Les Québécois et les impôts

Bienvenue au pays des demi-Scandinaves

Il y a parfois des hasards savoureux. Le 27 janvier, les répondants à un sondage Léger-Le Devoir disaient préférer, de façon très majoritaire – 66 % contre 34 % – « un réinvestissement en santé, éducation, pour les familles et pour les aînés » plutôt qu’une « baisse d’impôt pour les familles ».

Le 1er février, soit cinq jours plus tard, un autre sondage Léger, cette fois-ci réalisé pour l’Institut économique de Montréal (IEDM), un organisme de recherche qui prône le recours aux mécanismes de marché, disait carrément le contraire : 63 % des répondants voyaient les baisses d’impôt du gouvernement Couillard comme une « nouvelle positive », et 67 % trouvaient qu’ils payaient trop d’impôt.

On ne peut pas expliquer ces écarts saisissants par des problèmes méthodologiques ou par des partis pris idéologiques. Les réponses sont différentes tout simplement parce qu’on n’a pas posé les mêmes questions. Cela souligne l’ambivalence des citoyens. 

On peut parfaitement vouloir plus de programmes publics tout en trouvant qu’on paie trop d’impôt. Ce désir, très humain et très universel, de vouloir le beurre et l’argent du beurre, prend toutefois des formes particulièrement aiguës au Québec.

Pour comprendre ce que pensent vraiment les Québécois, pour comprendre cette ambivalence, il faudrait une foule de questions. Est-ce qu’ils veulent préserver les grandes missions de l’État ? Est-ce qu’on paie beaucoup d’impôt ? Est-ce qu’on en paie trop, ce qui n’est pas du tout la même chose ? Est-ce que cette perception fiscale est juste ? Est-ce que cet argent que l’on vient chercher dans nos poches est bien dépensé ?

Pression fiscale élevée

Commençons par le commencement. Au départ, il y a des faits mesurables. Les Québécois sont très imposés, comme le rappelle le dernier « Bilan de la fiscalité au Québec », de la Chaire en fiscalité et en finances publiques (CFFP) de l’Université de Sherbrooke.

L’étude mesure le taux de pression fiscale, soit l’ensemble des prélèvements fiscaux par rapport au PIB. À 38,4 % pour le Québec, ce taux de pression fiscale est nettement plus élevé que dans le reste du Canada. Il est élevé à l’échelle internationale : le Québec se retrouverait au 11e rang des pays membres de l’OCDE, un des taux les plus élevés du monde industrialisé, comme le montre le tableau ci-contre, avec un fardeau fiscal similaire à celui des pays européens à filet de sécurité sociale développé.

Quand on regarde ce groupe de pays à fiscalité lourde, deux éléments ressortent. La plupart d’entre eux ont une économie florissante, ce qui nous rappelle qu’un fardeau fiscal élevé n’est pas nécessairement un frein économique. Mais surtout, et c’est une évidence, les pays où l’on paie beaucoup d’impôt sont en général ceux où les fonctions et les services de l’État sont étendus. Le Québec est une société où il y a plus d’intervention de l’État, plus de subventions, des programmes plus généreux. C’est un choix qui fait d’ailleurs l’objet d’un consensus assez large, comme on l’a vu aux réactions suscitées par les politiques de rigueur budgétaire. Et c’est un choix qui vient avec une facture. Si on veut des programmes et des services publics, il faut payer pour, avec des taxes et des impôts.

Quels résultats ?

Mais il faut se poser une deuxième question. Est-ce que cet effort fiscal additionnel se traduit vraiment en résultats, est-ce que l’argent est bien dépensé ? Si le taux de pression fiscale québécois était similaire à celui du reste du Canada, soit 30,4 % au lieu de 38,5 %, la ponction fiscale serait de 31,6 milliards de moins.

Est-ce qu’on en a pour ce 31,6 milliards ? On sait que 67 % des dépenses de programmes du gouvernement du Québec vont à deux missions – santé et services sociaux, éducation et culture – sans que l’on puisse prétendre que nos systèmes de santé et d’éducation soient meilleurs que ceux du reste du Canada. Les programmes où le Québec est vraiment différent du reste du Canada – médicaments, CPE, droits de scolarité universitaires – n’expliquent pas tout, ils coûtent quelque chose comme cinq milliards de plus.

Je ne dis pas cela pour prôner une réduction des dépenses publiques, mais pour souhaiter que les ressources que nous consacrons aux missions de l’État se traduisent en résultats. Ce facteur contribue à expliquer l’ambivalence exprimée par les citoyens, bien illustrée par une réponse du sondage Léger-IEDM. « Croyez-vous que les sommes additionnelles injectées depuis 10 ans par le gouvernement du Québec en santé et en éducation ont donné des résultats ? » : 71 % des répondants croient que non. Cet élément est central à notre réflexion sur le fardeau fiscal. 

Le contrat social entre l’État et ses contribuables n’est viable que si les citoyens sont convaincus de la légitimité de la ponction fiscale.

Or, il y a des fissures dans ce contrat social. On l’a vu il y a quelques années avec l’indignation contre le gras et le gaspillage dans un gouvernement où il y avait trop de fonctionnaires, un mythe qui a volé en éclats depuis l’austérité.

La légitimité du contrat fiscal dépend aussi de la façon dont les revenus fiscaux sont perçus. On peut vouloir un réinvestissement de l’État tout en croyant que, personnellement, on paie trop d’impôt, en vertu d’un autre syndrome, celui du pas dans ma poche. On peut souhaiter, par exemple, que le système soit plus progressif ou encore que les entreprises soient plus sollicitées. Le malaise des deux tiers des Québécois qui croient payer trop d’impôt est renforcé par le fait qu’ils sont plus conscients de ce qu’ils paient que de ce qu’ils reçoivent, notamment pour les politiques familiales. Il est aussi amplifié par le fait que le Québec est l’endroit, après le Danemark et l’Islande, où le poids de l’impôt sur le revenu est le plus élevé, un impôt qui paraît sur le chèque de paye.

Mais derrière, il y a une réalité bien québécoise qui contribue à notre ambivalence. Le Québec, à bien des égards, est une société plus européenne que le reste de l’Amérique du Nord. Dans le débat fiscal, ce n’est pas une combinaison heureuse, parce que ça fait des Québécois des demi-Scandinaves, presque danois et suédois quand il s’agit de réclamer des services publics, mais davantage nord-américains quand il s’agit de payer la note.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.