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La guerre syrienne en chiffres

Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, plus de 340 000 personnes ont été tuées depuis le début de la guerre en Syrie. Parmi les victimes, 100 000 civils, dont 19 000 enfants et 21 000 femmes.

L’ONU ne compte plus le nombre de morts depuis 2014.

Sources : Le Figaro et Agence France-Presse (novembre 2017)

Nombre de réfugiés et de déplacés

12 millions, soit 65 % de la population. De ce nombre, 5,5 millions ont quitté le pays.

Source : Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, juin 2017

Chronique

Rencontres avec Bachar

Peu de journalistes ont interviewé Bachar al-Assad. Régis Le Sommier, grand reporter et directeur adjoint à Paris Match, l’a rencontré deux fois à Damas pendant la guerre civile. Il en a tiré un livre, Assad*.

Le 28 novembre 2014, Régis Le Sommier passe une heure avec Bachar al-Assad, un dictateur féroce, criminel de guerre selon l’ONU. Le journaliste pose ses questions en français, Assad répond en arabe, chacun dans sa langue maternelle.

À cette époque, Bachar n’a pas donné d’entrevue depuis un an. Son régime s’enlise dans une sale guerre dont l’issue est incertaine. Les morts s’empilent, les réfugiés fuient à pleines portes, les djihadistes ont pris le contrôle de l’opposition et Assad est accusé d’avoir utilisé des armes chimiques qui auraient fait environ 1700 morts.

Ce tyran honni, accusé d’avoir tiré froidement sur son peuple, reçoit Régis Le Sommier en toute simplicité, sanglé dans son éternel complet-cravate gris acier.

« Je suis surpris de voir Bachar al-Assad s’avancer seul vers moi et me tendre la main », écrit Le Sommier dans son essai qui sort en librairie la semaine prochaine.

Quand je lui ai parlé au téléphone, il a fait une description fascinante d’Assad. Lorsque je lui ai demandé quel était le premier mot qui lui venait à l’esprit pour décrire Assad, il a réfléchi quelques secondes avant de me répondre : scientifique. Il a une structure de pensée informatique. Il est très geek. Par exemple, il compare Daech [le groupe armé État islamique] à un virus. Son langage et sa façon de penser sont façonnés par ça.

— Est-il froid ?

— Non, il est plutôt accueillant. L’ensemble des autocrates au Moyen-Orient avaient des personnalités extraverties hors norme, comme Saddam Hussein [Irak], Ben Ali [Tunisie] et Kadhafi [Libye]. Bachar a plutôt une personnalité rentrée, assez timide, mais avec une vraie force, une vraie dureté qui ne paraît pas de prime abord. Il est membre de la minorité alaouite qui domine la majorité [sunnite] avec un impératif de survie. C’est la clé pour le comprendre, cette conscience de la fragilité de son maintien au pouvoir. Il est prêt à tout pour le conserver. Comme son père [Hafez al-Assad]. »

Le Sommier n’a pas soumis ses questions à l’équipe d’Assad avant l’entrevue, seulement les thèmes qu’il souhaitait aborder. Et il n’a pas fait lire son texte avant la publication. Par contre, l’entrevue est un long questions-réponses fidèle à la transcription fournie par les services de presse de Bachar al-Assad.

Régis Le Sommier a posé des questions dures. Assad a répondu en niant parfois des faits documentés. Non, a-t-il affirmé, il n’a jamais utilisé d’armes chimiques. Le Sommier ne l’a pas relancé. Pourquoi ?

« Si je passais 45 minutes sur les armes chimiques, je n’avais rien d’autre. Je suis revenu sur les bombardements et je lui ai demandé pourquoi il traitait tous les opposants de terroristes. Des questions qui, mises bout à bout, m’ont permis de le challenger. »

— Régis Le Sommier

Son entrevue faisant la une de Paris Match a provoqué un électrochoc dans le monde tricoté serré des médias français.

Les journalistes peuvent-ils interviewer un criminel de guerre sans tomber dans la propagande ? Le Sommier est-il tombé sous le charme d’Assad ? Le journal Le Monde l’a même comparé au journaliste Bertrand de Jouvenel, connu pour ses sympathies fascistes, qui a interviewé Adolf Hitler en 1936.

« Je me suis senti attaqué par un confrère jaloux de ne pas avoir eu l’entrevue, s’est défendu Le Sommier lorsque je lui ai rappelé l’attaque du Monde. Quand ils n’ont pas le scoop, ils donnent des leçons de journalisme. Je n’ai aucune leçon à recevoir. »

N’empêche, la question reste entière : comment interviewer un dictateur sans se faire manipuler ?

***

La deuxième rencontre entre Assad et Le Sommier est drôlement intéressante. Elle a lieu en juin 2015, six mois après l’entrevue du 28 novembre.

Assad est plus isolé que jamais. Il est à un fil de perdre la guerre où « il n’y a plus que des méchants », pour reprendre l’expression de Carla del Ponte, ancienne spécialiste du crime de guerre qui a démissionné, frustrée, de la Commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie. Djihadistes d’un côté, Bachar al-Assad de l’autre. Au milieu, une population civile prise en otage.

La rencontre entre Assad et Le Sommier n’est pas enregistrée et aucun article ne sera publié. C’est un entretien « off », comme on dit dans le métier, micro et calepin fermés. Le face-à-face dure trois heures.

Dans l’atmosphère feutrée d’un salon à Damas, Le Sommier échange avec Bachar al-Assad. Il le décrit comme un homme qui n’a « jamais douté même aux heures les plus noires où tout semblait perdu », un homme qui ne souffre pas « de sa mise au ban des nations ». Il va jusqu’à parler de « blindage émotionnel ».

Quand Le Sommier retourne dans sa chambre d’hôtel, il se précipite à son bureau pour retranscrire de mémoire ce que Bachar al-Assad lui a dit. Il consacre 30 pages de son livre sur cet entretien unique.

« La guerre n’a pas le don de le mettre sur les nerfs, écrit-il. […] Ses gestes ressemblent à ceux d’un médecin qui délivrerait une prescription. »

***

Régis Le Sommier a été huit fois en Syrie du côté de Bachar al-Assad. Il n’a jamais mis les pieds chez les rebelles. Comment peut-il rester objectif s’il n’a jamais constaté les dégâts faits par les troupes de Bachar ?

Il aurait été prêt à aller de l’autre côté, mais, précise-t-il, « les rebelles n’autorisent pas les journalistes étrangers à leur rendre visite ». C’est vrai que les rebelles ne déroulent pas le tapis rouge pour recevoir les journalistes, mais ce n’est pas une raison pour ne pas y aller. De nombreux journalistes s’y sont aventurés, dont des Français. J’en ai croisé à Alep et à Raqqa.

Quand Le Sommier décrit la bataille d’Alep que Bachar al-Assad a reconquis, puissamment épaulé par les Russes, son jupon dépasse. Il est presque gentil avec Assad qui a pourtant scandalisé les Occidentaux par sa brutalité primaire.

« J’ai peut-être vécu ça beaucoup trop intensément, répond-il. J’ai voulu raconter une misère humaine effrayante plutôt que d’être gentil avec Bachar. »

***

La guerre est finie, ou presque. Bachar a gagné, ou presque, après sept ans d’horreur. Au début de la guerre, en mars 2011, personne ne donnait cher de sa peau. Tous les experts prédisaient qu’il allait tomber, entraîné par le mouvement du Printemps arabe, comme les Moubarak, Ben Ali et Kadhafi.

Pourtant, il est toujours là. Il s’est accroché au pouvoir avec une opiniâtreté et une brutalité à glacer le sang. Sa famille continuera de régner sur la Syrie avec une poigne de fer, d’abord son père, Hafez, qui a pris le pouvoir en 1970, puis son fils, Bachar, qui lui a succédé en l’an 2000. Une dynastie qui a beaucoup de sang sur les mains.

Les Occidentaux doivent-ils s’asseoir avec Bachar, un criminel de guerre ?

« Il a gagné la guerre, il faut s’asseoir avec lui, affirme Le Sommier. On peut toujours rêver, mais le retour à une forme de vie normale passe par lui. La population épuisée veut que la guerre arrête. »

Dans son essai, Le Sommier cite Malraux. « La guerre civile est la pire des guerres, car on connaît celui qu’on tue. »

Quoi qu’en dise Bachar, il a tué celui qu’il connaissait – son peuple – pour garder le pouvoir.

Sept ans de guerre, les moments clés

Mars 2011

Début de la guerre civile. Des enfants de 12 ans sont arrêtés et torturés pour avoir écrit des slogans contre Bachar al-Assad sur les murs de leur ville, Deraa. Des gens descendent dans la rue pour exiger leur libération. Des policiers tirent et tuent des manifestants. C’est à cet instant précis que débute la guerre civile.

Juillet 2012

Les rebelles font sauter le quartier général de la Sécurité nationale à Damas. Le ministre de la Défense et le vice-ministre, qui est le beau-frère de Bachar al-Assad, meurent.

À la suite de cet attentat, le régime se radicalise.

Fin 2012–début 2013

Arrivée des premiers groupes djihadistes chez les rebelles, dont le Front al-Nosra, branche syrienne d'Al-Qaïda. L’Armée syrienne libre, qui rêvait d’un gouvernement démocratique et laïque, sera de plus en plus marginalisée.

Août 2013

Attaque au gaz sarin. Bilan : environ 1700 morts. Les États-Unis avaient promis d’intervenir si Bachar al-Assad franchissait la fameuse « ligne rouge » en utilisant des armes chimiques. Barack Obama renonce à frapper la Syrie à la suite de l’intervention diplomatique des Russes.

Fin de 2013

Émergence de Daech, aussi connu sous le nom du groupe État islamique

Septembre 2015

Les Russes décident d’appuyer militairement Assad. Leur intervention change tout.

Décembre 2016

Alep-Est, contrôlé par les rebelles depuis plus de quatre ans, tombe aux mains d’Assad. C’est un tournant décisif dans la guerre. L’opposition se retranche dans quelques poches dispersées sur le territoire syrien.

Octobre 2017

Après cinq mois de batailles, les Forces démocratiques syriennes, coalition armée dirigée par des combattants kurdes, prennent le contrôle de Raqqa, château fort de Daech.

Premier affrontement entre combattants russes et américains

MOSCOU — Le 7 février, Washington a annoncé avoir tué au moins 100 combattants prorégime dans l’est de la Syrie, en riposte à l’attaque du quartier général de combattants kurdes et arabes syriens soutenus par les États-Unis. Parmi eux se trouvaient de nombreux Russes.

Des paramilitaires, selon Vladimir Poutine, qui a minimisé l’événement.

La mort de ces Russes dans des frappes américaines reflète la complexité du conflit syrien où s’affrontent puissances régionales et mondiales par le jeu des alliances et des intérêts contraires.

Mais il s’agit aussi du premier cas connu d’affrontement entre forces russes – certes paramilitaires – et militaires américains depuis l’époque de la guerre froide.

Après une semaine de silence, la Russie a finalement reconnu jeudi que cinq citoyens russes avaient « a priori » été tués au cours de ces frappes, soulignant qu’ils n’appartenaient pas à l’armée russe.

Qui sont les Russes tués ?

Cosaques, nationalistes, les Russes tués au cours de ces frappes ont un profil disparate. Vladimir Loguinov, dont la mort a été annoncée le 12 février, était ainsi membre d’une organisation cosaque, une communauté paramilitaire russe souvent associée au pouvoir depuis l’époque des tsars.

Autre Russe dont la mort a été annoncée, Kirill Ananiev appartenait à l’organisation Drougaïa Rossïa (L’autre Russie) fondée par l’écrivain ultranationaliste Édouard Limonov.

Ces hommes « n’ont pas été envoyés là par le gouvernement russe », a écrit Édouard Limonov sur son blogue.

D’autres noms ont émergé et neuf morts ont été formellement identifiés par Conflict Intelligence Team, un groupe d’analystes russes. Mais des médias russes évoquent des bilans plus élevés, dépassant même 200 morts selon le site Znak, qui s’appuie sur ses sources dans les milieux paramilitaires. Tous sont présentés comme étant partis en Syrie pour le compte d’une organisation militaire privée nommée le « groupe Wagner ».

Qu’est-ce que le « groupe Wagner ? »

Le « groupe Wagner » n’a aucune existence légale, d’autant que les sociétés militaires privées (SMP) sont officiellement interdites en Russie. Pourtant, la présence en Syrie de cette organisation qui a aussi combattu dans l’est de l’Ukraine a été abondamment documentée.

Elle remonte à l’automne 2015, soit la période à laquelle la Russie a lancé sa campagne de frappes aériennes en soutien au régime de Bachar al-Assad, selon le journal en ligne Fontanka.ru, qui a consacré de longues enquêtes à cette organisation.

Le nombre d’hommes du « groupe Wagner » présents en Syrie a varié selon les périodes, allant de 2500 au plus fort des combats, selon le quotidien RBK, à un millier en moyenne avant que leur présence ne se réduise à l’été 2016.

Quels liens avec le pouvoir russe ?

Le site Fontanka rapporte que jusqu’à l’été 2016, le camp d’entraînement des « Wagner » était à Molkino, près de Krasnodar (Sud), au même endroit que la base d’une brigade des forces spéciales du GRU, le renseignement militaire russe.

Dmitri Outkine, ancien officier du GRU fondateur du groupe Wagner, était au Kremlin le 9 décembre 2016 pour une cérémonie en l’honneur des « héros » russes de la Syrie. Apparaissant à la télévision, il s’était fait photographier à côté de Vladimir Poutine.

Selon les médias russes, le groupe Wagner est financé par Evgueni Prigogine, un homme d’affaires de Saint-Pétersbourg, surnommé le « chef de Poutine » après avoir fait fortune dans la restauration, et qui a conclu de nombreux contrats avec l’armée russe. Ce même Evegueni Prigogine a été inculpé, hier, avec 12 autres Russes, par la justice américaine pour ingérence dans la présidentielle de 2016 ayant porté au pouvoir Donald Trump. Il est notamment accusé d’avoir financé la campagne menée depuis la Russie, visant à interférer dans le processus électoral. (Voir Le monde en bref en écran 25).

Que font-ils en Syrie ?

En Syrie, les « Wagner » se sont notamment illustrés dans la bataille pour la libération de la cité antique de Palmyre, reprise au groupe armé État islamique en mars 2016. Le groupe a aussi été chargé d’épauler les troupes ordinaires syriennes, jugées peu fiables sur le terrain.

Mais des membres de « Wagner » cités par l’hebdomadaire Soverchenno Sekretno (Top Secret), généralement bien informé, affirment que leur rôle a changé. Selon eux, leurs activités consistent désormais à « garder des installations pétrolières ».

Evgueni Prigogine a d’ailleurs fondé en 2016 une nouvelle société baptisée Euro Polis, assure Fontanka. Sa mission : reprendre et contrôler les installations pétrolières syriennes pour le compte du gouvernement syrien.

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