Propriété intellectuelle

Le carré rouge restera un bien public

Emblème de la contestation étudiante, le carré rouge ne pourra être une marque de commerce protégée, tel que l’avait statué l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) en décembre 2015. Le droit du requérant d’en appeler de la décision est maintenant échu, se réjouissent les leaders étudiants. Retour sur l’histoire de ce petit bout de tissu fortement symbolique.

UN CARRÉ PAYANT ?

En juin 2012, le Longueuillois Raymond Drapeau dépose une demande à l’OPIC pour enregistrer une marque de commerce : carré rouge avec épingle dorée. Comme indiqué dans le jugement, l’homme d’affaires souhaite vendre des produits arborant le carré rouge : des t-shirts, des affiches, des serviettes, des parapluies, des casquettes, etc. Il est alors à la tête du site internet carrerougesolidarite.ca (aujourd’hui fermé). En réplique aux protestations du mouvement étudiant, il déclare alors à La Presse : « Ils avaient juste à le faire avant. Les gens qui devaient faire les choses ne l’ont pas fait. » Hier, M. Drapeau n’a pas rappelé La Presse.

UN JUGEMENT CLAIR

En janvier 2014, la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), appuyée par l’ASSÉ et la Clinique Juripop, entreprend des procédures judiciaires contre M. Drapeau. En décembre 2015, la Commission des oppositions des marques de commerce de l’OPIC rend son jugement : le carré rouge demeurera un bien public. Depuis la fin de mai 2016, le délai d’appel du requérant est échu, ce qui officialise cette décision. « C’est pour nous une réelle victoire. Le plus important est que le symbole ne soit pas utilisé à des fins pécuniaires. Le jugement a été très clair, le carré rouge est un symbole qui appartient au domaine public », se réjouit Rose Crevier-Dagenais, présidente de la FECQ.

CARRÉ DE « DUCT TAPE »

Symbole puissant de la contestation étudiante, le carré rouge fait son apparition au Québec bien avant le « printemps érable » de 2012. En octobre 2004, les représentants du Collectif pour un Québec sans pauvreté sont les premiers à le porter sur leurs vêtements, lors d’une manifestation artistique. Ils s’opposent au projet de loi 57 sur la réforme de l’aide sociale. Dans sa forme initiale, le carré est un morceau de ruban adhésif (duct tape). « On avait choisi le rouge, qui symbolise le “stop”, la colère, la contestation, la révolte, indique Serge Petitclerc, porte-parole du collectif. Le duct tape était abordable, mais brisait les manteaux. On a finalement opté pour une épinglette. »

CARRÉMENT DANS LE ROUGE

En 2005, des associations étudiantes de l’UQAM reprennent le carré rouge pour marquer leur opposition aux coupes faites dans l’aide financière aux études. Le gouvernement de Jean Charest avait alors converti 103 millions de dollars de bourses en prêts étudiants. « À ce moment, le slogan associé au carré rouge était : “Carrément dans le rouge” », rappelle Rose Crevier-Dagenais, de la FECQ.

MARÉE DE CARRÉS ROUGES

En 2012, le carré rouge – qu’il soit en feutrine, en toile ou en tricot – devient viral. Il est porté par les étudiants contre la hausse des droits de scolarité et ceux qui appuient leur cause. On le voit partout : sur les t-shirts, les chapeaux, les sacs à dos, suspendu dans les vitrines et flottant sur le pont Jacques-Cartier. Il monte les marches du Festival de Cannes, épinglé au complet du cinéaste Xavier Dolan. Il se montre à la télé américaine, porté par les membres du groupe Arcade Fire lors de sa prestation à l’émission Saturday Night Live.

JUSQU’EN FRANCE

Au printemps 2016, les militants du mouvement Nuit debout, contre la « loi travail », adoptent le rectangle rouge sur la place de la République, à Paris. Symbolisant le Code du travail français (rouge et rectangulaire), le rectangle rouge est porté en boutonnière, comme un clin d’œil aux manifestations étudiantes québécoises. À noter qu’en France, un collectif anticapitaliste fondé en 1995 porte le nom Carré rouge. « L’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) souligne la puissance de la gratuité d’un tel symbole : les luttes populaires, telles celles qui utilisent le carré rouge, se produisent en marge des impératifs du marché. […] Il est donc primordial que tout symbole de lutte soit public et libre de droit pour tout groupe qui voudrait s’en prévaloir », indique Élisabeth Béfort-Doucet, de l’ASSÉ.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.