Attentats à Paris

Aux côtés des djihadistes pour mieux les comprendre

BRUXELLES — Montasser AlDe’emeh est musulman. Il habite la commune de Molenbeek-Saint-Jean, décrite comme l’épicentre de l’islamisme radical en Belgique. Et la page couverture de son livre Pourquoi nous sommes tous des djihadistes le montre en Syrie, le visage mangé par une épaisse barbe noire.

Il ne faut pas se fier aux apparences. L’homme de 27 ans, né dans un camp de réfugiés en Jordanie mais arrivé en Belgique à l’âge de 2 ans, n’est pas un djihadiste. S’il a passé deux semaines en Syrie l’an dernier aux côtés de combattants belges et néerlandais du front Jabhat al-Nosra, affilié à Al-Qaïda, c’était pour tenter de mieux comprendre les motivations de ces djihadistes venus du froid. Pas pour se battre.

« J’ai vu bien des gars de Molenbeek partir en Syrie. Je voulais étudier ça. Nous faisons partie de la même génération post-11-Septembre, marquée par la polarisation entre l’Occident et l’islam », explique-t-il en entrevue dans son petit appartement de Molenbeek.

Montasser AlDe’emeh est doctorant en études islamiques à l’Université de Nimègue, aux Pays-Bas. Dans le cadre de ses recherches, il était en contact régulier sur Facebook avec des djihadistes belges installés près d’Alep. De fil en aiguille, il a gagné leur confiance. « Ils savaient que j’étais nuancé, que je cherchais à les comprendre », écrit-il dans son livre. Et l’un d’eux a fini par l’inviter à venir les visiter, à l’été 2014. Il s’est rendu en Syrie en passant par la Turquie, comme les djihadistes.

Il n’y a pas de portrait type du djihadiste, retient AlDe’emeh de son expérience. Certains viennent d’un milieu aisé, d’autres non. Mais tous ont souffert de l’absence de modèles forts dans leur communauté en Belgique.

« C’est une génération perdue qui n’a pas de Martin Luther King, de Malcolm X ou de Muhammad Ali. »

— Montasser AlDe’emeh

En Flandre, à peine une dizaine d’imams parlent le néerlandais. « Nos imams sont formés en Arabie saoudite et ils en reviennent avec d’autres valeurs », déplore-t-il.

DÉRADICALISATION

À son retour en Belgique, il fonde une organisation, De Weg Naar (« La voie vers… »), qui intervient auprès des aspirants djihadistes, mais aussi des « returnees », comme on appelle en Belgique ceux qui sont revenus de Syrie.

L’organisation, dont le siège est à Malines, près d’Anvers, est souvent présentée comme un programme de déradicalisation. Un terme qu’AlDe’emeh désavoue, disant ne pas croire aux systèmes mis en place par les autorités gouvernementales ailleurs en Europe. Il refuse d’ailleurs tout financement de l’État.

« Ces programmes ne fonctionnent pas. Ces gens-là [les djihadistes] ne croient pas en la démocratie et on essaie de les changer en utilisant les valeurs démocratiques. »

Son approche est différente. Il raconte aux jeunes – les aspirants djihadistes ont habituellement entre 16 et 26 ans, souligne-t-il – son histoire personnelle de fils de sans-papiers palestinien qui a réussi à faire des études universitaires. ll explique à ceux qui ne sont pas encore partis la réalité du terrain en Syrie, « où les sunnites se tuent entre eux ».

Et surtout, il dialogue avec eux sur l’histoire de l’islam, une religion qui n’a selon lui rien à voir avec la « vision romantique du califat » qu’ont les jeunes séduits par le discours des apologistes du djihad, version groupe État islamique (EI).

« Je crois en l’auto-déradicalisation. Ils changent parce qu’ils ont le savoir, par les contacts qu’ils ont avec les autres. »

—Montasser AlDe’emeh

La clé, selon lui, c’est l’empathie, cette capacité de se mettre à la place de son prochain, « à ne pas confondre avec la sympathie ».

UNE LIGNE ROUGE

Mais il y a une ligne rouge : la barbarie de l’organisation du groupe État islamique. « Je ne veux pas être esclave de mon empathie. Les gars qui partent maintenant ou ceux qui partiront plus tard pour joindre l’EI, je ne veux pas les aider. Leur situation n’est pas la même que les gars qui sont allés en Syrie au début, avant que l’EI ne soit en activité. Ceux-là allaient se battre contre Bachar al-Assad, parce que la communauté internationale ne faisait rien pour les Syriens. Ils n’allaient pas là pour décapiter les gens, violer les femmes yézidies, brûler vif un soldat jordanien et tuer d’autres sunnites. Ils allaient se battre. »

« Les gens qui partent aujourd’hui ont eu tout le temps de voir ce dont l’EI est capable. Et quand on voit ce qui s’est passé à Paris, il faut être capable de dire : “c’est assez.” Paris, c’est un désastre. »

Selon lui, il est temps pour le gouvernement belge d’adopter la ligne dure. « Il faut leur dire : “Si vous allez en Syrie, c’est fini, vous ne pouvez pas revenir dans ce pays.” Il faut révoquer leur citoyenneté. C’est la Belgique ou l’EI. On ne peut pas mettre 10 millions de gens en danger à cause de cinq ou dix personnes. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.