Mon clin d’œil

« Je crois que je vais réussir à faire l’unanimité autour de moi. »

— Martine Ouellet

Réplique

Le grand aveuglement

En réponse à l’éditorial de François Cardinal, « Le grand mirage », publié mercredi

Dans l’éditorial qu’il consacre à notre proposition de Grand déblocage, François Cardinal me reproche de regarder dans le rétroviseur, vers une époque révolue où on ne priorisait pas les dossiers de transports. Aujourd’hui, le REM est là, prioritaire. Imparfait, certes, concède-t-il, mais il faut l’accepter sans le remettre en cause et regarder vers l’avant.

C’est pourtant exactement ce que je reproche aux tenants du REM. Ils ne regardent pas le futur proche. Voyons comment le REM-prioritaire érige en plusieurs points un obstacle insurmontable à une planification prévoyante de la mobilité : 

Deux-Montagnes 

Les passagers qui quittent aujourd’hui Deux-Montagnes pour se rendre au centre-ville sont assis dans de vieux trains de banlieue. Dans cinq ans, grâce au REM, ils seront dans des wagons flambant neufs. Mais… debout ! Oui, car le REM soustrait 55 % des places assises en heure maximale de pointe. Un détail ? Disons. Mais qu’en est-il des milliers de passagers de Laval et de la Rive-Nord qui débarqueront de leurs voies rapides de bus sur la 13 et la 15 pour monter dans cette merveille technologique ? Le REM ne pourra tout simplement pas les prendre à bord. Ces passagers, sur le pavé, devront se contenter d’admirer la beauté de notre train dernier cri, construit à nos frais par des salariés fiers et ravis… en Inde !

Le Grand déblocage, au contraire, anticipe cette hausse d’achalandage. Pour une fraction du coût du REM, il doublera le nombre de places assises sur la ligne Deux-Montagnes.

Le train de l’Est

Il a coûté la peau des fesses et est sous-utilisé. Comment le revitaliser ? Le Grand déblocage propose trois moyens différents de le faire – meilleur rabattement sur l’île, davantage de départs, quatre nouvelles gares qui ratissent encore plus large. Le REM, au contraire, le dévitalise. En imposant une correspondance à ses usagers, il réduira de 10 % son achalandage.

Le train de l’Ouest

Il pourrait aller chercher des passagers jusqu’au Suroît, désengorgeant un réseau routier chargé dans ce coin de la métropole. Avec le Grand déblocage, oui. Avec le REM, non. Le REM condamne le train de l’Ouest à l’atrophie et les automobilistes aux bouchons.

La Rive-Sud

Les promoteurs du REM offrent aux citoyens de la Montérégie un cadeau, oui, mais empoisonné. Le choix du DIX30 comme porte d’entrée principale du réseau va bouchonner tout le secteur. Depuis deux ans, les élus locaux, les chambres de commerce et les députés du Parti québécois sonnent l’alarme et réclament une action rapide pour amortir le choc (aggravé par les travaux au tunnel Louis-H.-LaFontaine). Bruits de criquets à Québec, où l'on ne voit pas l’urgence. Le Grand déblocage, lui, règle le problème en ne faisant pas de sa station du DIX30 l’entonnoir monstre qui nous est promis, mais un point d’entrée parmi d’autres d’un réseau beaucoup plus convivial.

Et oui, nous pensons que les habitants de Joliette, Saint-Hyacinthe, Saint-Jean et du Suroît ne doivent pas être privés de transports en commun.

Dès lors que leur développement urbain (donc le risque d’étalement) est encadré par le Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) et leurs schémas d’aménagement, nous ne croyons pas, comme l’éditorialiste en chef de La Presse+, qu’ils doivent être condamnés aux bouchons et à la deuxième voiture.

Les premières pelletées de terre s’en viennent, nous annonce-t-on. Les pépines sont au coin de la rue, dit la mairesse ! Fort bien ! La phase 1 du REM est très majoritairement consacrée à la préparation de la desserte de la Rive-Sud. C’est justement ce bras du REM que le Grand déblocage entend utiliser et bonifier. Pour le reste, la résignation face à de mauvais projets « trop avancés » nous aurait légué une centrale au gaz naturel inutile au Suroît, un investissement public dans une mine d’amiante à Asbestos et une réfection stratosphériquement coûteuse de Gentilly-2.

François Cardinal voit juste lorsqu’il souligne qu’une transition du REM vers le Grand déblocage serait une course d’obstacles et se heurterait à de vraies difficultés. Avec franchise et lucidité, nous avons admis et expliqué comment la tâche serait ardue. Mais nous sommes convaincus qu’elle en vaut la peine : réduire la congestion de 10 % (80 fois plus que le REM) ; les gaz à effet de serre de 300 000 tonnes par an (huit fois plus que le REM) ; économiser 150 millions de dollars en pétrole par an ; desservir beaucoup mieux toute la région. 

Des estimés sujets à étude et vérification ? C’est ce qu’on en dit nous-mêmes. Mais on met quiconque au défi de trouver une autre annonce d’un parti d’opposition aussi bien documenté que ce que nous avons présenté cette semaine.

À chacun son choix. Le nôtre est d’œuvrer pour un défi ambitieux, oui, mais qui rendra de réels services à toute la communauté. C’est ce que François Cardinal appelle « Le grand mirage ». Les partisans du REM-à tout-prix (et on ne fait que commencer à mesurer ce prix) choisissent de nier que, malgré ses attraits, le REM posera pour longtemps des obstacles majeurs à l’amélioration de la mobilité dans la métropole. Ce qu’on nous permettra d’appeler « Le grand aveuglement ».

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