Surutilisation des scans

Deux fois plutôt qu’une

En l’absence de dossier patient informatisé, le patient peut être amené à passer plus d’une fois le même examen, et ce, pour la même indication. L’échange d’informations médicales entre établissements est difficile, voire impossible, les systèmes informatiques étant souvent incompatibles. Le Dossier Santé Québec viendra-t-il corriger la situation ? « Il n’est pas prévu que les technologues aient accès au DSQ, ça ne fait pas de sens. On est en démarche auprès du Ministère depuis 2012 », dit Danielle Boué, présidente de l’OTIMROEPMQ.

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ET L’ÉCHOGRAPHIE ?

« En raison d’un problème dans le réseau, l’augmentation du nombre de scans vient parfois d’un manque de disponibilité des autres modalités, comme l’échographie », confirme Danielle Boué, de l’OTIMROEPMQ. Les listes d’attente en échographie sont parfois longues et la modalité reste peu disponible le soir et les week-ends, faute de personnel. « Certains médecins résidents me disent qu’on leur interdit de l’utiliser en dehors des heures régulières », note le Dr Patenaude. Le radiologiste Dr Jacques Lévesque de l’ACR ajoute : « L’IRM serait parfois indiquée, mais l’équipement n’est pas disponible 24 heures sur 24. »

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Anxiété partagée

La médecine est défensive, l’incertitude est peu tolérée. « Avec la nouvelle génération de médecins, il y a une telle peur de passer à côté du bobo qu’ils vont demander un scan corps entier pour une personne tombée sur la glace », caricature le Dr Patenaude. « Le médecin est souvent sous la pression de la bienfaisance envers son patient et d’une obligation de résultat qui rendent difficile le refus de poser un acte (même s’il peut être considéré comme futile) quand les moyens pour le faire existent », écrit Victoria Doudenkova dans Éthique et santé (2015).

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DÉBORDEMENTS AUX URGENCES

Les salles d’attente sont bondées, les lits débordent, le personnel est à bout de souffle. « À cause de la pression [aux urgences], les médecins vont demander plus facilement une imagerie, par exemple pour une douleur abdominale. Ils n’ont pas le loisir de garder une personne en observation s’ils peuvent faire autrement », dit le radiologiste Yves Patenaude.

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LES RAISONS D’UNE SURUTILISATION

En tomodensitométrie, de trop nombreux examens sont prescrits inutilement et viennent gonfler les listes d’attente au détriment des patients qui en ont réellement besoin, plaident des experts. Les conditions dans lesquelles pratiquent les médecins ne font qu’exacerber le problème.

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FAUTE DE TEMPS

« C’est tellement plus facile de demander un scan – tu écris, tu coches –, plutôt que de prendre le temps de rassurer un patient anxieux et de lui expliquer que, parfois, il vaut mieux attendre avant d’agir », dit la Dre Yun Jen, de l’Association médicale du Québec. « Les jeunes médecins ont été habitués à avoir accès à toutes les techniques disponibles. Ça module leur pratique, dit Victoria Doudenkova, bioéthicienne. On doit plutôt préconiser l’échange avec le patient. »

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Normes déficientes et appareils vétustes

Au Québec, il se réalise aujourd’hui un examen de tomodensitométrie pour sept habitants.

Les scanners, qui sont de plus en plus puissants, sont particulièrement irradiants. Or, quinze ans après leur arrivée en masse dans les hôpitaux de la province, les normes de radioprotection sont toujours déficientes et les lois dépassées. La vérificatrice générale (VG) du Québec a noté plusieurs lacunes. Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a formé un groupe d’experts – qui se réunissait pour la première fois hier – pour tenter de corriger le tir.

Créé en août 2015, le Réseau de référence en radioprotection intégré du Québec concernant l’application des normes en radioprotection en imagerie aura une lourde tâche. « C’est un lieu d’échanges dont l’objectif est de favoriser l’application des normes dans le réseau de la santé dans une approche intégrée, plus cohérente. On souhaite trouver des pistes de solution selon les préoccupations de tous », explique Noémie Vanheuverzwijn, porte-parole de MSSS.

« Il y a eu une explosion technologique qui a surpris tout le monde. On n’a pas eu le temps de développer une expertise au même rythme. La technologie a devancé nos capacités. L’ACR a des lignes directrices, mais elles ne sont pas appliquées par les cliniciens. Il reste encore beaucoup de travail à faire », dit le Dr Jacques Lévesque, de l’Association canadienne des radiologistes (ACR).

APPAREILS USÉS

Selon la vérificatrice générale du Québec, un appareil de TDM sur cinq est vétuste au Québec. Au MSSS, on indique que l’âge moyen des scanners est de sept ans, alors que leur durée de vie est d’une dizaine d’années. « Lorsqu’un appareil est usé, on le voit rapidement : la qualité d’image diminue rapidement. Plus les appareils sont désuets, plus le risque d’une exposition qui ne respecte pas les normes augmente », soutient le Dr Lévesque. « Les machines sont en renouvellement, le parc est plus adéquat qu’il ne l’était, nuance le Dr Yves Patenaude de l’Association des radiologistes du Québec (ARQ). Les appareils obtenus lors des premiers achats groupés, début 2000, sont changés. On essaie d’en remplacer 15 par année. On ne peut pas faire ça d’un coup, avec un seul appel d’offres. »

CODE DE SÉCURITÉ 35

Santé Canada a produit en 2008 un code de sécurité en matière de radioprotection en imagerie médicale. Dans son Plan d’action sur la réduction de l’exposition aux rayonnements de 2009, le MSSS obligeait les établissements à l’appliquer au plus tard le 1er avril 2010. Certains établissements, comme l’hôpital de la Cité-de-la-Santé de Laval, s’y sont cassé les dents : trop laborieux, trop coûteux. « Ça a été fait en silos sans nous consulter, ce n’est pas applicable », déplore le Dr Lévesque de l’ACR. Le MSSS a donc apporté certains assouplissements sans fixer de nouvelle échéance. Cinq ans plus tard, les établissements « n’appliquent pas intégralement » le code, selon le rapport de la vérificatrice générale.

CONTRÔLES DE QUALITÉ INADÉQUATS

Mandaté en 2009 par le MSSS, le Centre d’expertise clinique en radioprotection (CECR) a fait une tournée provinciale des établissements de 2011 à 2015 afin d’outiller les équipes en place à réduire les doses reçues par les patients. « À la suite de ces visites, le CECR a conclu qu’aucun des établissements de la province n’effectuait à ce jour l’intégralité des contrôles de qualité qu’il recommande », note la VG. Le CECR a noté d’autres lacunes. « Le port du dosimètre par les employés n’est pas toujours respecté. De plus, le matériel de protection qui permet de réduire l’exposition des patients aux rayonnements était peu utilisé par les équipes locales. »

CASSE-TÊTE JURIDIQUE

Un établissement public utilisant l’imagerie médicale doit respecter le Règlement sur l’organisation et l’administration des établissements, qui stipule : « Un établissement qui utilise des appareils émettant des radiations doit adopter des modes de contrôle de l’utilisation de ces appareils, comme ceux prévus au Règlement d’application de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2, r. 1). » Le hic ? La Loi sur les laboratoires médicaux date de 1979, à l’époque des films et des écrans, et exclut les établissements publics. À défaut de normes québécoises, les physiciens biomédicaux, qui procèdent aux inspections, doivent se référer à des normes internationales pour formuler leurs recommandations. « On se réfère habituellement aux normes les plus sévères. Mais comme ce n’est pas réglementé au Québec, ça peut nuire au suivi des recommandations », indique Richard Tremblay, responsable du comité de radioprotection à l’Association des physiciens et ingénieurs biomédicaux du Québec.

DOSES CUMULÉES : AUCUN SUIVI

« Le Ministère n’a pas proposé de mécanisme afin que les établissements puissent enregistrer les doses de rayonnement que reçoivent les patients », lit-on dans le rapport de la VG. Seul l’Institut de cardiologie de Montréal (ICM) fait le suivi du cumul des doses par patient depuis 2004. « Cet outil permet un contrôle de qualité et une optimisation des doses de rayonnement. On peut comparer nos données à celles de la littérature et changer nos façons de faire pour diminuer l’exposition des patients », indique Sébastien Authier, ingénieur à l’ICM. « Au département d’électrophysiologie, on a réussi à diminuer les doses de 70 à 80 %. C’est un travail d’équipe, il s’agit d’en faire une priorité », souligne le cardiologue Bernard Thibault.

FORMATION INÉGALE

L’Ordre des technologues en imagerie médicale, en radio-oncologie et en électrophysiologie médicale du Québec accorde beaucoup d’importance à la formation continue de ses membres sur les bonnes pratiques en tomodensitométrie. Mais chaque scanner a ses particularités… qui ne sont pas toujours maîtrisées. « Les appareils sont de plus en plus complexes. Quand il y a un renouvellement, le technologue doit transférer ses compétences sur ce nouvel outil. Or, l’importance accordée à la formation est à géométrie variable selon les établissements. Ce n’est pas toujours une priorité », dit Danielle Boué, présidente de l’Ordre.

DANS LA BONNE DIRECTION

Les efforts du CECR commencent à porter leurs fruits dans les établissements. Les doses administrées aux patients en TDM ont d’ailleurs diminué depuis cinq ans : scan de la tête (-16 %), thoracique (-25 %), scan abdomino-pelvien (-17 %) et scan thoraco-abdomino-pelvien (-26 %). Les données sont comparables à ce qui se fait en Europe. « Notre mandat est d’aider les équipes à utiliser l’équipement en place de façon optimale, de les aider à élaborer des protocoles moins irradiants », dit la directrice Manon Rouleau. La radioprotection est guidée par trois principes : la justification, l’optimisation et la limitation. « Pour réduire la dose, on peut mieux cibler la dose exposée, utiliser des caches de protection, utiliser des méthodes itératives. Il faut continuer à travailler en ce sens. »

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