Chronique

La garde partagée, une bonne idée ?

Vous désirez partager un carré de potager ? Il y a une app pour ça.

Un espace de stationnement ? Il y a une app pour ça.

Une équipe de sport professionnel ? C’est plus compliqué, mais pas impossible. Des franchises ont déjà été en garde partagée entre deux villes. C’est maintenant un scénario envisagé sérieusement par les promoteurs du retour du baseball à Montréal.

Mes collègues Vincent Brousseau-Pouliot et Denis Lessard rapportent ce matin que le Groupe de Montréal, mené par Stephen Bronfman, a évoqué cette possibilité lors de discussions récentes avec les gouvernements. Le projet : faire jouer les Rays de Tampa Bay à Montréal pendant les mois chauds, et en Floride le reste de la saison.

J’ai eu la même réaction que vous. 

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Pourquoi cette amère impression de retour vers le futur ? Parce qu’on a déjà joué dans ce film. Deux fois plutôt qu’une.

La première fois, c’était en 2003. Les Expos de Montréal avaient disputé 22 matchs « locaux » dans un vieux stade à Porto Rico. Le baseball majeur, alors propriétaire de l’équipe, souhaitait générer plus de revenus en testant un nouveau marché. Sans grand succès. Un peu têtu, le commissaire a réessayé le même coup la saison suivante. Les assistances ont chuté de 28 %, pour s’établir autour de 10 000 spectateurs. À peu près les mêmes foules qu’au Stade olympique de Montréal.

Vous aurez deviné que personne au baseball majeur n’a gagné le prix Nobel d’économie cette année-là.

La deuxième fois, c’était en 2016. Stephen Bronfman cherchait à former un consortium pour rapatrier un club de baseball à Montréal. Dans ses discussions avec des investisseurs potentiels, il avait soumis l’idée d’un club en garde partagée avec une autre ville, révélait La Presse. Ça a eu l’effet d’un élan dans le vide. Un swing and a miss, comme on dit au stade.

Mais bon, c’était un tour d’échauffement. On se consolait en se disant qu’au mieux, c’était un plan F. Apprendre trois ans plus tard que le scénario est non seulement encore sur la table, mais que ça ressemble à un plan A ou B, c’est un peu déprimant.

Enlevez le « un peu ».

C’est très déprimant.

L’image qui me vient en tête, c’est celle d’un match de championnat. Le gros cogneur de l’équipe se présente au bâton en fin de neuvième manche avec un retrait. Il doit faire marquer le coureur au deuxième but. Tous les fans espèrent un circuit gagnant. Mais l’entraîneur demande un amorti pour faire avancer le coureur. Un sacrifice pour le bien de la cause.

Déception dans le stade. Et une question : pourquoi ?

La vérité, c’est qu’à court terme, les chances du Groupe de Montréal de frapper un circuit semblent très minces. Aucun indice ne laisse croire à un transfert complet des Rays dans la prochaine année. L’expansion ? Ce n’est pas le scénario prioritaire, m’a indiqué hier une personne ayant discuté récemment avec des membres du consortium.

Restent donc deux options : attendre, ou avancer un peu en présentant quelques matchs des Rays.

La formule de la garde partagée a quand même des mérites. Elle permettrait au groupe de Stephen Bronfman de tester réellement le marché montréalais. D’amasser des données précieuses sur les acheteurs de billets. De développer des partenariats commerciaux et médiatiques. De prouver aux dirigeants du baseball majeur le sérieux de la démarche. De se positionner pour ensuite obtenir une franchise à temps plein.

J’insiste.

Pour obtenir une franchise à temps plein.

Ça doit rester l’objectif principal du consortium montréalais. La garde partagée pour une saison, passe encore. Je préfère pouvoir assister à 41 matchs du baseball dans mon été plutôt qu’à zéro. Mais prolonger l’expérience au-delà d’une saison risque de nuire plus à la cause que de l’aider.

En tenant pour acquis que ces matchs seraient disputés au Stade olympique, chaque demi-saison repousserait d’un an le projet de stade au bassin Peel. Or, les lots du gouvernement fédéral ne resteront pas sur le marché éternellement. Surtout qu’un autre promoteur sérieux, Devimco, a des projets ambitieux pour le même site.

Ce serait difficile pour les joueurs de conserver leur motivation. Pensez-y : quel joueur autonome voudra signer un contrat ici/là-bas en sachant qu’il disputerait 120 matchs loin de son domicile ?

Il y a aussi une limite à soutenir un club qui défend les couleurs et le nom d’une autre ville. Les Bills de Buffalo l’ont vécu lors de leur flirt avec Toronto, entre 2008 et 2013. Les premières parties ont été disputées devant plus de 50 000 personnes. La dernière, devant moins de 39 000 spectateurs, un résultat très faible pour la NFL.

Enfin, ce serait décourageant de suivre une équipe à Montréal tout l’été, pour la voir partir au moment où ça compte le plus, en septembre, en pleine course aux séries. Imaginez le pire : des matchs de championnat de « nos » Rays à 2400 kilomètres d’ici.

À bien y penser, les Z’Amours à distance, c’est rarement une bonne idée.

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