour le dénigrer.

À Montréal, la présence des premiers ministres provinciaux devient peu à peu une tradition. Pauline Marois a été la première à le faire en 2013 et Philippe Couillard a répondu présent lors des deux dernières présentations. Quant aux maires Gérald Tremblay et Denis Coderre, ils ont défilé chaque fois que leur horaire le leur a permis.

L’équipe de Fierté Montréal a aussi effectué une demande auprès de Justin Trudeau afin qu’il soit du défilé du mois d’août prochain. Une source me dit que l’entourage du premier ministre devrait confirmer sous peu sa présence aux défilés de Montréal et Vancouver.

Mais bon, c’est bien beau d’aller faire des steppettes au défilé gai, encore faut-il faire avancer les choses. Parmi les plus grandes demandes de la communauté gaie, il y a la reconnaissance du droit des transsexuels (loi C-279), le droit au don de sang et la lutte contre le sempiternel problème de l’homophobie. Il y a donc des attentes.

Certains pourraient croire que la participation de Justin Trudeau à ce défilé est un geste opportuniste. Peut-être que oui. D’autres pourraient penser que sa présence est carrément inutile en 2016. Je ne le crois pas une miette. Il ne faut pas chercher très loin pour trouver des exemples de grande intolérance face aux gais.

Je suis tombé hier sur cette histoire d’un jeune élève d’Edmonton qui, lors d’une cérémonie, s’est drapé d’un drapeau gai. Une enseignante lui a immédiatement demandé de retirer ce drapeau.

Allez lire les commentaires de plusieurs lecteurs qui suivent l’article. Oh, boy ! C’est tout juste si on ne réclame pas la castration, une lobotomie et quelques bonnes douzaines d’électrochocs pour le garçon. Déprimant…

Après des années de répression et de lutte, les gais ont la chance de pouvoir compter sur un premier ministre qui les accepte et les comprend. Souhaitons-leur que Justin Trudeau ne lâche pas prise et qu’il possède une bonne réserve de chemises roses.

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