CRTC

La musique illimitée au banc des accusés

Un fournisseur internet peut-il vous offrir gratuitement de la musique ou des films ? Cette offre semble impossible à refuser, mais c’est pourtant la question au cœur des importantes audiences que tiendra le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) cette semaine à Gatineau. Officiellement, on se penchera sur les « pratiques de différenciation des prix » des fournisseurs internet canadiens. Dans les faits, un seul fournisseur et son offre seront surtout visés : Vidéotron et sa Musique illimitée. Petit guide pour suivre le débat.

Qu’est-ce que la « différenciation des prix » ?

Imaginons qu’une entreprise de téléphone cellulaire vous permet de télécharger 10 gigaoctets de données pour 40 $ par mois. Vous recevez une lettre vous annonçant un joli cadeau, en apparence : vous pourrez utiliser Netflix ou Apple Music sans que les données soient comptabilisées dans votre forfait de 10 Go. C’est une forme de différenciation des prix. L’utilisation illimitée sans coût supplémentaire, pour certaines sources de contenu seulement, s’appelle le « taux zéro ». Il pourrait également s’agir de « données commanditées » si votre fournisseur de service internet a conclu une entente avec l’entreprise d’où proviennent ces contenus.

Ces pratiques sont-elles répandues ?

Pas tellement. Mais « il est clair qu’ [elles] deviendront vraisemblablement plus répandues à mesure qu’augmentera la consommation de données », estime le CRTC. En 2014, un organisme finlandais a répertorié 92 services dans le monde appliquant une forme de « taux zéro ». Au Canada, les services de télévision mobile offerts par Bell Mobilité et Vidéotron en étaient des exemples. Le CRTC a jugé en 2015 que les deux entreprises accordaient « une préférence indue » à leurs abonnés et à leurs propres services et a ordonné leur suppression. C’est maintenant au tour du service Musique illimitée de Vidéotron d’être sous la loupe du CRTC. Avec cette offre, tout abonné à un service Premium, comprenant au moins 2 Go de données, peut télécharger sans limites de la musique de 14 services de diffusion en continu. Google Play Musique, Spotify et Stingray en font partie, mais pas Apple Music ou Tidal. Le CRTC ne s’est pas encore prononcé sur la conformité de Musique illimitée et ne le fera qu’après les audiences, qui lui permettront d’élaborer une politique plus globale à ce sujet.

De la musique à l’infini… Le rêve de tout mélomane. Comment peut-on y être opposé ?

Curieusement, les rôles semblent inversés dans ce débat, pour lequel 26 entreprises, organismes et individus défileront devant les commissaires du CRTC d’ici vendredi. Ce sont les fournisseurs de service comme Bell, Telus et Vidéotron qui veulent pouvoir faire ce « cadeau » à leurs abonnés. Essentiellement, selon les documents qu’ils ont déposés, ils défendent leur droit aux pratiques de différenciation de prix puisqu’elles permettent l’innovation, profitent à leurs clients et permettent d’élargir leur base de consommateurs. Selon un sondage Nanos Research commandé par Bell, 76 % des Canadiens sont en faveur du « taux zéro » pour les services de diffusion continue de vidéo et de musique.

Et qui sont les opposants à ces pratiques ?

D’abord, l’écrasante majorité des 1020 internautes qui ont publié quelque 12 000 commentaires sur un forum Reddit à la fin de septembre, à l’invitation du CRTC. La plupart y voyaient une forme de manipulation et d’abus de pouvoir des entreprises. Une opposition que partagent des organismes comme l’Equitable Internet Coalition, dont fait partie l’Association des consommateurs du Canada, qui considèrent la différenciation des prix comme un « obstacle à un accès loyal et ouvert à l’internet ». Tous les opposants y voient un accroc à la « neutralité de l’internet », selon laquelle les fournisseurs de service internet ne devraient pas intervenir dans le contenu.

N’y a-t-il pas des possibilités de compromis ?

Effectivement, et c’est la position que vont défendre plusieurs intervenants d’ici vendredi. Facebook estime que le taux zéro devrait être permis s’il s’applique sans discrimination à tous les fournisseurs de contenu « qui rencontrent des critères techniques objectifs ». L’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ) dresse un parallèle intéressant avec les quotas de contenu francophone ou canadien pour la radiodiffusion. « L’accroc à la neutralité du Net n’est pas interdit par la loi », explique-t-on, encourageant le CRTC à appliquer les mêmes principes pour la différenciation des prix.

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