opinions frappes américaines en syrie

À l’invitation de La Presse, deux spécialistes analysent les causes de l’attaque ordonnée

jeudi par le président Donald Trump et ses possibles conséquences.

Opinion Frappes américaines en Syrie

Et maintenant ?

Aucun doute que l’attaque américaine sur la base aérienne syrienne d’avant-hier soir change la donne, mais comment exactement ? L’évolution d’une présidence américaine demeure à bien des égards imprévisible et on en a encore un excellent exemple. Quelle sera la suite des choses ? Personne ne sait, à commencer par Trump lui-même, ce qui est déjà en soi assez troublant. Voici cinq questions qui peuvent nous faire réfléchir sur l’avenir de Trump, de sa présidence et de sa politique étrangère.

Quel est le plan de match du président ?

Réponse : inconnu. La décision (sous l’impulsion) prise par Trump satisfait des objectifs à court terme, notamment établir que parfois Trump ne ment pas. Que ses déclarations peuvent être jugées crédibles. Que certaines décisions peuvent être bonnes et justifiées. Toutefois, dans les semaines à venir, la question stratégique se posera : que veut accomplir Donald Trump dans la résolution (ou non) du conflit en Syrie et pour l’avenir de son dirigeant et de son régime ? Souhaite-t-il s’en tenir à cette seule attaque et ainsi revenir à la case départ, autrement dit le statu quo ? Veut-il relancer avec conviction le processus diplomatique en profitant de son coup de force pour amener les Russes à envisager une transition de régime en Syrie ? Envisage-t-il encore d’autres attaques, une intervention ? Du pain sur la planche pour ses conseillers, car on peut être assez sûr qu’en fait ni le président ni son entourage n’a idée d’un plan de match ou n’a réfléchi sur aux objectifs stratégiques. Il n’est pas exclu en revanche que les conséquences de l’attaque en Syrie forcent les décideurs de la Maison-Blanche à entreprendre une telle réflexion, et ce, au fur et à mesure que la suite des événements les y contraindra.

Quel est l’avenir de la Syrie ?

Réponse : personne ne le sait non plus. La Syrie n’est plus, de toute manière, un pays, mais un tas de « pays » appartenant à diverses autorités (le gouvernement, les rebelles, les Kurdes et le groupe armé État islamique – EI). Dans l’immédiat, le fief de l’EI, la ville de Raqqa, sera pris d’assaut par les forces rebelles et kurdes, avec le soutien des forces spéciales américaines. C’est d’ailleurs cette perspective qui a sans doute amené Bachar al-Assad à recourir aux armes chimiques contre la population civile dans la région rebelle d’Idlib. Quoi de mieux qu’une telle attaque pour radicaliser cette population et aider l’EI, l’ennemi utile de Bachar sans lequel les Occidentaux se tourneraient alors contre lui ! À terme, à moins d’un règlement diplomatique (improbable) ou d’une intervention au sol des États-Unis (totalement exclue), rien ne risque de changer et la partition territoriale déjà effective de la Syrie sera consacrée pour un bon moment.

Et l’avenir de la relation États-Unis-Russie ?

Réponse : la douche écossaise. Poutine et Trump souffleront le chaud et le froid. Trump incarne bien Dr. Jekyll et Mr. Hyde. Franchement, il y a eu bien d’autres motifs que celle de l’indignation dans la réaction de Trump. D’une part, cette attaque lui était utile – cadeau inopiné de Bachar al-Assad – pour détourner l’attention de ses énormes déboires en politique intérieure, sa cote de popularité abyssale et ses scandales en association avec l’implication russe auprès de certains de ses anciens conseillers pour gagner l’élection présidentielle. Wag the Dog ? se demanderont les plus cyniques. C’est ici qu’entre en scène la Russie. Car, d’autre part, quoi de mieux que cette attaque pour faire taire les critiques de sa politique jugée excessivement complaisante à l’égard de Poutine (de toute façon prévenue de la salve bien orchestrée contre la Syrie). Il pourra se targuer d’avoir défendu non seulement l’intérêt national américain, mais d’être surtout capable à l’occasion de se démarquer de celui de la Russie. Et ainsi, en apparence, de contredire Poutine.

Et la place de la communauté internationale dans tout ça ?

Réponse : aucune de toute évidence. L’ambassadrice américaine Niki Haley a beau y faire (et elle est excellente), l’ONU est un bien triste spectacle. Le rôle du Conseil de sécurité en est réduit à celui qui prévalait durant la guerre froide, donc pas du tout celui qui a fait espérer entre 1990 et 2003 une convergence des grandes puissances pour gérer les conflits internationaux. L’ONU semble réduite de nouveau à la formule du « chacun pour soi ». Dommage que personne ne se lève (message pour notre premier ministre canadien) pour motiver et entreprendre un mouvement de pays en faveur de la communauté internationale, de la résolution des conflits, de la diplomatie, des interventions humanitaires et des opérations de paix. Pas sûr que celles-ci, même toutes mises à contribution, mettraient fin au conflit en Syrie (ne soyons pas naïfs), mais ne pas les essayer constitue un aveu d’échec et de démission morale (soyons optimistes que le leadership soit encore possible pour les promouvoir).

La tentation accrue pour le recours à la force ?

Réponse : absolument et unilatéralement. Il est certainement avantageux à court terme pour un président d’utiliser la force, surtout quand elle comporte des objectifs limités, qu’elle n’entraine aucune perte de soldats et qu’elle rallie ainsi l’opinion publique (imaginez : même les démocrates appuient Trump). Évidemment, en cas contraire, tous les problèmes se multiplient (l’escalade en Irak ou au Viêtnam). Si cette attaque donne tant soit peu confiance à Trump et lui sourit politiquement, pariez qu’il savourera et exploitera sa décision. Pour autant, quelle leçon tirera-t-il de cette expérience face aux autres défis épineux qui le guettent comme celui de la Corée du Nord ? Sera-t-il tenté alors de répéter l’aventure ? Il jugera sans doute crédible, hélas nous aussi, ses déclarations menaçantes. Le problème est que chaque crise est différente et ce qui pourrait marcher dans l’une (la Syrie) ne s’applique pas nécessairement dans l’autre (la Corée du Nord).

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Trump est en mode apprentissage et les rouages de la présidence et du pouvoir lui sont jusqu’à maintenant insolites et (dans ses mots) complexes. L’attaque contre la base aérienne en Syrie est une étape importante (et imprévue) dans l’évolution de sa présidence. Voyons voir ce qu’il en tirera comme leçons. Elles s’avéreront aussi importantes que les événements en Syrie.

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