Politique bioalimentaire

Plaidoyer pour les produits québécois… ici et ailleurs

Une assiette toute québécoise, un doublement de la production bio, un coup de pouce aux entreprises agricoles, une explosion des exportations. Et des chiffres, beaucoup de chiffres. Sur fond de défense de la gestion de l’offre, le gouvernement Couillard a dévoilé en grande pompe hier sa première politique bioalimentaire. Survol.

« Manger encore plus de produits de chez nous. Savoir encore plus d’où ils viennent. Mieux connaître nos producteurs. Mettre nos enfants en contact avec les produits québécois dès la petite enfance… On a mis les consommateurs, les familles et les producteurs ensemble. »

C’est ainsi que le premier ministre Philippe Couillard a résumé l’objectif de la toute première politique bioalimentaire du gouvernement du Québec, intitulée Alimenter notre monde.

Pour son dévoilement, on avait sorti l’artillerie lourde : en plus de M. Couillard, quatre ministres de son cabinet ont participé à la présentation de ce document d’une centaine de pages devant une salle bondée dans une ferme de la Montérégie.

Au menu, des objectifs commerciaux ambitieux. On espère que les exportations annuelles à l’international passeront de 8,2 milliards, en 2016, à 14 milliards en 2025. Mais on veut aussi que nos assiettes contiennent plus que jamais des produits d’ici : de 24 milliards en 2016, on souhaite que les Québécois consomment quelque 34 milliards en produits locaux en 2025, ce qui représenterait à terme 60 % de leur épicerie.

Et on interpelle les entreprises agricoles, aquacoles, de pêches et de transformation alimentaire à passer la seconde vitesse, avec des investissements privés anticipés de 15 milliards, encore une fois d’ici 2025.

Pour donner vie à ces objectifs, les gouvernements provincial et fédéral se partageront à parts égales des investissements d’environ 1 milliard annuellement au cours des cinq prochaines années.

« C’est de notre qualité de vie qu’il s’agit. C’est notre devoir à tous de participer à notre propre ruralité. »

— Philippe Couillard

« On est capables de faire plus, de faire mieux, en respectant les choix des Québécois », a renchéri Laurent Lessard, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation.

Orientations

La politique bioalimentaire – dont le nom ne doit pas être confondu avec la culture biologique – se décline en quatre orientations. En voici les grandes lignes : 

Offrir des produits répondant aux besoins des consommateurs : faire la promotion des produits québécois, accroître leurs connaissances alimentaires, favoriser les exportations, soutenir l’accès à des aliments de qualité.

Aider les entreprises agricoles : les soutenir dans leurs investissements et dans la gestion des risques, favoriser l’innovation et la formation.

Rendre les entreprises attractives et responsables : attirer la main-d’œuvre et promouvoir le bien-être des animaux dans le respect de la santé et de l’environnement.

Conserver des territoires dynamiques et prospères : mettre en valeur les terres agricoles et assurer leur pérennité.

Ces orientations sont accompagnées d’une ribambelle d’objectifs et de mesures (voir ci-contre pour quelques exemples).

Pour accoucher de ce document, Québec a procédé depuis l’automne 2016 à une vaste consultation que le premier ministre a décrite comme « une façon du XXIe siècle de faire des politiques publiques ». Et des rencontres annuelles sont prévues pour en assurer le suivi.

« Le plus fondamental, c’est d’avoir un dialogue permanent avec l’ensemble de l’industrie et des consommateurs pour faire vivre cette politique. »

— Laurent Lessard, ministre de l’Agriculture

M. Lessard a du coup annoncé la création d’un secrétariat consacré à la pérennité de cette politique bioalimentaire, dont l’adoption sera liée à un projet de loi déposé sous peu à l’Assemblée nationale.

Gestion de l’offre

Plusieurs fois au cours de la présentation d’hier, Philippe Couillard et les ministres qui l’accompagnaient ont livré un plaidoyer pour la gestion de l’offre. Ce système, rappelons-le, régit la production de lait, d’œufs, de poulet et de dindon, au Canada et au Québec, et favorise les producteurs locaux.

Décriée par les États-Unis, la gestion de l’offre se retrouve au cœur des négociations de l’ALENA avec les gouvernements américain et mexicain.

« La gestion de l’offre est fondamentale, a dit Dominique Anglade, ministre de l’Économie, de la Science et de l’Innovation. C’est une manière de gouverner dont on est fiers, et il est important de la défendre bec et ongles. On ne baissera jamais les bras. »

Politique alimentaire

Doubler la culture bio

Québec souhaite que la superficie des terres où est pratiquée une culture biologique double d’ici 2025. À l’heure actuelle, les productions bios représentent seulement 2,4 % de l’ensemble des terres de la province. Cette augmentation aura pour effet de réduire le prix des produits bios et de les rendre plus accessibles aux consommateurs, selon Philippe Couillard. Pour Maxime Laplante, président de l’Union paysanne, cette mesure est intéressante, mais il se demande si cette cible n’est pas timide, « alors que la demande explose » pour ce type de produits.

Institutions publiques

Une somme de 5 millions sera dégagée pour favoriser l’achat de produits locaux dans les établissements publics comme les hôpitaux et les écoles, par exemple. « Il se fait déjà des choses intéressantes, mais je pense qu’on peut faire encore mieux, a dit Philippe Couillard. Je suis toujours surpris et déçu quand je vais en région et que je vois des institutions publiques de grande taille qui sont littéralement à deux pas d’un producteur agroalimentaire, mais qu’elles n’utilisent pas leurs produits. »

Pesticides

Québec prévoit une somme de 14 millions – tirée du budget de l’an dernier – pour une utilisation plus responsable des pesticides. Président des Producteurs de grains du Québec, Christian Overbeek aurait toutefois espéré qu’on annonce des mesures plus précises. « Il y a un manque d’accompagnement pour s’assurer que les producteurs vont pouvoir répondre pleinement aux attentes de la société quant à nos techniques de production », dit-il. Selon lui, le budget annoncé pour cette mesure est insuffisant.

Qualité des aliments

La politique alimentaire prévoit 4,5 millions consacrés à la sensibilisation et à l’éducation alimentaire des consommateurs, de même que 3,5 millions en « appui à la qualité nutritive des aliments ». Parmi les actions ciblées, on indique la réduction des aliments transformés riches en sucre, en sel ou en gras au profit d’aliments sains et frais. Pour Corrine Voyer, directrice de la Coalition poids, il s’agit d’un « changement de cap » à Québec. « Il faut savoir que le système alimentaire sert d’abord à nourrir les Québécois avant d’être un moteur économique, a-t-elle dit. On se réjouit donc de voir enfin que la saine alimentation se retrouve au cœur de la nouvelle politique. »

Aide aux entreprises

Québec sort son chéquier pour aider les entreprises agroalimentaires. Ainsi, 100 millions s’ajoutent d’ici cinq ans en investissements pour la production agricole et 75 millions sont alloués à la transformation alimentaire. En outre, on allonge 81 millions pour la mise à niveau des infrastructures en innovation et en formation. « Toute entreprise dans ce secteur est amenée à se moderniser, a dit la ministre Dominique Anglade. Que ce soit de l’automatisation, de la robotisation, tout le monde passe par là. »

Penser à demain

La pérennité des terres et des entreprises agricoles se retrouve également au cœur du document. Québec cible notamment le problème de l’explosion de la valeur des terres depuis 2005 et veut faciliter la passation de la propriété de génération en génération. Une enveloppe de 11,5 millions est ainsi consacrée à la relève dans les entreprises de petite taille, et une aide fiscale compensatoire de 20 millions est annoncée pour les années 2017 et 2018. On compte en outre s’attaquer à la valorisation des terres en friche. Marcel Groleau, président de l’Union des producteurs agricoles (UPA), aurait pour sa part espéré une véritable levée du moratoire sur les superficies cultivables dans la province.

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